Flaubert à Vichy

Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 56 – Page 37

 

Flaubert à Vichy

 

Gustave Flaubert a fait deux séjours à Vichy : le premier, du 10 août au 7 septembre 1862 et le second du 12 au 15 juin au 6 juillet 1863. Il est à noter que Napoléon III avait en 1862 quitté Vichy, après avoir achevé sa cure, le 9 août, c’est-à-dire la veille de l’arrivée de Flaubert et qu’en 1863, au contraire, l’Empereur était arrivé dans la station le 7 juillet, le lendemain du départ de Flaubert.

On peut se demander si l’auteur de Madame Bovary faisait exprès de ne pas se trouver à Vichy en même temps que Napoléon III. Il est probable cependant que ces dates lui ont été plus ou moins imposées par son hôtelier, car on sait que les cures impériales posaient un sérieux problème pour les hôtels de la station, certains buveurs d’eaux voulant à tout prix voir l’Empereur et pour cela demandaient, soit à retarder leur départ, soit à avancer leur arrivée d’un jour ou deux.

Pendant ses deux séjours, Flaubert, accompagné en 1862 par sa mère, et en 1863 par sa mère et sa nièce, habita l’Hôtel Britannique appelé aussi l’Hôtel Léger, nom de son propriétaire. Cet hôtel était situé rue Lucas, à côté de l’hôpital militaire. Aujourd’hui, sur son emplacement, un immeuble construit après la première guerre, porte toujours le nom d’Hôtel Britannique. C’était un bon hôtel moyen d’une trentaine de chambres et où le prix de pension était de 6 à 8 francs par jour.

Cet hôtel avait dû être indiqué à Flaubert par son médecin et ami, le docteur Alexandre Willemin qui habitait alors dans la même rue la maison Barnichon, à cinquante mètres seulement.

Alexandre Willemin était né à Strasbourg le 3 novembre 1818. Il suivit l’exemple paternel en faisant ses études de médecine qu’il commença à Strasbourg et acheva à Paris, comme interne des hôpitaux. Sur le conseil de son maître, le professeur Rayer, il prit un poste de médecin sanitaire en Orient où il resta cinq ans, de 1848 à 1853, et séjourna notamment à Alexandrie et au Caire. C’est là qu’il rencontra Flaubert qui effectuait son voyage en Orient. Les deux hommes sympathisèrent et restèrent sans doute en relation.

Le docteur Willemin, qui avait été fait chevalier de la légion d’honneur à trente ans pour sa belle conduite pendant l’épidémie de choléra du Caire en 1848, obtint sans peine la place de second médecin inspecteur adjoint des eaux de Vichy en 1853. Il exerça dès lors dans cette ville jusqu’à sa mort, en 1890. Très vite, il se fit une situation de premier plan dans la station qui connut sous le Second empire un essor extraordinaire.

Dans ses lettres de l’été 1862, Flaubert dit toujours à ses correspondants qu’il va à Vichy pour accompagner sa mère. Il insiste même sur ce point : « Je suis venu ici à Vichy, pour la santé de ma mère » écrit-il à Mlle Leroyer de Chantepie. Il ne fait aucune allusion à un quelconque traitement thermal qu’il aurait pu suivre lui-même et pourtant… un document prouve que Flaubert a bien fait une cure en août-septembre 1862 :

Il s’agit d’une brochure intitulée Clinique médicale de Vichy pendant la saison de 1862 que le docteur Willemin fit paraître en 1863 (Paris –Germer- Baillière, éditeur). Nous l’avons consultée à tout hasard, mais si nous n’avons pas trouvé une seule observation pouvant convenir à Madame Flaubert, la toute dernière page de cette clinique contient, comme s’il s’agissait d’une adjonction importante, mais à part, ce passage qui désigne clairement Flaubert :

« Un homme âgé de quarante ans, d’une haute stature, d’une forte constitution, au retour d’un voyage en Orient, fut atteint d’un ictère rebelle ; il n’éprouvait aucune douleur dans la région du foie. La maladie ayant résisté à différents traitements, il vint à Vichy, où je constatai que le foie tuméfié remplissait tout l’épigastre, dépassant à gauche la ligne blanche de quatre travers de doigt ; à droite, son bord tranchant dépassait le rebord costal d’une pareille largeur. Les digestions se faisaient bien ; la santé générale était bonne. Je prescrivis au malade cinq demi-verres (500 grammes) par jour d’eau de la Grande-Grille et des bains demi-minéraux, à 33 degrés centigrades, de vingt minutes de durée, me réservant d’augmenter progressivement les doses. Je ne le revis plus que vingt jours après ; il s’était scrupuleusement soumis à mon ordonnance, qu’il n’avait outrepassée en rien : le caractère de cet homme distingué m’est un sûr garant de sa véracité. L’ictère avait cédé ; toute la tumeur de l’épigastre avait disparu également ; le bord du foie dépassait seulement encore d’un travers de doigt la moitié externe du rebord des fausses côtes. »

Ce texte pose un certain nombre de questions. Pourquoi Flaubert a-t-il dissimulé à ses amis la cure qu’il faisait à Vichy ? Pourquoi aussi s’est-il contenté d’une seule ordonnance du docteur Willemin et n’a-t-il consulté celui-ci qu’une seule fois, alors que déjà à cette époque existait l’usage des quatre ou cinq visites médicales pendant la cure ? Il est vrai qu’en raison de leurs anciennes relations, ils se sont certainement rencontrés à plusieurs reprises. Quant à cet ictère (qui devait être bien léger), on peut se demander quelle en était l’origine.

Dans le Journal des Goncourt à la date du 21 mai 1862, on peut lire que Bouilhet racontait que Maxime Du Camp s’étant permis quelques critiques contre Saint-Antoine, Flaubert en avait été trois mois malade et en avait eu une jaunisse. Mais pour le docteur Willemin, c’est à son retour d’Orient que Flaubert fut atteint d’un ictère.

Quoi qu’il en soit, Flaubert paraissait guéri après cette première cure de Vichy. Il revint cependant l’année suivante. Fit-il une nouvelle cure plus ou moins clandestine ? C’est très probable, mais nous n’avons pas trouvé jusqu’à maintenant de document permettant de l’affirmer, et la correspondance publiée à ce jour est muette sur ce point.

Armand WALLON

(Vichy)