Le jugement d’un Rouennais de 1856 sur Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1985 – Bulletin n° 66  – Page 39

 

 

Le jugement d’un Rouennais de 1856
sur Madame Bovary

 

Dans les lettres que Louis Mulot (1816-1880) a écrit à son ami Louis Bouilhet nous avons retrouvé ce passage concernant Madame Bovary :

« Gustave Flaubert (dirai-je aussi monsieur ! Baiserai-je, papa ? Non) Gustave Flaubert donc a commencé dans la Revue de Paris la publication de son roman : Madame de Bovary. Tu as raison, c’est franchement beau ! Le style est ciselé et modelé comme une statuette de grand-maître, passe-moi la comparaison, tout y est vu, examiné, fouillé et chose merveilleuse le vulgaire, le faux, la sensiblerie ne s’y montrent jamais. Je n’écrirais jamais ainsi, je le reconnais, peut-être le côté de l’invention laisse-t-il à désirer, il n’en pouvait guère autrement, on ne peut tout avoir : la rapidité et les détails, la science des machines et celle du style, ce serait trop pour un seul, il faut bien que la critique trouve aussi un peu à s’exercer d’ailleurs, je me hâte de le dire, je ne puis pas juger de l’œuvre puisque je ne la connais pas encore toute entière. Ce que j’en ai lu me fait souhaiter le reste. Il y a un festin de noces décrit à la manière hardie de maistre François Rabelais, puis un orgue portatif que je vois toujours… »

La correspondance de Louis Mulot avec Louis Bouilhet est très gauloise. Elle est franche et immédiate, comme on se rixe dans une conversation et elle devait être connue que d’eux seuls. Comme elle a été conservée et mise dans un dépôt public, elle devait fatalement plus d’un siècle après intéresser quelques chercheurs curieux. Les paroles s’envolent mais les écrits demeurent… Malheureusement dans les lettres suivantes, Louis Mulot ne reparle plus du roman.

Ce témoignage, vu la date probablement novembre ou décembre 1846, est intéressant. Il est immédiat et avant que la critique n’ait donné son opinion favorable ou hostile, Louis Mulot avait cinq ans de plus que Bouilhet et Flaubert. Il a écrit des poésies parues dans des almanachs ou des revues normandes, quelques comédies et il est mort deux mois avant Gustave Flaubert.

A.D.