ÉDITORIAL
par Yvan LECLERC

MAUPASSANT, LE HORLA
LE 130e ANNIVERSAIRE DE LA PUBLICATION DU HORLA, ET L’AÉROSTATION

Sensations d’aéronaute
par Alain MONTANDON

La vogue des ballons en Normandie au temps de Flaubert et de Maupassant
par Guy PESSIOT

Autour du couvercle d’une boîte à ouvrage
par Guy PESSIOT

De l’acte anodin… à la passion : genèse d’une collection
par Pierre MULLER et Denis QUÊNOT

Présentation du livre Guy de Maupassant et les voyages dans la nacelle du Horla. Textes et documents inédits, réunis, annotés et présentés par Jean-Marc Montaigne, Rouen, ASI éditions, 2007
par Michel LAMBART

Ballons, pigeons et dépêches.
Note à propos de trois télégrammes
par Louis FORESTIER

Le Horla et le fantastique des marais : humidité, humeurs, humour
par Fanny BÉRAT-ESQUIER

D’un fantastique à un autre : les deux versions du Horla
par Joël MALRIEU

INÉDITS

Guy de Maupassant, lettres inédites à l’éditeur Paul Ollendorff, concernant Le Horla
par Marlo JOHNSTON

Une lettre inédite de Maupassant concernant un bail d’une maison de sa mère, Les
Roseaux ou Les Verguies
par Christoph OBERLE

SUR L’ÉDITION DES CORRESPONDANCES DE FLAUBERT ET DE MAUPASSANT

L’édition électronique de la correspondance de Flaubert
par Yvan LECLERC

Flaubert et ses correspondants
par Joëlle ROBERT

« Ma chère Gertrude – ma vieille amie – ma jeunesse ! »
Les relations de Gustave Flaubert et Gertrude Tennant à la lumière de la nouvelle édition électronique de la Correspondance
par Stéphanie DORD-CROUSLÉ

Une nouvelle édition de la correspondance de Guy de Maupassant
par Marlo JOHNSTON

Les correspondances de Gustave Flaubert et Guy de Maupassant conservées à la Bibliothèque de Rouen
par Anne-Bénédicte LEVOLLANT

Le Colonel Sickles
par Louis FORESTIER

Un dossier de l’éditeur Louis Conard acheté par la Bibliothèque de Rouen
par Yvan LECLERC

VARIA

Sur Guy de Maupassant : John Cowper Powys, Jugements réservés (extrait), traduction de Jacqueline Peltier, Lannion, Penn Maen, 2016
Présentation : John Cowper Powys, le titan de Blaenau Ffestiniog
par Gilles CLÉROUX

Maupassant et La Grande Vadrouille
par Bernard DEMONT

L’écriture réaliste et l’orientalisme critique : 207
Flaubert et Maupassant
par Jennifer YEE


Éditorial

Yvan LECLERC

En l’air ! L’année 1887 marque le point culminant de la gloire de Maupassant. Dans la biographie procurée par Marlo Johnston, elle se place au dernier chapitre d’une partie intitulée justement « Notoriété 1884-1887 » (Guy de Maupassant, Fayard, 2012). Cette année-là, le nom Le Horla a pu se lire deux fois : imprimé sur la page de titre d’un recueil de nouvelles publié en mai, et gravé « en lettres d’or, dans une plaque d’acajou », fixée sur le flanc d’un « panier à chair humaine », la nacelle d’un ballon qui emporte dans les airs, le 9 juillet, un petit équipage de six personnes, dont l’auteur du Horla, pour un voyage de trois cents kilomètres entre Paris et Heist, en Belgique. Un sujet littéraire a donc servi de nom de baptême à une « performance » sportive, et dangereuse à l’époque.
La photo reproduite en couverture montre un Maupassant en chapeau, venu assister au gonflement du ballon à l’usine à gaz de La Villette, avant qu’il ne revête une tenue plus appropriée. Parmi tous les écrivains de notre Panthéon, il est sans doute l’un des premiers sportifs, ou sportman, comme on disait à l’époque, un vrai homme d’action, sur l’eau, sur terre quand il roule à tricycle, et dans l’air.

Aéronaute, il reste écrivain, en rendant compte de son voyage dans quatre chroniques, dont En l’air, et aussi parce qu’une continuité relie ce qu’il écrit et ce qu’il expérimente. Ce n’est pas la seule fois qu’un titre passe ainsi de l’œuvre dans la vie de Maupassant, matérialisant la force de l’écriture dans la réalité concrète des choses : Bel-Ami servira à baptiser deux yachts successifs et le propriétaire d’Étretat songe à nommer sa demeure La Maison Tellier avant de se laisser convaincre de préférer à ce nom une plus convenable dérivation de son prénom : ce sera La Guillette.

Entre Le Horla de papier et Le Horla d’étoffe gonflable, Maupassant établit le lien lui-même en parlant d’un « voyage fantastique » qui met l’homme sous la dépendance d’un élément invisible. Du haut du mont Saint-Michel, le narrateur du Horla reçoit du moine qui lui sert de guide une leçon qui prend le vent pour exemple : « la plus grande force de la nature […] ? l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant ». Le vent, l’air, ces Invisibles, existent pourtant. Ils sont sources d’émerveillement et d’angoisse, depuis Icare jusqu’aux hommes volants du XIXe siècle, en passant par les machines de Léonard de Vinci. L’écrivain Maupassant, à la plume plus légère que l’éther, appartient à cette grande lignée.

Le 130e anniversaire de la publication et de l’envol du Horla a donc été l’occasion de réunir ces deux événements, à la fois littéraire, sportif et journalistique, en replaçant le voyage de Paris à Heyst (orthographe de l’époque) dans le contexte large de la « ballomanie ». Rouen aussi a retenti du cri de « Lâchez tout ! », au moment de larguer les amarres vers les hauteurs. Et cette vogue des aérostats, qui a modifié notre point de vue sur la terre et apporté des sensations neuves (on image le plaisir décuplé de Maupassant, lui qui se définissait comme « une espèce d’instrument à sensations ») a eu pour conséquence de multiplier les représentations de ces étranges bulles volantes et des paysages où elles se déploient, sous la forme d’estampes, de tableaux, et d’une multitude d’objets uniques ou industriels qui ont envahi la vie quotidienne.

La voie des airs, aérostats ou pigeons voyageurs, était le plus sûr moyen de faire parvenir des dépêches pendant le siège de Paris en 1870 et 1871 : on trouvera dans ce dossier plusieurs télégrammes inédits échangés dans la famille Maupassant. Cette correspondance est complétée par d’autres lettres également inédites de Maupassant, en particulier des lettres à l’éditeur Ollendorff sur l’organisation du recueil Le Horla : elles démontrent, si c’était encore nécessaire, à quel point la composition des ensembles de contes et de nouvelles résultent d’un calcul.

Ces lettres inédites forment une transition avec l’autre dossier de ces Cahiers, consacré aux éditions des correspondances de Flaubert et de Maupassant, dont une partie est conservée dans les collections de la Bibliothèque municipale de Rouen. Les lettres de Flaubert font désormais l’objet d’une édition électronique, plus pratique d’utilisation puisqu’elle permet des consultations multiples, en particulier en « entrant » par les correspondants ; plus proche aussi de la main de l’auteur, en affichant les manuscrits qu’on a pu mettre en ligne, et évolutive, actualisable au fur et à mesure des nouveaux autographes qui sortent dans les ventes : 136 lettres inédites par rapport à l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade, dont le dernier volume date de 2007. L’édition de la correspondance de Maupassant que prépare Marlo Johnston présentera beaucoup plus de lettres inédites : elle comptera environ 2 000 lettres, à comparer aux 800 lettres de l’édition ancienne de Jacques Suffel, publiée en 1973, avec de nombreuses erreurs de datations et pratiquement sans note. Nous disposerons enfin d’une édition aussi complète que possible (par nature, le corpus des lettres est toujours lacunaire), datée avec précision et annotée scientifiquement : Maupassant est le dernier grand écrivain du XIXe siècle à ne pas bénéficier d’une publication épistolaire à la hauteur de son œuvre.

Il est surtout question de Maupassant dans les « Varia » de ce numéro (les contributions sur Flaubert étant regroupées dans le numéro 35), avec la traduction d’un texte de John Cowper Powys, datant de 1916 : « Son imagination était résolument terre-à-terre, et pas seulement terre-à-terre mais confinée à certains aspects immédiats et sensuels de la vie humaine. Exception faite des passages où il lacérait les plaies sanglantes de sa sensibilité d’écorché et s’inspirait de sa folie pour écrire d’une plume trempée dans les humeurs malsaines de son sang malade, il était maître d’une objectivité quelque peu brutale et saturée de soleil. » Résolument terre-à-terre, « réaliste » donc, mais aussi une imagination aérienne, fascinée par l’Invisible et l’Impalpable. En l’air !