Vie de la Société

Les Amis de Flaubert – Année 1984 – Bulletin n° 64 – Page 5

 

 

Vie de la Société

Lucien Andrieu 1905-1984

Notre secrétaire de toujours, depuis la reconstitution de la société en 1948, est décédé le 23 mai dernier, à l’hôpital de Bois-Guillaume où il avait été transporté quelques jours auparavant. Le lundi suivant, nous étions nombreux à l’accompagner au cimetière de Bonsecours, où il est enterré dans son caveau familial. Couple très uni, il repose maintenant près de son épouse décédée accidentellement en août dernier. A vrai dire il ne s’était jamais remis de cette fatalité. Depuis, la solitude lui pesait profondément, surtout le soir, quand il revenait chez lui, après nous avoir rencontrés au cours de la journée. Il se retrouvait seul dans sa maison qu’il a occupée une cinquantaine d’années. Tout le passé heureux avec sa femme et ses fils lui revenait trop à l’esprit.

De quoi médicalement est-il mort ? Anémie ou petite crise cardiaque, sans doute les deux en plus avec le perfide ennui. À un de nos amis, qui l’a encore vu deux heures avant son décès et en apparente amélioration, il lui disait : « Même malade, j’ai encore du goût pour la vie. »

La semaine précédente, nous avions encore préparé ensemble l’excursion prévue pour le 27 mai, en allant à Vernon-Giverny, pour faire le circuit prévu. Il s’est montré assez heureux, mais je sentais qu’il faisait un effort sur lui-même pour m’être agréable, comme si un ressort s’était brisé en lui. En revenant par Magny et Écouis, il me dit cette phrase sibylline : « Je ne conduis plus aussi bien qu’à trente ans. Je ne pense pas que l’an prochain je pourrai encore m’en occuper. » Curieux présage !

Pour les Amis de Flaubert sa disparition si rapide en moins de dix jours, est un grand deuil et un grand vide. Depuis 1961, notre bulletin a été le travail régulier de nous deux. Chaque fois au moins deux cents heures. Nous nous étions partagés les tâches : il préparait l’envoi et les excursions. Sans lui, tout me paraît impossible. À la mort de Jacques Toutain, il a insisté pour que je devienne le président de la société, pour que notre jeune société puisse vivre et survivre. Nous avons ensemble développé notre bulletin et lui avons donné un rayonnement international, même si nous avons été moins nombreux que nous l’aurions désiré. Il fut mon meilleur ami rouennais. Pendant vingt-trois ans, nous avons formé un tandem surprenant sans l’ombre d’un murmure ou d’un reproche. Notre confiance réciproque était absolue. Je lui dois beaucoup et je tiens à l’exprimer publiquement à l’heure de notre définitive séparation. Mon sentiment est celui de tous ceux qui l’ont bien connu.

À ses deux fils, à ses quinze petits et arrière-petits-enfants qu’il aimait profondément, à toute sa famille fortement unie, je les prie au nom de tous les membres de la société, de croire à nos vives condoléances et à la grande tristesse de nos sentiments.

A. D.