En vacances en Sicile (mai 2018), Joël Dupressoir a visité l’île en lisant la partie sicilienne de La Vie errante. Dans l’une des îles éoliennes, Maupassant observe en 1885 une activité volcanique plus importante qu’en 2018…

Vulcano, 1885-2018

Guy de Maupassant. Extrait de La Vie errante.

Entraînée par quatre rameurs, la barque suit la côte fertile, plantée de vignes. Les reflets des rochers rouges sont étranges dans la mer bleue. Voici le petit détroit qui sépare les deux îles. Le cône du Vulcano sort des flots, comme un volcan noyé jusqu’à sa tête.
C’est un îlot sauvage, dont le sommet atteint environ quatre cents mètres et dont la surface est d’environ vingt kilomètres carrés.
Je traverse un grand jardin potager, puis quelques vignes, puis un vrai bois de genêts d’Espagne en fleur. On dirait une immense écharpe jaune, enroulée autour du cône pointu, dont la tête aussi est jaune, d’un jaune aveuglant sous l’éclatant soleil. Et je commence à monter par un étroit sentier qui serpente dans la cendre et dans la lave, va, vient et revient, escarpé, glissant et dur. Parfois, comme on voit en Suisse des torrents tomber des sommets, on aperçoit une immobile cascade de soufre qui s’est épanchée par une crevasse.
On dirait des ruisseaux de féerie, de la lumière figée, des coulées de soleil.
J’atteins enfin, sur le faîte, une large plate-forme autour du grand cratère. Le sol tremble, et, devant moi, par un trou gros comme la tête d’un homme, s’échappe avec violence un immense jet de flamme et de vapeur, tandis qu’on voit s’épandre des lèvres de ce trou le soufre liquide, doré par le feu. Il forme, autour de cette source fantastique, un lac jaune bien vite durci.
Plus loin, d’autres crevasses crachent aussi des vapeurs blanches qui montent lourdement dans l’air bleu.
J’avance avec crainte sur la cendre chaude et la lave jusqu’au bord du grand cratère. Rien de plus surprenant ne peut frapper l’œil humain.
Au fond de cette cuve immense, appelée « la Fossa », large de cinq cents mètres et profonde de deux cents mètres environ, une dizaine de fissures géantes et de vastes trous rends vomissent du feu, de la fumée et du soufre, avec un bruit formidable de chaudières. On descend, le long des parois de cet abîme, et on se promène jusqu’au bord des bouches furieuses du volcan. Tout est jaune autour de moi, sous mes pieds et sur moi, d’un jaune aveuglant, d’un jaune affolant. Tout est jaune : le sol, les hautes murailles et le ciel lui-même. Le soleil jaune verse dans ce gouffre mugissant sa lumière ardente, que la chaleur de cette cuve de soufre rend douloureuse comme une brûlure. Et l’on voit bouillir le liquide jaune qui coule, on voit fleurir d’étranges cristaux, mousser des acides éclatants et bizarres au bord des lèvres rouges des foyers.

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