Suspension de la publication des bulletins

Les Amis de Flaubert – Année 1986 – Bulletin n° 68 – Page 3

 

Suspension de la publication des bulletins

Éditorial

Avec regret et pour maintes raisons, nous sommes obligés de suspendre la publication de notre bulletin à partir de celui-ci. Par conséquent nous vous prions de ne pas nous adresser le montant de votre cotisation pour 1987. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous vous en informons. Depuis 1976, nous constations que notre société s’affaiblissait d’année en année, que le nombre d’adhérents diminuait régulièrement, que les entrants étaient moins nombreux que les sortants : un nouveau membre pour quatre disparaissant par décès, vieillesse ou oubli. Les sociétés comme les nôtres ne peuvent vivre et survivre qu’avec le montant des cotisations adressées par leurs membres. Nous ne recevons plus que la moitié de celles reçues en 1970.

Le nombre d’articles reçus a également diminué : 2 en 1985 et 2 en 1986 alors qu’il en faudrait 6 à 8 par bulletin.

Les générations montantes ont moins d’intérêt pour Flaubert, Maupassant et Bouilhet que nous avions à leur âge. Elles ont d’autres centres d’intérêt qui les attirent davantage. Elles se suivent sans nécessairement se ressembler, et en plus, les habitants d’une ville sont moins intéressés par leurs grands aînés, autrefois source de vanité. Avec la radio et la télévision, ils sont moins enclavés. Constatons le fait sans trop d’amertume. La faute en est moins à ceux qui aujourd’hui encore, nous sont demeurés fidèles qu’à ceux qui auraient dû normalement par leur savoir, leurs penchants, leurs fonctions, leur aisance, être des nôtres. Ne subsistent aujourd’hui que les sociétés appuyées par de généreux « sponsors » ; ce ne fut pas notre cas.

Il est bon de rappeler que notre société a été créée en 1905, à la suite du rachat du Pavillon de Croisset pour sa conservation, lequel aurait été détruit sans le rachat par un comité Rouennais et de Parisiens, soucieux de posséder la portion de terrain, conservée par sa nièce Caroline, au moment de la vente de la propriété, pour en faire une distillerie qui fit rapidement faillite, et remplacée par une fabrique de papier toujours en activité. Caroline avait pensé y faire construire une propriété moins vaste. Rapidement elle préféra Antibes à Croisset, son village d’enfance. Le notaire chargé de la vente de ce reste de propriété était Paul Toutain, en littérature Jean Revel, qui forma ce comité et parvint avec une souscription publique, des séances de théâtre et une vente de tableaux de peinture à trouver le montant nécessaire. Le comité remit, la signature donnée, le pavillon et ses alentours à la ville de Rouen, qui depuis le conserve et l’entretient excellemment. Au lieu de disparaître ce comité crut bon de se prolonger. Chaque année, un dimanche de juin, un déjeuner littéraire avait lieu sous l’allée de tilleuls. Il en fut ainsi de 1906 à 1914. La guerre vint et l’initiative ne fut pas reprise dans les années qui suivirent la fin des hostilités. Le silence dura trente-cinq ans, jusqu’en 1948.

Jacques Toutain, fils de Paul, clerc de notaire et secrétaire des Prud’hommes, eut l’idée de la rénover, et d’en faire une société ouverte à tous ceux qui avaient de l’amitié ou de l’admiration pour l’œuvre littéraire de Flaubert. Il pensait qu’elle pourrait compter plusieurs centaines d’adhérents, surtout dans la région rouennaise. Dans leur grande majorité, ils ne sont pas plus flaubertistes qu’ils ne sont cornéliens. Rouen est avant tout une ville d’usines, un port et d’affaires commerciales. Notre société a réussi dans les dix premières années, grâce aux excursions qu’elle organisait en autocar, alors que les automobiles particulières étaient encore rares. Jacques Toutain a fondé le bulletin à couverture verte tiré à deux cents exemplaires. Il est mort presque subitement en 1963. Au père comme au fils, nous devons la création et la renaissance de notre société, sans eux, il n’y aurait jamais eu à Rouen de société des Amis de Flaubert.

Je l’ai remplacé en 1963, à la demande de Lucien Andrieu qui était alors le secrétaire et mon souci constant fut d’améliorer le bulletin, d’en agrandir le format, de lui donner la couleur bleue que Flaubert aimait pour sa correspondance. Nous avons partiellement réussi, mais nous aurions dû compter 5 à 600 membres : 200 dans la région rouennaise, 200 dans les départements français et une centaine à l’étranger. Ainsi la société aurait pu bien vivre. Souvent, il nous a manqué des articles et ceux-ci sont devenus de plus en plus rares. Les étudiants pour leur maîtrise choisissent de plus en plus des auteurs du 20e siècle que du 19e siècle. Heureusement que des étrangers, satisfaits d’être imprimés en France nous ont adressé de nombreux articles et nous devons les remercier. Les chercheurs ou professeurs rouennais s’intéressent fort peu à Flaubert, à Maupassant qui n’a d’ailleurs vécu à Rouen que son année de Lycée, et à Louis Bouilhet, revenu bibliothécaire de la ville sont peu nombreux. À vrai dire, nous sommes deux, alors que nous devrions nous compter une dizaine. Les chiffres parlent.

Et puis, vers les quatre-vingt -deux ans, avec une vue réduite, je peux et veux aspirer au repos. Je m’étais fixé une date, comme Andrieu d’ailleurs, pour nos quatre-vingt ans si nous y parvenions. J’ai le sentiment d’avoir fait ce que j’ai pu. Le mode de vie collective dans lequel nous avons longtemps vécu est presque disparu. Le caractère de la population s’est également modifié et a d’autres perspectives, d’autres égoïsmes aussi. Le bénévolat qui fut notre règle constante fait sourire. La vie matérielle et financière de notre société est pratiquement devenue impossible. Il faut savoir disparaître en beauté et espérer dans des temps meilleurs, une résurrection de notre bulletin.

André Dubuc.

Il est bon que nos membres comprennent les raisons de suspension de notre bulletin. Le nombre d’adhérents, non compris quelques dizaines d’abonnements de villes et d’universités, ayant réglé leur cotisation est en :

1984 : 121 membres

1985 : 74 membres

1986 : 57 membres

Sur l’ensemble des trois années la répartition géographique était :

Normandie : région rouennaise : 46, Le Havre (3), Dieppe (1), Yvetot (1), Elbeuf (1), Calvados (2), Eure (2), Manche (1)

Région parisienne : 34

Départements : 27

Loire Maritime (5), Rhône (3), Loir-et-Cher (2), Tarn-et-Garonne (2), Isère (2), Tarn (2), Oise (2), Sarthe (1), Ain (1), Alpes-Maritimes (1), Puy-de-Dôme (1), Aude (1), Var (1), Nord (1), Vendée (1), Aube (1).

Étranger : 23

Japon (6), République Fédérale Allemande (4), Angleterre (4), U.S.A. (2), Italie (2), Hollande (2), Belgique (2), Espagne (1).

Aujourd’hui, une société publiant un bulletin doit compter au moins 400 membres. Malheureusement de nombreuses sociétés de courte durée se sont créées, amenant un éparpillement et une réduction de cotisations, sans lesquelles il est impossible de vivre. Sans nous faire harakiri, il est compréhensible que nous « suspendions » notre publication, faute d’articles en nombre suffisant et de ressources pour régler les frais de composition et d’impression.

Au 31 décembre 1986, il n’y a plus aucun article en attente.

Les numéros 21 à 68 peuvent être achetés à la bibliothèque municipale de Rouen.