Un comparse et son modèle dans L’Éducation sentimentale

Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 57 – Page 30

 

Un comparse et son modèle dans L’Éducation sentimentale
l’acteur Delmar et Paul Bocage

I

Dans L’Éducation sentimentale, le comédien Delmar n’est guère plus qu’un figurant que l’on aperçoit, en quelques épisodes, tiraillé entre deux femmes qui se disputent ses faveurs : Rosanette, la « lionne », et la Vatnaz, l’intellectuelle féministe.

C’est pourtant bien ce comparse qui, dans la galerie des « fruits secs » imaginée par Flaubert, a pour fonction de représenter le monde du théâtre, comme Pellerin représente celui des peintres, Hussonnet celui des journalistes, mais sans que jamais l’acteur prenne la même ampleur que ces deux camarades de Frédéric. Et quoique réduit aux dimensions d’une simple esquisse, Delmar incarne avec assez de précision un certain type de comédien des années 1840 pour qu’il soit possible de déterminer quel modèle, tiré de la vie réelle du théâtre de l’époque, a pu inspirer Flaubert.

Dans le roman (1), Delmar apparaît pour la première fois, de façon fugitive, au cours de la tournée que Frédéric, en compagnie de Deslauriers, effectue à l’Alhambra, « un bal public ouvert récemment au haut des Champs Elysées » (p. 102). À l’orchestre qui entraîne les danseurs succède sur l’estrade un « beau jeune homme, trop gras et d’une blancheur de cire » (p. 104) : « Il avait de longs cheveux noirs disposés à la manière du Christ, un gilet de velours azur à grandes palmes d’or, l’air orgueilleux comme un paon, bête comme un dindon ». Il entame une chansonnette évoquant le voyage à Paris d’un villageois bas-normand qui est pris de vin. Le refrain soulève l’enthousiasme du public :

Ah ! j’ai t’y ri, j’ai t’y ri,

Dans ce gueusard de Paris !

Mettant à profit les bonnes dispositions des spectateurs, Delmar enchaîne, s’accompagnant d’une guitare et « gémit une romance intitulée le Frère de l’Albanaise » (p. 105). Dans la foule, la Vatnaz bée d’admiration, « les narines ouvertes ».

Delmar commence donc sa carrière comme « chanteur expressif », mais déjà on lui promet « comme mime » de beaux succès au théâtre. La scène se situe à la fin de l’année 1842.

On le retrouve, un peu plus tard, en décembre 1845, au cours de la fête donnée chez Rosanette ; il est en costume de Dante, « la couronne de lauriers dorés par dessus son capuchon », accompagné par la Vatnaz, mais déployant déjà toute sa séduction auprès de la maîtresse de maison qui semble fascinée. En trois ans, sa carrière s’est complètement modifiée : il a « quitté le bastringue pour le théâtre » (p. 152). Il a transformé son nom d’origine, Delamare (Auguste), le « perfectionnant » au fur et à mesure que grandit sa notoriété : Dellamare (Anténor), Delmas, Belmar, Delmar enfin, il vient de débuter, « bruyamment », à l’Ambigu, dans Gaspardo le Pêcheur. Ce mélodrame, le plus célèbre, avec Lazare le Pâtre (1840), de toutes les œuvres de l’ancien bousingot, Joseph Bouchardy, constitue le plus grand succès populaire du boulevard : il a connu des centaines et des centaines de représentations. Il a été créé le 14 janvier 1837 ; c’est donc à l’occasion d’une de ses multiples reprises que Delmar est censé s’être imposé (le 9 novembre 1852, par exemple, l’authentique acteur Dumaine, appelé à une brillante carrière, débute à l’Ambigu dans ce même mélodrame).

À cette heure, parfait cabotin, Delmar prend des poses en société : « immobile, une main sur le cœur, le pied gauche en avant, les yeux au ciel, […] s’efforçant de mettre dans son regard beaucoup de poésie, pour fasciner les dames ». On fait cercle autour de lui, malgré les ricanements de Hussonnet, fort monté contre les comédiens qui ont refusé sa pièce.

Le cabotin avait une mine vulgaire, faite comme les décors de théâtre pour être contemplée à distance (2), des mains épaisses, de grands pieds, une mâchoire lourde, et il dénigrait les acteurs les plus illustres, traitait de haut les poètes, disait : « mon organe, mon physique, mes moyens », en émaillant son discours de mots peu intelligibles pour lui-même, et qu’il affectionnait, tels que « morbidezza, analogue et homogénéité ». (p. 153)

Fascinée, Rosanette disparaît pour se réfugier dans la serre avec Delmar. Dans sa fureur jalouse, la Vatnaz évincée révèle, un peu plus tard, à Frédéric tout ce qu’elle a dû faire pour faire passer Delmar du bastringue à la scène : « je l’ai recueilli, je l’ai nourri, je l’ai habillé ; et toutes mes démarches dans les journaux ! » (p. 195).

Pressé par Cisy, le dadais aristocrate, qui le harcèle pour faire la connaissance de Rosanette, Frédéric finit par accepter de la lui présenter. Ils se rendent tous deux chez elle : « Delmar se trouvait là » (p. 205), la jeune femme ayant renvoyé, pour lui, le vieux et riche Oudry. Toujours aussi niais, Cisy est heureux « d’être admis chez une impure, et surtout de causer avec un acteur ». C’est que, à cette heure, Delmar est devenu une célébrité : Un drame, où il avait représenté un manant qui fait la leçon à Louis XIV et prophétise 89, l’avait mis en telle évidence qu’on lui fabriquait sans cesse le même rôle.

On reviendra plus loin sur la nature et la portée du type de répertoire dont Delmar s’est fait une spécialité et qui lui confère désormais une véritable fonction sociologique : pour les gamins qui l’attendent aux portes de coulisses, pour les badauds qui se jettent sur les brochures où il est dépeint « comme soignant sa vieille mère, lisant l’Evangile, assistant les pauvres, enfin sous les couleurs d’un saint Vincent de Paul mélangé de Brutus et de Mirabeau », il est « Notre Delmar » : « il devenait Christ ».

Aux yeux de la Vatnaz, Rosanette ayant enfin rompu avec le comédien (on est à la fin du mois d’août 1847), Delmar est à classer parmi les « sommités de l’époque » ; il représente « le génie même de la France, le Peuple ! ». Il a « l’âme humanitaire », il comprend « le sacerdoce de l’Art » (p. 287).

La Révolution de 1848 marque ainsi naturellement le sommet de la carrière de Delmar. Persuadé d’exercer « sur les masses une influence énorme » (p. 331), il décide de se porter candidat aux élections, prévues pour le 23 avril 1849. Dans un bureau de ministère, il se flatte de pouvoir « réduire une émeute à lui seul » : « et, quant aux moyens qu’il emploierait », il fait cette réponse : — « N’ayez pas peur ! Je leur montrerai ma tête ! » (p. 332).

C’est Delmar qui « pilote » Frédéric dans les clubs foisonnant, où ses interventions sont spectaculaires :

« Delmar ne ratait pas les occasions d’empoigner la parole ; et, quand il ne trouvait plus rien à dire, sa ressource était de se camper, le poing sur la hanche, l’autre bras dans le gilet, en se tournant de profil, brusquement, de manière à bien montrer sa tête. Alors, au fond de la salle, éclataient les applaudissements de la Vatnaz. »

Au Club de l’Intelligence, Delmar fait merveille. Un orateur improvisé ayant dénoncé le scandale des « forts appointements d’acteur », « il bondit à la tribune, prit sa pose ; et, déclarant qu’il méprisait d’aussi plates accusations, s’étendit sur la mission civilisatrice du comédien. Puisque le théâtre était le foyer de l’instruction nationale, il votait pour la réforme du théâtre ; et, d’abord, plus de directions, plus de privilèges ! » (p. 337) (3).

Le jeu de l’acteur enflamme la multitude et suscite les motions les plus subversives : « plus d’académies ! plus d’Institut !— Plus de baccalauréat ! — À bas les grades universitaires ! » (p. 338)

On entrevoit Delmar une dernière fois dans le roman, fugitivement, après les journées de Juin, c’est-à-dire après l’écrasement de l’émeute populaire. Se rendant chez la Vatnaz pour régler une dette contractée par Rosanette, Frédéric tombe en plein « raout », au milieu de « femmes vêtues généralement de couleurs sombres, sans cols de chemises ni manchettes », de « cinq ou six hommes, tous des penseurs » (p. 391).

« Debout, devant le piano que touchait une demoiselle en lunettes, Delmar, sérieux comme un pontife, déclamait une poésie humanitaire sur la prostitution ; et sa voix caverneuse roulait, soutenue par les accords plaqués. »

Puis, Delmar disparaît, définitivement.

Et rien ne marque mieux à quel point Flaubert considère son personnage comme secondaire que cette indifférence avec laquelle il l’abandonne à un sort qui demeure, pour le lecteur, parfaitement incertain. Lorsque, à la fin de l’année 1867, Frédéric et Deslauriers, réconciliés, se retrouvent au coin du feu pour évoquer de vieux souvenirs, ils font le point sur le sort qu’ont connu leurs anciens amis. Ils passent en revue, non seulement les premiers rôles du récit, mais encore les comparses : Martinon, Hussonnet, Cisy, Pellerin, Sénécal, le vieux Oudry, et même l’inexistant Compain. Ni l’un ni l’autre ne se préoccupent de savoir ce qu’il est advenu de « notre Delmar ».

II

Ce qui ne veut pas dire que le personnage soit insignifiant, bien au contraire.

Sans doute Flaubert ne se soucie-t-il à aucun moment d’approfondir en quoi que ce soit sa personnalité : un cabotin poseur et infatué de lui-même, un sot au total, — à ce trait se réduit l’analyse, tout à fait sommaire. Delmar n’est qu’une silhouette, à la limite de la caricature, exclusivement vue de l’extérieur. Et le comédien n’est même pas décrit en action, sur une scène de théâtre, dans un de ses rôles, dont plusieurs sont pourtant évoqués avec précision.

C’est que, dans la perspective générale de son roman, Flaubert n’est pas intéressé par la psychologie du cabotin, en tant que tel. De même, au contraire de Zola qui, plus tard, s’appliquera à déterminer les éléments qui justifient la fascination exercée sur Nana par l’acteur-pitre Fontan, Flaubert ne songe pas à s’attarder à la nature des relations qui s’établissent entre Rosanette et l’acteur-Christ.

L’intérêt que porte Flaubert à son personnage procède exclusivement de sa volonté de faire le portrait d’une génération perdue et, avec cette intention-là, il ne pouvait pas plus éviter le journaliste futile et plus ou moins véreux (une ébauche du Fauchery de Zola, encore), le peintre socialisant, que le comédien qui se pare de convictions humanitaires et démocratiques.

Delmar est un raté, comme Pellerin (dont pourtant la sincérité ne peut être mise en doute), qui se laisse porter, jusqu’au triomphe, par un courant d’opinion qui n’est, en fin de compte, aux yeux de Flaubert, qu’une mode. Mais, à travers la brève évocation des rôles qui font le succès de Delmar, il ressort avec force cette idée essentielle à savoir que le mélodrame, comme son frère anobli le drame romantique, est avant tout une œuvre de protestation égalitaire, l’écho d’une volonté de subversion.

Trop longtemps et trop vite, on a réglé leur compte au mélodrame et au drame romantique, en considérant le premier comme une simple forme de divertissement plébéien, à mettre au même niveau que le cirque ou les funambules, le second comme le fruit d’imaginations débridées, éprises de couleur locale en toc ou d’enjambements incohérents, et défiant allègrement la plus élémentaire vraisemblance. Alors que le fond même de ce répertoire, ce qui lui a donné sa résonnance profonde, en dehors du Théâtre Français assurément, mais à l’Odéon à la Porte Saint Martin, à l’Ambigu, c’est sa fondamentale valeur revendicative.

L’Éducation sentimentale est pleine, on le sait, de cette évocation de la révolte de certains esprits contre le régime instauré en 1830 et tout ce qu’il a incarné et protégé de médiocrité « juste-milieu », de bassesse d’inspiration et d’injustices sociales. Fumeuses songeries d’utopistes : tel est le diagnostic que porte Flaubert, bien revenu de ses enthousiasmes de jeunesse. Mais, au jugement de valeur près, l’opinion formulée est objectivement juste : exception faite des innocents vaudevilles du Gymnase, des comédies de Scribe (le véritable maître-auteur du temps), tout ce théâtre des années 1830-1848, d’Hernani à Chatterton, de la Tour de Nesle à Gaspardo le Pêcheur, est un théâtre de rejet. Les mélodrames de l’Ambigu, comme naguère ceux de Pixerécourt, portent aisément à sourire ; mais ils n’auraient pas, les uns et les autres, connu des centaines et des centaines de représentations, s’ils n’avaient pas, sans doute maladroitement et sommairement, répondu à la profonde aspiration d’un public qui n’était pas seulement un public populaire.

On n’insistera jamais assez sur le fait que les réactions violemment hostiles enregistrées, dans le public traditionnel, c’est-à-dire le public bourgeois, aux représentations des drames de Hugo, Dumas, ou Vigny, ne s’alimentaient pas, en profondeur, à l’indignation éprouvée devant des audaces de versification ou des absurdités d’intrigues. Ce qui, plus ou moins consciemment, s’exprimait dans les huées qui accompagnaient Hernani, Chatterton (4), ou le Roi s’amuse, c’était un sentiment d’anxiété devant la remise en question d’un ordre établi, par cette perpétuelle réhabilitation du hors-la-loi, du rebelle, de la fille de joie, par cette dénonciation de l’autorité toujours présentée comme arbitraire (5), par cette exaltation de l’opprimé et de l’innocent (6). Ruy Blas est sans doute la très romanesque aventure du « ver de terre amoureux d’une étoile » ; mais, pour bien des spectateurs, c’était — scandale ou jubilation — le triomphe du valet fustigeant le régime de l’argent, la corruption généralisée de tous ces « ministres intègres, conseillers vertueux » qui prétendaient être au service d’un Etat qu’ils dépeçaient. Un mélodrame comme la Tour de Nesle de Dumas a certes séduit des foules considérables par le rythme de son mouvement dramatique, par le clinquant de sa couleur locale, par ses joyeuses absurdités même ; mais tous les témoignages concordent pour établir que la vengeresse tirade (due à la plume de Jules Janin) par laquelle, avec quelque démagogie le héros, Buridan, règle son compte aux « grandes dames » dépravées, a été un élément déterminant, pendant des mois et des années, pour assurer le succès du drame (7).

L’Éducation sentimentale ne manque pas de faire une très rapide allusion à l’une de ces pièces de Dumas, le Chevalier de Maison-Rouge (créée le 3 août 1847, au Théâtre Historique que l’auteur venait d’ouvrir à son propre compte). Hussonnet vient d’assister à la représentation et déclare qu’il a trouvé « ça embêtant » (p. 295). Le petit groupe des jeunes démocrates proteste, ce drame « caressant leurs passions ». Sénécal demande si la pièce sert « la Démocratie » :

— « Oui… peut-être ; mais c’est d’un style …

— Eh bien, elle est bonne, alors ; qu’est-ce que le style ? c’est l’idée. »

La pièce sert la Démocratie par l’évocation des grands « patriotes de 93 », et surtout par son 5e acte qu’encadrent les deux tableaux qui mettent en scène, l’un (décor : la salle du Tribunal révolutionnaire) la fin du procès des Girondins, l’autre (décor : la salle des morts à la Conciergerie) leur banquet et leur hymne final : « Mourir pour la Patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie ! » : les Girondins, figures de proue de la grande Révolution, dans l’imagerie des « démocrates ». Le drame de Dumas connut, phénomène unique pour l’époque, 134 représentations consécutives.

Quand, dans les préfaces qu’il donne à ses drames et qui, sans doute, sont d’une idéologie quelque peu fumeuse, Hugo se fait l’aède du « Peuple », proclame que « le théâtre est une tribune […], une chaire » et qu’il est investi d’une « mission nationale, une mission sociale » (8), il se prend terriblement au sérieux. Quand Dumas, à longueur de drames « historiques », déclame, par héros caracolant interposé, contre les Grands, princes, ministres, capables des pires noirceurs, il ne fait qu’aller au devant des préjugés populaires et simplificateurs. Quand on sait que, dans ce répertoire, la Société, commode abstraction, est constamment dénoncée comme tarée, oppressive, fondamentalement injuste (le Riche et le Pauvre, Emile Souvestre, 1836), écrasant le prolétaire (l’Ouvrier, Frédéric Soulié, 1840), piétinant l’esclave (le Nègre, Ozanneaux, 1832 ; Le Noir d’Aïambo, Boulé et Parisot, 1835), ou réduisant encore la femme à l’état d’objet (Marie ou les Trois Epoques, Virginie Ancelot, 1835 ; Angèle, Dumas, 1833), quand on sait que cent mélodrames reprennent tous ces thèmes qu’orchestrent les écrits des doctrinaires, des journalistes, les envolées des orateurs publics, on comprend pourquoi Flaubert ne pouvait pas éviter de faire une place, dans son roman, à un personnage qui, fût-ce de façon fugitive, évoquerait ce bouillonnement dramatique et idéologique.

III

Or il se trouve que, au sein de la génération des acteurs romantiques, un comédien a, plus que tout autre, incarné ce type d’acteur, adoré du public, fervent « démocrate » et donnant le meilleur de lui-même et de son talent à l’interprétation de ce répertoire que soulève une intention « subversive » : Paul BOCAGE. Et il paraît impossible de contester que, en concevant son Delmar, Flaubert a mis dans son personnage beaucoup de cet acteur-Peuple, acteur-Christ.

On le sait, Bocage qui fut le créateur d’Antony, de Buridan, de Didier dans Marion de Lorme, qui faillit jouer le rôle de Gilbert dans Marie Tudor, est, avec Frédérick Lemaître et Marie Dorval, l’un des trois grands comédiens qui dominèrent la scène française à partir de 1830.

On ne saurait, bien entendu, calquer la carrière dramatique de Bocage sur celle de l’imaginaire Delmar. Non seulement parce que le personnage de Flaubert est, en 1842 un « jeune homme » et qui s’applique à pousser la chansonnette dans les bastringues alors que Bocage était né en 1799 et que, dans les dernières années de la Monarchie de Juillet, il était un acteur parfaitement consacré, sinon indiscuté. Mais surtout parce que Bocage fut un grand et authentique comédien, alors que Delmar, même triomphant dans le mélodrame, demeure un simple histrion.

Il n’empêche que, sur deux points qui constituent l’essentiel de la figure de Delmar, le destin de Bocage recoupe celui du comédien imaginaire : les convictions idéologiques d’une part et, d’autre part, le type de rôles interprétés, — ceux-ci se confondant naturellement avec celles-là.

L’aspect physique prêté au « chanteur expressif », déjà, est très proche de celui du créateur d’Antony : le beau jeune homme aux longs cheveux noirs disposés à la manière du Christ reproduit assez fidèlement l’image de Bocage ; tel qu’on le trouve dans les gravures qui le représentent, avec sa chevelure d’ébène à partir du triomphe de 1831 : séduction et fatalité. Les « mains épaisses », les « grands pieds » de Delmar ne font peut-être que transposer les défauts physiques du modèle, ces genoux cagneux et ces jambes traînantes qui ont longtemps constitue un handicap pour Bocage (« que de travail il m’a fallu pour me faire accepter du public avec de pareilles jambes ! »).

Comme ceux de Delmar, les débuts de Bocage ont été très lents et difficiles. Il n’avait certes pas chanté dans les bals publics, mais il avait fait très tôt, l’expérience de la misère : fils d’ouvrier tisserand, il avait, tout enfant, cardé du coton au salaire de 3 francs par semaine (et c’est de cette expérience-là qu’il tira la sincérité de ses convictions politiques), puis suivi en province une troupe de dixième ordre, avant de débuter dans le mélodrame (comme Delmar) au théâtre de la Gaité (Alice ou les Fossoyeurs écossais, 1829) et de s’imposer dans Antony de Dumas (1831) de façon aussi éclatante que le personnage de Flaubert dans Gaspardo le Pêcheur de Bouchardy (9).

Bocage n’a ni créé ni joué ce triomphant mélodrame (un prologue, 4 actes et 5 tableaux) qui fut représenté pour la première fois le 14 janvier 1837 le rôle principal étant tenu par Guyon, alors âgé de vingt-huit ans, et qui s’était révélé de fracassante façon dans le Caravage de Paul Foucher (26 avril 1834) au point de mériter d’être appelé « le Talma du boulevard ». Le registre de ce Guyon n’était en aucune façon celui de Bocage, — ni de Delmar ; le comédien ne donnait ni dans le sarcasme vengeur ni dans la malédiction fatale : Théophile Gautier l’a évoqué, gigantesque gaillard, doté d’une formidable voix de basse-taille digne du célébré Lablache, — l’interprète rêvé du mélodrame populaire, simple et direct ce qu’est précisément ce Gaspardo (10).

Si défraîchi que nous paraisse aujourd’hui Antony, le drame de Dumas est tout de même supérieur à la pièce de Bouchardy. Celle-ci oppose, de la façon la pus traditionnelle et la plus sommaire, le Méchant au Vengeur-Justicier. Le Méchant, c’est un très grand seigneur, ce duc Visconti, qui a « séduit et déshonoré » la sœur « jeune et pure » du pauvre lazzarone Pietro, « séduit et déshonoré » la fiancée du modeste laboureur Raphaël, et qui « accable » d’un amour infâme Catarina, la femme de l’humble gondolier Gaspardo (Prologue, scène 2) De toutes ses forces, Catarina résiste au puissant duc (« Vous venez ici, souillant les lois de la religion et de l’humanité ! »), qui s’apprête à user de la violence (« La vassale me défie ! À moi, mes estafiers ! », scène 6) : pour se soustraire à la salacité du grand seigneur, il ne reste plus à Catarina qu’à se suicider.

Le Vengeur-Justicier, c’est naturellement Gaspardo, présenté d’emblée, dès la scène 1, soulevé par la « violence de sa haine pour les nobles », ces nobles qui « dépensent tant de sequins en fêtes et festins qu’il ne leur en reste plus pour payer la solde » (scène 3).

À travers mille péripéties, corsées de reconnaissances d’enfants perdus et retrouvés, Gaspardo, Pietro, Raphaël, — le Peuple — poursuivent leur œuvre de salubrité publique en immolant le lâche procurateur Contarini qui, comme le duc Visconti, devant le danger appelle à l’aide ses sbires (« Pour répondre au valet qui le provoque, un noble appelle ses gardes ! », acte II, scène 1) ; et, finalement, en chassant de son trône l’infâme Visconti (que l’on avait cru mort). Terreur de Visconti lorsque, traqué par l’émeute populaire, il voit reparaître devant lui l’époux de Catarina :

Visconti — « Quel homme es-tu donc, toi qui as tous les secrets, toi, l’homme obscur pour qui le peuple s’arme ? » (acte III, scène 2).

Et triomphe du pêcheur Gaspardo, dressé contre les pouvoirs :

Gaspardo — « Où sont donc, à cette heure, les bataillons qui gardaient hier le palais ducal ? […] Vous avez pris au peuple son connétable (11), vous le lui avez tué, le peuple de Milan se venge ! […] Oui, noble orgueilleux, ce sont les trois vassaux que tu as déshonorés ! »

Tel est, très schématiquement, ce bruyant et simpliste mélodrame, riche en coups de théâtre, que Flaubert place au point de départ de l’imaginaire carrière dramatique de Delmar. Gaspardo incarne le Héros-Peuple, le Révolté, qui dénonce l’injustice, l’arbitraire et l’ignominie des Puissants. Tel est le type de rôle qui va faire la fortune de Delmar.

Or si Bocage n’a jamais tenu ce rôle de Gaspardo (12), il s’est fait, très tôt, dès Antony, une réputation exceptionnelle dans l’interprétation de personnages qui en sont très proches : le contempteur des lois, le dénonciateur de l’hypocrisie, l’accusateur public de l’ordre établi. Car, s’il est bien vrai que le triomphe d’Antony fut dû à l’exceptionnelle efficacité de l’intrigue, à l’excellence du jeu des acteurs (c’est Marie Dorval qui donnait la réplique à Bocage), on ne doit pas oublier que c’est la vertu « contestataire » de la pièce qui emporta l’adhésion d’un public « volcanique », « incandescent » (Gautier) qui, aux yeux des spectateurs bourgeois, ne rêvait que rébellion, dévergondage de l’esprit et des mœurs et furieuses revendications contre l’ordre social. Quand on évoque aujourd’hui Antony (pour en sourire), on rappelle inévitablement les sataniques exclamations du héros dans le style : « Enfer et damnation » ou « Satan en rirait ». Mais on néglige trop les répliques, les couplets par lesquels le héros jette l’anathème sur une Société qui consacre le triomphe de l’injustice et l’oppression de l’individu, surtout s’il est ce que nous appellerions aujourd’hui un « marginal » : les tirades protestant contre le sort fait aux Enfants Trouvés, contre les « conventions de la Société » qui ont été adoptées « par égoïsme » (II, 4), et proclamant le droit de l’individu à rejeter les lois (II, 5), eussent été acclamées par Regimbart et ses amis, tout comme le regret exprimé par le héros de ne pas s’être « perdu dans le peuple ». Quant à la grande scène (IV, 6) au cours de laquelle est ridiculisé, pour son conformisme, son esprit « juste milieu », le très bourgeois baron de Marsanne, fidèle lecteur du Constitutionnel, et pendant laquelle encore Mme de Camps, l’amie perfide d’Adèle, est fustigée par Antony avec une âpreté qui annonce déjà l’envolée de Buridan dénonçant l’hypocrisie des « grandes dames », cette scène était exactement calculée pour électriser le turbulent public de la Porte Saint Martin (on sait que Dumas dut renoncer à se faire jouer au Théâtre Français) et correspondait admirablement au registre personnel de Bocage.

Gaspardo et Antony lancent donc Delmar et Bocage. Et, désormais, on ne cesse plus de leur tailler des rôles à la mesure de l’un et de l’autre. De son personnage, après qu’il a représenté le manant faisant la leçon à Louis XIV et prophétisant 89, Flaubert écrit :

« […] on lui fabriquait sans cesse le même rôle ; et sa fonction, maintenant consistait à bafouer les monarques de tous les pays. Brasseur anglais il invectivait Charles 1er ; étudiant de Salamanque, maudissait Philippe II ; ou, père sensible, s indignait contre la Pompadour, c’était le plus beau ! » (p. 205)

On croirait trouver ici, aux indispensables ajustements près, un raccourci des rôles tenus par Bocage, et il serait facile de reprendre la phrase de Flaubert pour l’appliquer au répertoire qu’il interpréta.

Bocage, dans le rôle de Faruch le Maure (Victor Escousse, 1831), Africain invectivant un grand seigneur portugais qui l’humilie en évoquant avec dédain le « sang noir » qu’il porte dans ses veines (13). Bocage dans le rôle du vieux colonel d Empire Delaunay (Teresa, A. Dumas, 1832) maudissant une monarchie qui donne la Légion d’Honneur, un titre de baron et un poste d’envoyé extraordinaire à un jeune noble « bon à rien », « qui n’a encore rien fait pour son pays », dont le seul mérite est d’avoir eu un père qui a combattu pour la cause royale ; Delaunay clame son mépris vengeur : « Son père combattait pour un homme ; moi je combattais pour la France ! » (IV, 13) : « C’est une amère dérision de tout ce qui est noble et grand ».

Bocage, dans l’inoubliable rôle de Buridan, chevalier de fortune, sans naissance ni titres, jetant au visage de la reine Marguerite l’infamie de ses débauches, de ses crimes ; fustigeant la perversion de ces inconnues masquées qui ont « blasphémé, tenu d’étranges discours et d’odieuses paroles », « oublié toute retenue, toute pudeur » : « Ce sont de grandes dames, de très grandes dames, je vous le répète ! » (II, 2, 5) ; dénonçant une Reine qui a fait tuer son vieux père par son amant (« Oh ! ce fut une nuit affreuse ! … C’était une noble tête de vieillard, calme et belle, que l’assassin a revue bien des fois dans ses rêves ») et qui a donné l’ordre de faire disparaître ses deux enfants.

Bocage dans le rôle de Christian de Clotilde (Frédéric Soulié, 1833), mettant à nu tous les vices de la Société. Bocage dans le rôle d’Alfred d’Almivar (Angèle de Dumas, 1833), souffletant l’ordre social en se glorifiant de son cynisme d’homme qui se sert des femmes (par elles, il obtient tout, « pensions, titres, croix », I, 2).

Bocage obtenant de Harel une reprise (1834) à la Porte Saint Martin du vieux Pinto de Lemercier, pour le seul plaisir de voir monter un drame évoquant une conspiration contre Philippe II, et de pouvoir, dans le grand monologue de l’acte III, lancer un « À bas Philippe » qui, pour lui comme pour son public, ne s’adressait pas au roi d’Espagne, avant de poursuivre : « Qui êtes-vous ? des fondés de pouvoir qui mangez notre bien », — bien avant Ruy Blas et sa sortie contre les « ministres intègres » (14).

Bocage, enfin et surtout, dans le rôle d’Ango (Félix Pyat, 1835), l’armateur dieppois dont François 1er vient de violer la femme, insultant à loisir le roi qui, lâche par surcroît, refuse de se battre en duel et s’évanouit de peur (ce qui constitue un progrès dans l’abjection par rapport au François 1er du Roi s’amuse).

On ne saurait en douter : Delmar eût fait merveille dans ces rôles-là (15).

Mais il y a plus. Delmar, on l’a vu, ne se contente pas de clamer sur scène son aversion pour les monarques et leurs régimes pourris ; il est, dans la vie, un militant convaincu de la cause républicaine, humanitaire et socialisante.

Or il en fut de même pour Bocage.

Le dur apprentissage de la vie l’avait très tôt ancré dans des convictions radicalement « démocratiques ». Il avait joué un rôle actif sur les barricades de 1830 et l’avènement du Roi des Français l’avait déçu au plus profond de lui-même : son aversion pour le juste-milieu, pour celui que, dans sa correspondance, il appelait, selon la tradition des caricaturistes, « Louis-Poire », était extrême ; elle s’entretenait d’une idéologie libertaire qui le conduisait à souhaiter ardemment le renversement du régime et l’instauration de la République, parée de toutes les vertus et de toutes les promesses. « J’ai le juste-milieu en horreur », écrivait Bocage au secrétaire du Théâtre Français, comme il avait en horreur « ce scélérat de Constitutionnel […] Je l’ai abîmé dans Antony, dans l’Incendiaire ; j’ajoute partout quelques jolies petites phrases : il n’y en avait pas assez dans Antony. Je finirai par en placer dans la Tour de Nesle » (16). Évoquant ses âpres discussions avec ses trois principaux acteurs, Harel, directeur de la Porte Saint Martin, disait : « — À Frederick (Lemaître) je donne un supplément d’appointements ; à Lockroy, je reçois une pièce ; mais Bocage me demande la République, et je ne peux pourtant pas la lui donner ! ».

Et de même que Delmar apparaît comme une sorte de Christ, Bocage était connu pour ses sentiments profondément religieux : « un chrétien », écrivait Félix Pyat dans l’article biographique qu’il lui consacrait dans la Revue de Paris en septembre 1835.

La Révolution de 1848 combla naturellement les vœux de Bocage, qui se lança alors à corps perdu dans l’action politique. Une tradition veut même que ce soit lui qui, au cours de la tumultueuse séance de la Chambre, le 24 février, ait lancé, à pleins poumons : « À l’Hôtel de Ville ! Lamartine en tête ! ». C’est au Club de l’Intelligence que pérore Delmar : c’était au Club du Conservatoire que se prodiguait Bocage qui, comme le personnage de Flaubert encore, décida de solliciter un mandat de député. Bocage se vit rejeté par ses pairs qui — ô dérision — lui reprochaient de n’avoir pas, au cours de sa période de direction de l’Odéon (1845-1847), « suffisamment mis en pratique le principe de la juste rémunération du travail » et préfèrent désigner un autre candidat (le vieux Michelot) pour représenter le monde du théâtre lors de la consultation électorale. Bocage sollicita alors le patronage de Lamartine lui-même et l’on connaît le texte de l’affiche par laquelle « le citoyen Bocage » se présentait aux électeurs ; il reproduisait la lettre qu’il avait envoyée à Lamartine et où il se déclarait prêt « à donner [sa] vie pour la République », où il rappelait sa jeunesse d’ouvrier-tisserand, où il faisait valoir que, de toutes ses forces, dans « l’art si difficile du théâtre », il avait « étudié le cœur humain ». Il citait encore la réponse reçue : « Sans ombre d’hésitation, mon cher Bocage, je vous réponds : oui ». Bocage fut donc candidat dans la Seine-Inférieure — sans succès. Ce qui, d’ailleurs, ne le rebuta pas, puisqu’on le vit ensuite animer les réunions professionnelles, participer aux travaux des commissions parlementaires chargées d’étudier la crise des théâtres, avant de, revenu à la direction de l’Odéon, reprendre la petite guerre avec des pouvoirs publics dont la bourgeoise prudence lui rappelait trop le régime de « Louis-Poire ». Pour Bocage, « la lutte continue » ; elle continua jusqu’à la révocation incluse.

On ne saurait donc douter que, en composant son Delmar, Flaubert se souvenait, plus ou moins confusément, des traits les plus marquants de la personnalité et de la carrière de Bocage.

Mais on voit bien comment, sous l’empire du parti-pris qui inspire son roman, Flaubert transforme le personnage réel. Évoquant une génération perdue, une génération de « fruits secs », dont il dépeint sans indulgence les illusions, le verbalisme, l’inopérante agitation (l’ouvrier Dussardier fait seul exception), il s’applique à rendre ces jeunes gens pitoyables ou dérisoires. Delmar adopte les mêmes attitudes politiques que Bocage, il tient le même type de rôles à succès Mais rien n’indique que les convictions affichées par Delmar sont autre chose qu’un filon qu’il exploite pour sa publicité personnelle ; tout indique, d’autre part qu’il n’est qu’un histrion sans talent. Alors que le républicanisme de Bocage procédait d’une générosité réelle et d’une sincérité qui ne fut pas toujours favorable à sa carrière ; alors, aussi que Bocage fut un très grand comédien, dont le style assurément ne plaisait pas à tout le monde, mais dont nul ne contestait la puissance. De même que Regimbart, le Citoyen, n’est rien d’autre qu’un déclamateur de cafés, rabâcheur et stérile, alors que la réalité historique ne manque pas de républicains convaincus et actifs en dépit de leur échec, provisoire d’ailleurs ; de même Delmar est un simple cabotin, qui n’aurait ni la sincérité ni le génie de son modèle.

Quand parut le roman, élaboré dans sa version définitive entre 1863 et 1869, Bocage n’était plus là pour prendre connaissance de cette image déformée que Flaubert donnait de ce style dramatique qu’il avait si brillamment illustré : il avait disparu, le 31 août 1862, au terme d’années difficiles, proches de la misère qui lui avait été si familière dans sa jeunesse.

Maurice DESCOTES

Bonn (Allemagne)

(1) Les références à L’Éducation sentimentale et à Bouvard et Pécuchet sont données par rapport à l’édition de la Pléiade des Œuvres de Flaubert (tome II).

(2) Cette notation sur le physique de Delmar, fait pour être contemplé à distance, est à rapprocher de celle que l’on trouve sous la plume de Proust évoquant, dans la Recherche le visage de la comédienne Rachel, qui doit être vu avec l’éloignement de la scène, les défauts de ce visage cessant alors d être visibles (éd. Pléiade, II, p 174)

(3) En cette année 1849, lendemain de Révolution, la question des « privilèges » fut en effet âprement débattue. On lira, dans les Souvenirs dramatiques de Dumas (t. Il, p. 180 et sq., éd. Calmann-Lévy) le récit de la séance du Conseil d’Etat à laquelle furent conviés, outre Dumas lui-même, Hugo, Scribe, E. Souvestre, Bayard, Mélesvllle. À l’opposé de Scribe, qui défendait la pratique des privilèges, Dumas réclama vigoureusement leur abolition : « Je ne conçois point les privilèges : dès qu’il y a privilège, il y a abus ». Delmar ne se serait pas exprimé autrement. Hugo rejoignait Dumas : « point de privilèges ! », « le privilège ne crée que des théâtres factices » (p. 208). Hugo développait d’autre part avec fougue la thèse de Delmar sur la mission civilisatrice du théâtre, capable de servir la cause de « l’amélioration populaire » et de la « moralisation universelle » (p. 202).

(4) Cf. Bouvard et Pécuchet (p. 843) : Marescot s’indigne : « — Il va trop loin, votre théâtre ! — Pour cela je vous l’accorde, dit le comte, des pièces qui exaltent le suicide ! ».

(5) Cf. Bouvard et Pécuchet (p. 843). « Victor Hugo a été sans pitié, oui, sans pitié pour Marie Antoinette, en traînant sur la claie le type de la reine dans le personnage de Marie Tudor ».

(6) Cf. Bouvard et Pécuchet (p. 835) : l’ouvrier Gorju applaudissait tout ce qui était pour le peuple dans les mélodrames ».

(7) Cf. Dumas, Mes Mémoires (éd. Denoël, 1942), t. Il, p. 352 : « On se rappelle le succès qu’eut cette tirade à la première représentation, et je dirai même qu’elle a eu aux sept ou huit cents représentations suivantes ».

(8) Cf. encore : « le peuple orphelin, pauvre, intelligent et fort, placé très bas et aspirant très haut, ayant sur le dos les marques de la servitude et dans le cœur les préméditations du génie … », préface de Ruy Blas.

(9) Dans Bouvard et Pécuchet (p. 837), nouvelle référence au mélodrame de Bouchardy : Dumonchel le cite en exemple comme un des « grands succès contemporains ».

(10) Guyon fini par entrer en 1840, au Théâtre Français, où il créa notamment le rôle de Magnus dans les Burgraves.

(11) Ce connétable, noble figure, est Jacoppo Sfore, père du jeune héros, pur et vaillant, Francesco, qui va être porté sur le trône de Milan.

(12) Mais, de Bouchardy, Bocage a créé, à l’Ambigu, Christophe le Suédois (1839). Ce qui confirme l’identité de son répertoire favori et de celui de Delmar.

(13) À l’instar du Visconti, du Contarini de Gaspardo, le noble portugais, refusant le duel que lui offre Faruch, menace son adversaire de le frapper « avec un bâton, comme un porc à l’engrais ». Réplique frénétiquement lancée par Faruch-Bocage : « Tout autre qu’un sot noble aurait mieux su, je gage, qu’un porc peut, s’il le veut, lui cracher au visage ! ». La hardiesse de l’image du porc crachant au visage d’un Grand fut ardemment acclamée.

(14) La pièce fut interdite, puis autorisée avec des coupures. Bocage a raconté comment il remplaça alors les mots retranchés par « des gestes, des allusions qui firent plus d’effet encore que les mots n’en avaient produit » (cf. P. Ginisty, Bocage, p. 94)

(15) il faudrait encore citer bien d’autres rôles du même type : celui, dans l’Incendiaire (Antier et Decomberousse), du vieux curé pauvre, honnête et libéral, qui dénonce les vices d’un abominable archevêque qui n’hésite pas devant le crime ; celui de l’avocat Antoine Larry (Le Riche et le Pauvre, Émile Souvestre), se déchaînant contre l’égoïsme oppressif des puissances d’argent ; celui de Brutus dans la Lucrèce de Ponsard dans lequel Bocage exultait d’être salué, de très républicaine façon, par son partenaire : « Salut, Brute, salut, premier consul romain ! ».

(16) Cf. Ginisty, op. cit., p. 99-100.