Plaidoyer pour Monsieur Homais

Les Amis de Flaubert – Année 1979 – Bulletin n° 55 – Page 34

 

Plaidoyer pour Monsieur Homais

      S’exprimer sur le rôle revendiqué par l’Église dans les structures de la Nation fait partie de ces propos que nul n’aurait osé tenir il n’y a pas si longtemps, sans redouter quelque véhémence clochemerlesque de la part de son interlocuteur. Mais, grâce à Dieu (ou à Satan), les derniers Pères Conciliaires n’y sont pas allés avec le dos de la crosse dans ce domaine et c’est ainsi que l’idée nous est venue, au moment où le clergé verse dans un anticléricalisme sans détour, de nous pencher sur les exaspérations de M. Homais pour nous demander si, replacé dans le contexte de son temps, le personnage était aussi absurde que nous le voyons aujourd’hui ?

D’étonnantes surprises nous attendaient, à commencer par la difficulté de recueillir le texte intégral des documents émanant du Saint-Siège et destinés à l’édification des fidèles comme à l’admonestation des incroyants. Si nous sommes venus à bout de cette tâche, c’est grâce à l’extrême obligeance du Père Simon, Supérieur du Grand Séminaire de Caen, de M. l’abbé Fouque, doyen de Trouville-sur-Mer, et de M. le Chanoine Germain, ancien curé de Deauville. Ils nous ont fait bénéficier du fruit de leurs méditations, nous leur devons les plus vifs remerciements pour leur contribution à la recherche sereine de la vérité — attitude que nous aimerions rencontrer plus souvent chez ceux qui se proclament entièrement libres parce qu’ils ne partagent pas leur croyance.

La lecture de Madame Bovary n’offre guère de précision chronologique mais, étant donné que l’action se déroule sous la Monarchie de Juillet, nous estimons ne pas nous abuser beaucoup en fixant la naissance de M. Homais aux alentours de 1800 ? C’était donc un adolescent à la fin de l’Empire, époque assez singulière quant aux rapports entre l’Église et l’État. Si le Concordat reconnaissait la prééminence du Catholicisme, il n’est que de se rappeler les tribulations de Pie VII et la rédaction désinvolte des Articles Organiques pour constater que, dans l’esprit de Napoléon, l’Église n’était rien d’autre qu’un instrument politique soumis à sa seule volonté. Quant au Clergé, composé des survivants de la Révolution, il comprenait une large majorité de prêtres que la Constitution Civile n’avait pas heurtés outre mesure ; leur esprit libéral ne faisait aucun doute et il explique la facilité avec laquelle, plus tard, le modernisme recrutera en France les adeptes d’un « aggiornamento » prématuré ; M. Homais, collégien, ou déjà étudiant en pharmacie, n’avait certainement pas grand-chose à reprocher à tous ces débonnaires soldats du Christ, essentiellement occupés à entonner un Te Deum chaque fois qu’ils apprenaient une nouvelle victoire de l’Empereur.

Là où le zèle de notre héros eut l’occasion de prendre son essor, c’est en 1814, peu de temps après le retour de Louis XVIII aux Tuileries, lorsqu’il eut connaissance comme tous les Français de la Lettre Apostolique adressée par Pie VIl au nouveau Roi.

La gravité de ce qu’elle expose, ses conséquences, si durables qu’il n’est pas exagéré de dire que nous en subissons encore les effets, justifieraient une transcription intégrale. Malheureusement, la concision ne se rencontre guère dans la rhétorique pontificale et il nous faudra recourir pour ce texte, comme pour tous ceux qui constituent notre documentation, à des citations condensées aussi bien qu’à de brefs résumés. Nous ne chercherons pas à dissimuler combien ce procédé est discutable et la facilité avec laquelle, entre des mains expertes, il permet de faire dire à un auteur le contraire de ce qu’il a écrit ; aussi, pour éviter toute ambiguïté, précisons que nous nous sommes référés à la « Bibliothèque des Bons Livres », imprimés par « A. Roger et F. Chernovicz, 7, rue des Grands-Augustins, à Paris, sous la direction de M. Pages, ancien bibliothécaire du Séminaire de Saint-Sulpice avec I’approbation de sa Sainteté Léon XIII ».

Venons-en maintenant à cette lettre explosive, définie, selon l’usage, des premiers mots latins sur quoi elle s’ouvre : Post tam diuturnas. Elle est signée de Pie VII et datée du 29 avril 1814 :

« Après les longues et furieuses tempêtes qui ont agité le vaisseau de saint Pierre, un sujet de grande consolation est venu accroître notre joie lorsque nous avons appris que le Roi désigné pour gouverner la Nation Française était un descendant de saint Louis. Mais cette joie a bientôt fait place à une grande douleur quand nous avons lu la nouvelle Constitution du Royaume. Nous avions espéré que la Religion Catholique y serait rétablie dans tout son lustre et sa dignité ? Or, non seulement il n’en a rien été, mais il n’y est même pas fait mention du Dieu Tout-Puissant par qui règnent les Rois et commandent les Princes ! Un autre sujet de peine qui nous cause un accablement, un tourment et une angoisse extrêmes, c’est le 22e article de cette Constitution. Non seulement on y permet la liberté des cultes et de conscience mais on promet appui et protection à cette liberté ainsi qu’aux Ministres de ce qu’on nomme les cultes ! Il n’est certes pas besoin de long discours pour reconnaître de quelle mortelle blessure la Religion catholique est frappée par cet article qui met au même rang que les sectes hérétiques, le protestantisme ou la perfidie judaïque — I’Épouse Sainte et Immaculée du Christ, l’Église catholique hors de laquelle il ne peut y avoir de salut ! Notre étonnement et notre douleur n’ont pas été moindres quand nous avons lu le 23e article qui promet la liberté de la presse ; liberté qui menace la Foi et les mœurs d’une ruine certaine. C’est un fait pleinement constaté ; la liberté de la presse a été l’instrument principal qui a dépravé les mœurs des peuples, corrompu leur foi, et soulevé les révoltes ; c’est ce qui se reproduirait si on accordait à chacun la liberté d’imprimer tout ce qu’il lui plairait. Dans une si grande et si juste affliction, une espérance nous console, c’est que le Roi ne souscrira pas les articles mentionnés ? ».

Pour être d’une tout autre nature l’affliction de M. Homais, à la lecture de cet écrit stupéfiant, dut revêtir des accents d’une singulière irritation ! Revenir à la notion de Religion d’État alors que depuis un demi-siècle elle s’était effacée des esprits comme de la réalité pouvait, à la rigueur, être interprété comme un hommage aux idées démocratiques : le catholicisme étant majoritaire en France, rien ne s’opposait à ce qu’on utilise le raisonnement subtil qui admet que la minorité ne saurait compter pour beaucoup ? Ce qui faisait dire à Flaubert que le droit du nombre était aussi bête que le droit divin.

Pour M. Homais, s’en prendre à la liberté de conscience et à la liberté de la presse, affirmer que l’Église Catholique — et elle seule — non seulement pouvait mais devait régir les affaires du Royaume, c’était réduire la France à un État théocratique dont le Pape eût été le maître absolu.

Tous les Homais de notre pays ne manquèrent pas de souligner ce danger et les prétentions attribuées, non sans malveillance, au Saint-Siège ont alimenté les premiers feux d’un anticléricalisme qui n’allait cesser de s’étendre à la faveur de maladresses réciproques.

Louis XVIII, dont nous connaissons la tiédeur des sentiments religieux, attacha si peu d’importance à Post tam diuturnas qu’il n’en tint aucun compte et qu’à la fin de son règne la loi autorisant le divorce n’était même pas abrogée.

Il en fut tout autrement avec Charles X, ce libertin dévoyé que Madame de Polastron avait fini par transformer en désolant bigot. Subjugué par les congrégations et l’Ordre des Jésuites, il avait fait de son confesseur l’abbé Frayssinous — lettré comme un saumon, aux dires de ceux qui l’approchèrent — le Grand Maître de I’Université, perdant ainsi toute considération de la part des intellectuels et fournissant aux tendances brouillonnes du monde estudiantin des motifs légitimes pour se manifester.

Nous connaissons la suite : les modifications restrictives apportées à la Charte et la suppression de la liberté de la Presse. Les pieux dévots pouvaient trépigner de joie, les directives de Post tam diuturnas allaient enfin être appliquées, on rirait bien du sentencieux Chateaubriand qui prophétisait à tour de bras des émeutes, et même la fin de la Monarchie !

Et ce fut juillet 1830.

Nous postulons que M. Homais était un homme d’ordre et qu’il ne rêvait pas d’une guillotine dressée en permanence à Yonville-l’Abbaye ; la nouvelle des Trois Glorieuses dut lui faire entrevoir la vision d’un cortège d’hommes hirsutes et braillards, coiffés de I’écarlate bonnet phrygien, dévalant la Côte des Leux pour exiger de lui — le seul homme de science de l’endroit — la confection immédiate d’explosifs épouvantables ou de poisons sataniques ; qu’adviendrait-il alors s’il refusait d’obtempérer aux injonctions de cette horde bien pourvue de moyens convaincants ? Ni plus ni moins que le sort de cet infortuné élève apothicaire d’Écalles-Alix, au cœur du pays de Caux, dont il connaissait l’histoire terrifiante car, pour moins que cela, on l’avait arrêté en 1791, mené à Rouen puis à Paris, où il fut proprement septembrisé. La tête de M. Homais était-elle donc destinée à être promenée au bout d’une pique sur la dénonciation d’un Yonvillais atrabilaire qui aurait mal apprécié les vertus d’un julep carminatif, triomphe de son art magistral ? Et pourquoi ferait-il les frais de ce tragique carnaval, M. Homais ? Parce qu’un souverain inepte (et circonvenu par une camarilla où trônaient ces messieurs de Loyola) s’était obstiné à mener une politique religieuse mérovingienne ? M. Homais qui avait la tête sur les épaules et qui ne tenait pas du tout à ce que deux parties de son corps soient dissociées par l’artifice d’une ingénieuse mécanique était donc bien fondé à renvoyer tous les abbés Bournisien de la création à la seule psalmodie des orémus. Et puisqu’il y avait nouveau gouvernement, M. Homais veillerait à ce que, dorénavant, le Clergé n’ait aucune part dans les affaires de l’État.

Louis-Philippe allait-il souscrire à ces vœux apaisants ?

Intentionnellement, cela ne fait aucun doute ; mais la réalité se montra différente.

En 1830, la génération du bas clergé qui, unie au Tiers État, avait plus que tenu la plume lors de la rédaction des Cahiers des États Généraux finissait de s’éteindre ; à l’opposé, la hiérarchie ecclésiastique avait solidement repris en main ses séminaristes dans le souvenir inquiet des éventuels imitateurs d’un Sieyès, d’un Fouché ou d’un Talleyrand et, que ce soit de façon directe ou par quelque biais, l’Église intervenait partout, non sans susciter des réactions d’hostilité dont Flaubert garda le souvenir durable.

En effet, l’année même où, âgé de dix ans, Gustave Flaubert était entré au Collège Royal de Rouen, notre actuel Lycée Corneille venait d’être le théâtre d’une véritable insurrection : élèves barricadés dans les dortoirs, brisant le mobilier pour bombarder le proviseur, le censeur et les surveillants repliés en un stoïque carré au centre de la Cour d’Honneur, intervention des pompiers, devant un début d’incendie, et, finalement, assaut de la Garde Nationale pour réduire les mutins.

La cause de ce tumulte ? Cinq élèves menacés de renvoi parce qu’ils ne se confessaient pas assez souvent.

De retour à la maison familiale, le jeune Gustave entendait son père évoquer, non sans acrimonie, l’ingérence du clergé dans son Service hospitalier aussi bien qu’à l’École de Médecine et de Pharmacie qu’il dirigeait.

Certes, beaucoup d’étudiants faisaient preuve d’irrespect envers les Religieuses ; ils ne se gênaient pas pour troubler les prières collectives des malades ou contrarier les aumôniers dans l’exercice de leur ministère, si bien que le père Flaubert était amené à sévir, à renvoyer des élèves qui n’étaient pas toujours médiocres. Ce fut le cas de Louis Bouilhet, externe des hôpitaux — quoiqu’en ce qui le concerne il y eut d’autres motifs qu’une impiété trop affichée.

C’est dans ce contexte que parut, le 15 août 1832, l’Encyclique Mirari vos de Grégoire XVI. Ce pape a été canonisé, ce qui prouve à quel niveau l’Église a placé l’élévation de sa pensée et la source de son inspiration dans le gouvernement de la Chrétienté. (1)

« Toute nouveauté — est-il écrit — bat en brèche l’Église Universelle. C’est le comble de l’absurdité et de l’outrage envers Elle de prétendre qu’une régénération lui est devenue nécessaire, comme si l’on voulait croire qu’elle soit sujette à la défaillance, à l’obscurcissement, ou à toute autre altération. De là découle cette maxime absurde ou plutôt ce délire, qu’on doit garantir la liberté de conscience. Eh ! Quelle mort plus funeste pour les âmes que la liberté de l’erreur — disait déjà saint Augustin ».

« La discipline de l’Église pour l’extinction des mauvais livres n’est autre que de suivre les Apôtres qui ont brûlé publiquement une grande quantité de livres. Jamais on ne fera disparaître la matière de l’erreur, si les criminels éléments qui la propagent ne périssent consumés par les flammes ».

Des précisions doctrinales du même ordre furent répétées dans Qui pluribus (9 novembre 1846) Multiplices inter (10 juin 1851) et Quanta Cura (8 décembre 1864), toutes de Pie IX.

Un texte les résume : le Syllabus, qui énumère la fausseté des propositions suivantes :

— « Les prophéties et les miracles sont des fictions poétiques ; les deux testaments contiennent des inventions mythiques (article VII).

— La philosophie n’a pas à se soumettre à l’autorité de l’Église (articles X et XI).

— la direction des écoles publiques peut être attribuée à l’autorité civile (article XLV).

— Les écoles ouvertes à tous les enfants de chaque classe du peuple peuvent être affranchies de tout autorité de l’Église (article XL VII).

— Des Catholiques peuvent approuver un système d’éducation, en dehors de I’autorité de l’Église, s’il n’a pour but principal que la connaissance des choses purement naturelles (article XL VIII).

— L’Église doit être séparée de l’État (LV).

— Il n’est plus utile que la Religion Catholique soit l’unique religion d’État à I’exclusion de tous les autres cultes (LXXXVII).

— Le Pontife Romain peut et doit transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne (LXXX) ».

Il était affirmé aussi à mainte reprise dans ces textes apostoliques, que le fait de se conformer scrupuleusement aux injonctions de l’Église ne pouvait apporter aucune entrave aux recherches des savants et encore moins nuire aux progrès de la science.

M. Homais devait avoir là-dessus des idées un peu différentes.

Essayons d’oublier le pharmacien encroûté dans un insignifiant village qu’il était devenu et souvenons-nous que la loi de Germinal, qui régit encore aujourd’hui l’exercice de la Pharmacie, ne délivrait pas ses diplômes à n’importe qui.

Rions tant que nous voudrons du bonhomme qui saupoudrait de grec et de latin la plus banale de ses conversations ; en bon normand que nous sommes, admettons qu’il n’était pas si bête qu’il y paraissait et que sa culture générale avait atteint un niveau acceptable. N’est point pédant qui veut.

Tout cela supposait de sa part un long séjour en Faculté ; le contact avec d’authentiques personnalités du monde scientifique tel ce docteur Flaubert, le « Dupuytren de la province », directeur de l’École de Médecine et de Pharmacie de Rouen, lors de ses années d’étudiant.

Il n’y avait là-dedans rien que de très banal dans la mesure où nous nous en tiendrions aux livres d’histoire de notre vieux Lycée qui sont farcis de détails sur les tractations du Traité de Campo Formio mais qui oublient de nous enseigner ce que le monde entier nous envie : la médecine moderne est née en France entre 1800 et 1830 portée sur les fonts baptismaux par Bichat, Corvisart, Laennec, Dupuytren, et le père de Flaubert.

Que cela nous plaise ou non, M. Homais a vécu l’un des plus vertigineux bouleversements qui soient survenus dans l’art de guérir depuis l’aube de la civilisation : il a vu éclore la méthode expérimentale et assisté à la mise au rebut de l’enseignement diafoiresque, cette récitation catéchistique d’affirmations incontrôlables considérées comme définitives parce qu’elles nous venaient du fond des âges.

La méthode expérimentale, c’est la voie royale de la médecine. C’est celle que l’obscur apothicaire a nécessairement parcourue, entraîné par des professeurs « sortis du tablier de Bichat ». Peu importe qu’il n’ait fait qu’entrevoir les magnifiques paysages qui s’offraient à sa vue, qu’il se soit attardé pour contempler sans y comprendre grand-chose l’ébauche des solides monuments de la science future ; l’essentiel, c’est ce qu’il a retenu : aucune vérité révélée n’est crédible tant que des expériences multiples et contradictoires n’en ont pas démontré la vérité.

Hors de cette voie royale, il a aperçu de petits sentiers ne menant nulle part, des culs-de-sac embroussaillés, et des champs d’ignorance où pataugeaient avec leurs troupeaux bêlants des ecclésiastiques solidement défendus contre toute nouveauté par la clôture infranchissable des Écritures Saintes.

Qu’il ait accordé à ces ombres déclinantes le sourire indulgent de l’homme supérieur qu’il se croyait être pourrait passer pour une attitude prétentieuse, mais réaliste ; là où nous comprenons l’agressivité de M. Homais, c’est lorsque cette cohue d’ignorants obstinés se mêlait d’envahir la voie royale pour l’encombrer d’un bric-à-brac tiré des sacristies.

Que l’exploit risible de Jonas, authentique précurseur de la navigation solitaire, soit présenté comme un fait historique indubitable, va pour ce rustaud d’abbé Bournisien ! Mais qu’un pharmacien diplômé soit menacé des tourments de l’Enfer pour tenter d’expliquer aux paysans de Yonville que l’agent de la maladie charbonneuse est une bactéridie récemment découverte par le docteur Davaine, voilà qui dépasse l’entendement ! (2)

Il est facile de nous taxer d’exagération et relever qu’entre des impératifs de principe et leur application pratique il y a une marge dont les moins avisés apprécient l’étendue. Nous savons bien qu’à l’époque où nous nous plaçons, l’Église ne manquait pas de personnalités intelligentes et cultivées, toujours prêtes à découvrir quelque accommodement propre à concilier des opinions contradictoires ; ceci est l’évidence même.

Et pourtant ?

Au moment où Madame Bovary faisait jaser les mauvaises langues de Yonville-l’Abbaye, vivait et travaillait à Rouen un certain docteur Pouchet, directeur du Muséum d’Histoire Naturelle, qui se penchait sur l’origine de la vie.

À la suite d’une série d’expériences conduites selon des méthodes scientifiques remarquables — compte tenu des connaissances du moment — il se crut en mesure d’affirmer que, dans certaines conditions biologiques, des êtres vivants rudimentaires pouvaient éclore aux dépens d’une matière inanimée. Il se révèle ainsi le premier à avoir énoncé l’idée de la « soupe primitive ».

Il présenta ses conclusions à l’Académie des Sciences qui refusa d’examiner ce travail « parce qu’il soutenait une théorie susceptible de donner des armes au panthéisme et au matérialisme » !

Peu importe que Pouchet ait eu tort ou raison : une théorie scientifique ne se discute pas à la lumière des cierges. C’est pourtant ce qui se produisit et Pouchet mourut, oublié, en 1872, laissant des manuscrits que personne ne lisait, puisqu’ils émanaient d’un mauvais esprit notoirement préoccupé de répandre des idées subversives.

Quelle importance — dira-t-on — le directeur du Muséum de Rouen n’a pas été torturé par des Moines inquisiteurs ni confiné en quelque cul-de-basse-fosse ; il a vécu en bon bourgeois provincial, s’est marié et a même eu un neveu qui s’appelle André Gide ?

Une petite chose, quand même. Vers 1960, des chercheurs belges tombèrent sur les manuscrits de Pouchet ; ils s’aperçurent qu’en 1847 le savant rouennais avait décrit avec une telle précision qu’il n’y avait rien à y reprendre le cycle d’ovulation des mammifères, découverte magistrale attribuée à Papanicolaou qui, ignorant tout de ce travail antérieur, la publia de son côté, en 1917.

La conclusion s’offre à nos yeux, navrante dans sa pâle réalité : le scrupuleux respect des directives pontificales a retardé de soixante-dix ans la connaissance d’un phénomène biologique d’une immense valeur thérapeutique. Affirmer que ce fait pénible ait été unique relèverait de la pure niaiserie.

Au terme de cette petite étude, d’où nous condamnons par avance tous ceux qui croiraient y découvrir quelque intention polémique, nous n’hésiterons pas à rappeler que les Écritures Saintes n’ont jamais recommandé de mettre la lumière sous le boisseau et que lourde est la responsabilité des clercs qui ont estimé que leur apostolat se réduisait à jeter au feu tout ce qui semblait dévier de leur propre  doctrine.

Maintenant que l’abbé Bournisien et M. Homais sont confondus dans une même poussière, nous nous complaisons à imaginer que leurs ombres dialoguent en paix dans le séjour bienheureux promis aux hommes de bonne volonté qu’ils étaient I’un et I’autre.

Le curé de Yonville doit avoir bien du mal à saisir le sens des nouveaux textes apostoliques dont l’encre a viré du vert de l’espérance au rouge de la Révolution et le pharmacien ne pas manquer de s’étonner qu’à la place du catholicisme règne sans partage sur l’Université une nouvelle Religion d’État : la Psychanalyse. Elle a, comme tout système clos de pensée, ses pieux dévots qu’il n’est pas bon de contredire, ses prophètes intarissables et son Souverain Pontife : Jean-Paul (Sartre), qui, au moment où l’homme pose le pied sur la Lune, publie une encyclique d’une si haute portée que nous n’hésiterons pas à la citer in extenso : « la Science ne m’intéresse pas ». « Nil novi sub sole » doit dire M. Homais, avec un profond soupir !

Dr Germain GALERANT

(Rouen)

(1) La vérité nous fait un devoir d’établir une distinction entre les vertus qui justifient une canonisation et le travail diplomatique des rédacteurs effectifs des textes pontificaux dont les impératifs peuvent s’opposer.

(2) « Les inondations de la Loire sont dues aux excès de la Presse et à l’inobservation du Dimanche ». Mandement de l’évêque de Metz (décembre 1846).