Flaubert et Victor Hugo

Les Amis de Flaubert – Année 1985 – Bulletin n° 66  – Page 3

 

 

Flaubert et Victor Hugo

Éditorial

 

L’année littéraire de 1985 a été principalement consacrée à Victor Hugo comme il se devait, à cause du centenaire de sa mort. C’est une manière de nos jours de ranimer le souvenir et l’œuvre d’un auteur, qui de son vivant connut des années de célébrité. Avec le temps tout ouvrage de qualité s’estompe ou s’oublie. Les centenaires ont du bon en cela, les peuples n’ayant guère de mémoire.

Poète, romancier, auteur de pièces de théâtre, homme politique tenace, proscrit sans faille, Victor Hugo fut un infatigable lutteur qui domina son siècle, l’enchanta ou l’irrita. S’il subsiste dans l’esprit de beaucoup, c’est surtout comme poète, comme homme de progrès, comme ami des enfants. Son théâtre n’est guère jouable, ses romans sont longs. Les uns l’aiment pour sa virtuosité poétique, les autres pour son attitude politique et sa constance en faveur de la liberté, pour son souci de l’amélioration du sort humain et surtout de celui des pauvres. Avec Zola, beaucoup plus qu’avec l’éphémère Lamartine, il demeure pour son siècle et pour le nôtre, une sorte de drapeau politique.

Grand voyageur au temps où les déplacements étaient lents, rares et difficiles, il a plusieurs fois traversé la Normandie et donné ses impressions dont quelques-unes furent cruelles, même si elles étaient méritées. Surtout, le village de Villequier conserve dans son cimetière les restes de Léopoldine, sa fille préférée, de son autre fille Adèle et de sa femme. Si le gouvernement de 1885 ne lui avait pas accordé comme hommage, les caveaux du Panthéon, il est probable que lui-même y aurait été transporté. Trois Hugo sont donc près des tombes de la famille amie des Vacquerie. Les touristes s’y rendent comme à la maison d’été des Vacquerie devenue musée à son nom et propriété départementale.

Il était donc normal pour la Seine-Maritime que les manifestations du centenaire aient été concentrées à Villequier et qu’une exposition sur ses voyages dans la province ait duré toutes les vacances.

Il a passé en bateau devant le village de Villequier en 1835 et 1837. Il est venu chez les Vacquerie en 1846 et 1847, après la mort de Léopoldine, seulement en 1879 après l’exil et finalement en 1883 et 1884, lorsque devenu octogénaire il alla à Veules-les-Roses, chez son ami Meurice. Aller fréquemment sur des tombes qui lui étaient chères ne pouvait modifier son chagrin et ses regrets.

Dès le collège, Gustave Flaubert eut comme toute sa génération une admiration sans bornes pour les poésies d’Hugo. Il le connut à Paris, chez le sculpteur Pradier en 1843. Le proscrit s’en souvint. Il cherchait une filière pour que ses amis politiques demeurés en France reçoivent avec certitude les lettres qu’il pourrait leur envoyer et éviter qu’elles soient capturées ou soumises adroitement à l’œil sournois de la police impériale, Flaubert servit donc de facteur-distributeur et l’on peut penser que son caractère frondeur l’y portait.

Dans Choses Vues (édition Folio, tome III), nous trouvons ce passage : « Aujourd’hui, 17 mars (1853), j’ai écrit à Jules Janin à Paris. Pour que la lettre lui parvînt en dépit de la police du sieur Bonaparte, voici ce qu’il a fallu faire : j’ai mis à la poste une lettre adressée à Savoye, représentant proscrit, 52, Milton Street Square, à Londres. Dans cette lettre, il y avait une lettre que M. Savoye était prié de mettre à la poste adressée à Monsieur Flaubert à Croisset, près de Rouen. Dans cette lettre une troisième lettre adressée à Madame Colet 90, rue de Sèvres à Paris que M. Flaubert était prié de jeter à la poste. Dans la lettre à Mme Colet était la lettre à Janin, rue Vaugirard, 20 ».

Victor Hugo était alors à Jersey. Ce stratagème qui nous paraît bouffon de nos jours, était connu. L’adresse de Flaubert dut maintes fois servir de plaque tournante pour les amis de Victor Hugo restés en France.

Flaubert mourut cinq ans avant Hugo. Celui-ci avait voulu venir à son enterrement et même y prononcer un discours. Il lui fut déconseillé d’y assister, car Flaubert avait manifesté le désir qu’il n’en fût prononcé aucun lorsqu’il disparaîtrait et son souhait fut respecté.

Il y aurait beaucoup à dire sur les rapports entre Flaubert et Victor Hugo. Nous avons simplement tenu aujourd’hui à marquer et à relier notre rôle habituel avec le centième anniversaire de la mort de Victor Hugo, qui demeure malgré l’éloignement du temps à voir son œuvre toujours aimée et fort lue.

André Dubuc