À cause du vin, Bouilhet ne fut pas médecin.

Les Amis de Flaubert – Année 1984 – Bulletin n° 64 – Page 37

 

À cause du vin, Bouilhet ne fut pas médecin.

 

En 1843, Louis Bouilhet était étudiant en médecine à l’Hôtel-Dieu de Rouen, où le père de Flaubert professait. Il avait alors 22 ans. C’est l’année où il fut renvoyé de l’internat avec trois autres camarades, Védie, Guéroult et Blondel. Il était un bon étudiant car, dès 1841, la commission de l’internat décidait que Bouilhet et Guéroult auraient droit à la gratification de fin d’année accordée comme récompense aux meilleurs.

Or, le 9 août 1843, Védie, Guéroult, Blondel et Bouilhet ont adressé une lettre à la commission de l’internat, pour demander qu’il leur soit servi du vin aux repas, ce qui paraissait juste, mais aussi la permission de découcher les nuits où ils n’étaient pas de garde, ce qui a pu paraître plus grave à la commission. Les étudiants en médecine étaient considérés comme des étudiants en pension, système rigoureux pour des hommes majeurs. En ce temps-là, il y avait la grande et la petite garde. L’interne de grande garde était tenu, pendant toute la semaine de procéder aux admissions de la nuit et de faire les pansements urgents. Tandis que l’interne de petite garde aidait le premier dans les pansements et faisait les accouchements un jour sur deux, en alternant avec la sage-femme. Les autres devaient demeurer à l’Hôtel-Dieu sans être utilisés et ne devaient pas sortir et coucher en ville.

Ces jeunes impatients se montraient fort pressés d’avoir une réponse, si bien que le 17 du même mois, ils envoyèrent collectivement leur lettre de démission de l’internat, consentant cependant à remplir leurs fonctions jusqu’au 19 août La commission voulut mâter cette audace, si bien qu’elle décida sur le champ de rayer du nombre des élèves les quatre signataires, leur interdisant en plus l’entrée aux deux hospices de Rouen, conformément aux articles 124 et 126 du règlement intérieur d’alors Cependant, Védie, Guéroult et Blondel continuèrent leurs études à Paris, ou à l’hôpital psychiatrique de Saint-Yon à Rouen, ce que Bouilhet aurait pu faire, s’il l’avait voulu.

Bouilhet, taquiné par la muse poétique et le théâtre en vers, ayant été demandé par quelques maîtres de pension pour faire des répétitions le soir dans leur établissement et par des parents soucieux de donner des leçons particulières à leurs enfants, s’installa à l’hôtel des Trois Maures, rue Beauvoisine, hôtel disparu. Il organisa, avec ses amis Vieillot et Vincent, un cours complet de préparation au baccalauréat. À la suite de cet incident, un concours d’internat fut organisé et les cinq premiers reçus furent Dufossé, Leroux, Hue, Holley et Murelle. À quoi peuvent mener l’amour du vin et de la liberté nocturne !

A. D.