Deux opinions d’auteurs ayant connu Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 56 – Page 42

Deux opinions d’auteurs ayant connu Flaubert

 

Henri Bachelin

« Ce fut un homme loyal, honnête, sincère. Ce ne furent jamais, ce ne sont pas aujourd’hui qualités si communes, ni qui courent les rues. La réclame lui répugna profondément. Il ne considéra point l’art comme un moyen de s’enrichir. Il n’avait pas besoin d’argent ? Non pas. Mais il sut, se contentant de sa modeste fortune personnelle, ne pas se créer de besoins artificiels, il voulut vivre en bourgeois et penser en artiste.

Car il fut en même temps un artiste, il aima le Beau pour lui-même. Il eut des enthousiasmes frénétiques et d’immenses dégoûts, car la laideur morale le faisait trépigner, souffrir, il vécut uniquement pour l’art. Pas une minute, il ne cessa de marcher, de monter en s’agrippant vers plus de perfection. De ces efforts incessants, il mourut à sa table de travail.

Pourtant, il fut de son vivant, attaqué, méprisé, vilipendé. Des années ont passé depuis sa mort. Son œuvre est là, formant bloc. Elle ne s’est point effritée. Pas un mot inutile n’en est tombé. Mais il y a, encore aujourd’hui, des serpents à s’enrouler autour des socles… ».

Henri BACHELIN (Portraits d’hier, 15 juillet 1909)

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Juliette Adam

Quand je lui parlais de célébrité ou d’influence à exercer comme des choses désirables et que j’estimais, il écoutait, souriait et semblait superbement indifférent. Il admirait ce qui était beau dans la nature, l’art et la littérature et vivait pour cela, disait-il, sans pensée personnelle. II ne songeait nullement à la gloire ni à aucun gain. N’était-ce pas assez qu’une chose fût vraie et belle? Sa grande joie était de trouver quelque chose qu’il jugeât digne d’admiration. Le charme de sa société était dans son enthousiasme pour tout ce qui était noble et le charme de son esprit dans une individualité intense. Il haïssait toute hypocrisie. Ce qui manquait à sa nature, c’était l’intérêt aux choses extérieures aux choses utiles. S’il arrivait à quelqu’un de dire que la religion, la politique, les affaires avaient un intérêt aussi grand que la littérature et l’art, il ouvrait les yeux avec étonnement et pitié. Être un lettré, un artiste, cela seul valait la peine de vivre… ».