Les maisons de la famille Flaubert dans la région rouennaise

Les Amis de Flaubert – Année 1967 – Bulletin n° 30  – Page 9

Les maisons de la famille Flaubert
dans la région rouennaise

Lorsque Achille, Cléophas Flaubert arriva à Rouen fin novembre 1806 pour solliciter la place de prévôt d’anatomie, il devait être nommé officiellement en février 1807 (1), on ne sait exactement où il résida. Peut-être que Laumosnier (2) ou Laumonier le fit loger dans une chambre de l’hôpital au même titre que les chirurgiens internes, à moins que François Thouret, beau-frère de Laumonier, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, résidant dans la rue de Lecat, ne l’hébergeât quelque temps.

Un ou deux ans plus tard, le nouveau prévôt d’anatomie trouva une petite maison au 8 de la rue du Petit-Salut. C’est là qu’il amena, le 10 février 1812, sa jeune épousée : Anne, Justine, Caroline Fleuriot, dont la résidence était chez les Laumonier à l’hospice de l’Humanité, notre actuel Hôtel-Dieu. Mme Flaubert se souviendra toute sa vie de sa maison de la rue du Petit-Salut et elle repassait souvent dans le vieux quartier rouennais, disant à ceux qui l’accompagnaient : « C’est là que j’ai passé les plus belles années de mon existence ». C’était une maison du XVIIIe siècle avec son rez-de-chaussée en pierre, ses pilastres et ses pans de bois. Elle n’existe plus, l’incendie qui détruisit pendant la guerre une partie de la ville avait trouvé en elle un aliment de choix.

C’est là que naquit, le 9 février 1813, Achille Flaubert, le fils aîné, qui devait succéder un jour à son père.

Quand Achille, Cléophas Flaubert, en décembre 1815, devint chirurgien en chef de l’Hospice de l’Humanité, en remplacement de Laumonier, il avait droit au logement dans l’aile de l’établissement réservé à cet effet, mais la commission, en reconnaissance des longs et dévoués services de celui qui se retirait de la vie active de l’hôpital, lui laissa le droit d’y demeurer sa vie durant. Achille, Cléophas Flaubert fut donc contraint de rester 8, rue du Petit-Salut. Là devait naître encore un enfant : Caroline, le 8 février 1816, qui disparut vingt et un mois plus tard.

Il semble alors que le père de Gustave, fatigué de traverser la ville tôt le matin et tard le soir chercha à se rapprocher de son lieu de travail et vint, vers la fin de 1817, résider rue de Crosne-hors-la-Ville. Nous n’avons pu savoir l’endroit exact, il est vrai qu’il y resta si peu de temps puisqu’il perdit sa petite Caroline alors qu’il avait comme domicile 13, rue de Lecat. Là se trouve encore une petite énigme : s’agit-il d’un nouveau domicile ou tout simplement de l’Hôtel-Dieu, dont les numéros sont à notre connaissance 33, 51 puis 55, rue de Lecat ? Il est bizarre aussi que dans l’annuaire de Rouen, le père Flaubert, alors membre de l’Académie de Rouen, ait considéré résider de 1821 à 1829 au 7, rue de Lecat. Y avait-il un logement ou un cabinet médical comme nous le croyons, car une erreur jamais rectifiée pendant ces huit années nous semble bien improbable dans ce milieu attaché à figurer dans l’annuaire de l’époque où seuls les personnages influents et les commerçants pouvaient y lire leur nom ?

D’un autre côté, lorsque naît un troisième enfant : Émile, Cléophas, le 8 novembre 1818, qui meurt le 13 juillet 1819, puis un quatrième : Jules, Alfred, le 30 novembre 1819, qui meurt le 29 juin 1822, tous les actes de l’état civil portent comme adresse celle de l’Hôpital, ce qui est normal, Laumonier étant mort en janvier 1818, en février de la dite année, Achille, Cléophas Flaubert avait pris possession de l’appartement qui lui était destiné.

« … La porte franchie, on se trouvait dans une sorte de large courette, où on avait organisé une remise pour un coupé ou une écurie, où on rentrait jadis la voiture des transports pour les malades, et surtout la voiture du choléra, en 1839 »(3). Là, se trouvait le pavillon rectangulaire de pierres grises, troué par deux étages de hautes fenêtres. C’est dans la chambre du premier étage où se trouvaient un lit, une pendule, un fauteuil vert, un tapis, dont le papier est taché et le pavé blanchi à certaines places, que Gustave Flaubert naquit le 12 décembre 1821 et sa sœur Caroline, Joséphine, le 15 juillet 1824. Les deux enfants, plus tard, coucheront au deuxième étage.

Le père Flaubert ayant besoin pour lui et les siens d’un peu d’air pur et l’oubli des douleurs contemplées chaque jour, chercha une maison de campagne. Ce fut d’abord à Butôt, à vingt-cinq kilomètres de Rouen, qu’il installa sa famille pour les vacances, mais lui ne pouvait s’y rendre comme il le voulait. Il choisit alors dans la banlieue immédiate de Rouen une maison située à Déville et s’en rendit acquéreur le 24 février 1821. Un buste d’Hippocrate décorait la demeure qu’un beau jardin entourait. Le pavillon ne comportait alors qu’un bâtiment central et c’est le docteur Flaubert qui fit construire deux ailes latérales (4). En même temps, il devenait possesseur d’une masure voisine ainsi que de plusieurs pièces de terre. Il existait aussi dans cette maison une chapelle privée décorée de quelques boiseries du XVIIIe siècle.

La correspondance de Gustave Flaubert nous montre combien il aima cette maison de Déville et c’est là qu’il passa des vacances avec les sœurs anglaises, Heuland :

« … Je me rappelle un jour — dit-il dans les Mémoires d’un fou il faisait si chaud, sa ceinture était égarée, sa robe était sans taille… Elle avait un livre à la main, c’étaient des vers, je crois ; elle le laissa tomber. Notre promenade continua. Elle avait couru, je l’embrassais sur le cou, mes lèvres y restèrent collées sur cette peau satinée et mouillée d’une sueur abondante… L’après-midi, je montais dans les champs, j’allais dans les bois et je pensais à elle… ».

Lorsqu’en 1843 la construction de la ligne de chemin de fer Rouen-Le Havre amena l’expropriation d’une partie de la propriété, le docteur Flaubert ne voulut pas avoir le voisinage de la voie ferrée et des inconvénients qu’elle présentait. Il décida de revendre le petit domaine de Déville et le quitta définitivement le 24 juin 1844 pour aller s’installer dans une nouvelle résidence d’été, sise à Croisset. La maison de Déville a été démolie en 1902, mais le souvenir de Gustave Flaubert est resté : une petite impasse qu’il a dû connaître et qui porte son nom, et aussi peut-être quelques bâtiments de la ferme, au 22 de la route de Dieppe.

Le domaine de Croisset adossé à la côte boisée, était une blanche villa bordée sur le chemin qui longeait le fleuve d’une longue grille. Elle datait vraisemblablement du XVIIIe siècle et était proche du domaine de la Viardière, de plusieurs autres propriétés de plaisance occupées par MM. de Saint-Saulieu, Deschamps, Midy, tous bourgeois renommés à Rouen, car Croisset, à cette époque, était considéré comme un lieu résidentiel.

Pour placer son argent, Achille Cléophas Flaubert acheta des fermes et des maisons, notamment à Rouen, au 87, rue de la Vicomté et au 10, rue des Carmélites. Comme dot, par contrat enregistré le 3 mars 1845, ces deux maisons seront données en nue propriété à Caroline Flaubert lors de son mariage avec Émile Hamard, et en toute propriété deux fermes à Pissy-Pôville (5), héritées après le décès de Madame Dupont, veuve Fauvel, tante d’Émile Hamard.

Achille Flaubert, le fils aîné d’Achille Cléophas, épousa le 1er juin 1839 une demoiselle Julie Lormier qui demeurait chez son père, négociant en laines, au 13, rue Herbière. Au 15, vivaient les Bourlet de la Vallée qui furent de grands amis de la famille Flaubert (6) et il est possible que ce soient eux qui mirent en relation les deux jeunes gens. Le mariage célébré, ils allèrent résider au 32, rue du Contrat-Social, maison toute proche de l’Hôpital.

Le 15 janvier 1846, Achille Cléophas décédait et son fils était nommé à sa place : chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu. De ce fait et suivant les obligations, le nouvel élu devait être logé dans le pavillon de la rue de Lecat. Gustave et sa mère, en juillet 1846, s’en allèrent donc demeurer au 25, rue de Crosne-hors-la-Ville, une grande bâtisse à deux étages surmontés de pièces mansardées, et faisant l’encoignure de la rue de Buffon. Cette véritable maison de maître existe toujours et porte aujourd’hui le n° 55 au-dessus de sa porte cochère, avenue Gustave-Flaubert.

Madame Flaubert dut s’ennuyer au cours des hivers dans cette vaste demeure, surtout que Gustave délaissa Rouen de mai à juillet 1847 pour le voyage « Par les champs et par les grèves ». Elle resta une partie de l’été 1847, dans la rue de Crosne-hors-la-Ville avec le bébé Caroline qui devait devenir un jour Madame Commanville, quoique Croisset soit toujours resté la résidence d’été. Quand Gustave, pour son voyage, sollicita un laissez-passer à la mairie de Rouen, sur le talon du document resté aux archives, on peut lire le lieu de résidence habituelle : 25, rue de Crosne-hors-la-Ville.

Le 3 mars 1845, Émile Hamard avait épousé la sœur de Gustave et le jeune couple s’installa dans l’appartement d’Émile, sis au 25, rue de Tournon, à Paris. Au moment des couches ils revinrent chez Achille. La nièce de Gustave naquit donc à Rouen le 21 février 1846, au 33, rue de Lecat.

La mort de son épouse fut pour Hamard un immense chagrin et il fit graver sur la petite stèle du Cimetière Monumental : « Ci-gît Eugénie Joséphine Caroline Hamard, épouse de Émile Hamard, qui désire la revoir un jour et être éternellement avec elle. » Ce vœu ne devait jamais être exaucé. Hamard résida pendant près de deux ans dans une petite maison à Croisset non loin des Flaubert puis, laissant sa fille aux soins de Madame Flaubert, il repartit pour Paris où il commit la faute, pour oublier sa peine, de s’enivrer régulièrement. Il avait pour compagnon de débauche Jean-Baptiste Planche, critique littéraire et critique d’art. Ils devaient tous deux mourir, Planche dans sa quarante-neuvième année, Hamard dans sa cinquante-cinquième. Celui-ci, réclamant tantôt son enfant, tantôt les biens de la succession, effraya Madame Flaubert qui intenta un procès en interdiction. « Il faudrait — écrivait Gustave — ôter au jeune homme la tutelle de son enfant. » Des troubles mentaux ayant apparu en juin 1848, Madame Flaubert Gustave et sa nièce se réfugièrent en grand secret à Forges-les-Eaux pendant que se réglaient les demandes et autorisations réglant le sort du malade, que l’on continuera cependant de suivre de loin et quand Caroline épousera Commanville, Hamard qui demeurait à Versailles, 10, rue des Récollets, donnera son assentiment, devant notaire.

Au retour de Forges-les-Eaux, on décida alors de changer de logement et on alla résider au 6 bis, rue Le Nostre, Croisset restant encore ce qu’il avait été du temps du père Flaubert, une résidence d’été où on allait, tôt au printemps jusque tard en automne.

Si nos recherches sont exactes, le 6 rue Le Nostre fut d’abord une maison au milieu d’un petit parc, domaine qui disparut par la construction en bordure de la rue de bâtiments destinés à un dépôt de coton filé et d’une maison de pierre portant le n° 6 bis. C’est dans cette disposition des lieux que Flaubert et sa mère vinrent habiter. Plus tard, en 1869 le 6 bis devint le 8 puis les bâtiments du 6 furent abattus pour faire place à une demeure plus moderne, masquant le pavillon du domaine d’autrefois qui lui-même bien vieilli fut réparé et transformé. La maison de pierre du 8 rue Le Nostre, qui existe toujours, n’a pas laissé de souvenirs dans le cœur de Gustave Flaubert. Il faut dire cependant que l’auteur de Madame Bovary n’y entra que rarement, puisqu’il commença son voyage en Orient en octobre 1849, après un été passé à Croisset et revint en juin 1851, juste pour faire le déménagement de la rue Le Nostre à Croisset.

Madame Flaubert passa une grande partie de son temps au 6 bis rue Le Nostre avec sa petite-fille âgée maintenant de quatre ans, pour être plus près d’Achille qui, sur la demande même de Gustave, s’occupait de leur mère et lui donnait le courage de surmonter cette peur effroyable que lui donnait le lointain départ car elle sait, elle, le terrible mal dont le voyageur est atteint. Sur six enfants qu’elle a mis au monde, deux lui restent et la santé de celui qui continue de vivre avec elle, lui inspire des craintes multipliées par l’éloignement aventureux. « …Quel cri elle a poussé quand j’ai fermé la porte… » écrira Flaubert dans ses notes de voyage.

Croisset deviendra donc le domicile légal de Gustave et de sa mère en 1851. Mais les hivers y sont très froids. Les vents dominants venant de la mer remontent la Seine et viennent frapper la colline de Canteleu et la maison de Flaubert. Quand le vent vient de l’est ou du nord-est, gelant tout sur son passage, il passe au-dessus de Rouen protégé par ses côtes, mais s’engouffre, aspiré par la vallée du fleuve, sur Croisset presque désert. Une lettre de Flaubert peut nous en donner un aperçu : « …Dimanche soir à onze heures, il y avait un tel clair de lune sur la rivière et sur la neige, que j’ai été pris d’un prurit de locomotion et je me suis promené pendant deux heures et demie, me montant le bourrichon, me figurant que je voyageais en Russie ou en Norvège. Quand la marée est venue et a fait craquer les glaçons de la Seine et l’eau gelée qui couvrait les cours (7), c’était sans blague aucune, superbe… » (8)

C’est que Gustave s’est fait à l’hiver à Croisset. Mais il en est autrement de sa mère qui, de par son âge, souffre des basses températures dans une maison que l’on chauffe à grand renfort de bûches, des brouillards du fleuve et surtout de l’humidité qui l’ont perdue de rhumatismes. Elle en deviendra impotente dans ses dernières années. De plus, Caroline est partie car elle a épousé en avril 1864 Ernest Commanville demeurant 96, avenue du Mont-Riboudet à Rouen. Le jeune couple s’est installé, 9 A, quai du Havre. Madame Flaubert n’y tient plus et s’en va cette fois prendre une résidence d’hiver auprès de sa petite-fille au 7 C, quai du Havre. Gustave, stoïque, reste à Croisset…

Mais les Commanville, en 1869, partiront pour Dieppe. En effet, marchand de bois dans cette ville et propriétaire d’une scierie mécanique et de vastes terrains, Ernest Commanville est nommé vice-consul de Turquie, le 9 juin 1869. Il passera donc son temps entre Dieppe et Paris où il a une résidence, 77, rue de Clichy. Comme par une fatalité, les maisons du quai du Havre sont donc abandonnées en 1869. Nous disons fatalité car la guerre de 1870 se déclare et les Allemands approchent de la Normandie. Gustave pense délaisser Croisset. Les exactions et les cruautés des envahisseurs se font plus dures dans les campagnes, la résistance aussi et en cas de représailles, Flaubert eût été sans doute, avec le maire, les principaux otages car les bourgeois rouennais sont allés se terrer au cœur de la grande ville. Mais où aller ? Il est certain que Madame Flaubert et les Commanville n’ont plus de résidence sur le quai du Havre ; l’annuaire de Rouen ne porte plus leurs noms, et c’est pourtant là que Gustave et sa mère iront se réfugier.

Lisons les lettres de Flaubert à sa nièce Caroline, d’abord de Croisset : « … Ta grand-mère est chez toi, à Rouen. J’y ai couché avant-hier — j’irai demain déjeuner ; elle reviendra ici samedi et retournera à Rouen lundi… Si les Prussiens viennent à Rouen, elle ira loger à l’Hôtel de France ou même à l’Hôtel-Dieu… » — ensuite de Rouen — « Ta grand-mère a couché à l’Hôtel-Dieu pendant toute une semaine. Moi-même j’y ai passé une nuit. Présentement nous sommes sur le port, où nous avons deux soldats à loger. À Croisset il y en a sept plus trois officiers et six chevaux… Je t’écris dans ton ancienne chambre à coucher et j’entends ronfler les deux soldats qui sont dans ton cabinet de toilette… Ton mari nous a proposé d’aller à Dieppe… Je ne peux m’absenter trop loin de mon pauvre domestique qui reste seul, à Croisset… (9) »

Les exégètes ont donc supposé que les Commanville avaient conservé leur domicile sur le quai du Havre d’où l’expression : « dans ton ancienne chambre » sans en apporter de preuves. Or, il est net que les Commanville et les Flaubert n’habitent plus sur le port depuis 1869 et ces derniers n’ont pu réaménager et remeubler l’appartement pendant les journées tragiques de l’invasion. À notre avis, une théorie expliquerait ce mystère.

Juliette Flaubert (10), la fille d’Achille avait épousé Ernest Adolphe Roquigny. Elle résidait à Paris l’hiver et à Ouville-la-Rivière l’été. Le 29 juillet 1865, sans que rien ne l’eût présagé, son époux mettait fin à ses jours. Veuve, Madame Roquigny avec ses enfants prit un appartement à Rouen 12 A, quai du Havre, de 1867 à 1876, tout en conservant le domicile parisien. C’est à Rouen qu’elle perdit sa fille : « Du dix-sept janvier mil huit cent soixante-huit, à dix heures du matin, acte de décès de Jenny, Louise Roquigny, décédée ce jour à deux heures et demie du matin chez sa mère, quai du Havre, n° 12 A, âgée de trois ans, née en cette ville le 6 janvier 1865, fille de feu Adolphe Ernest Roquigny et de Julie Caroline Flaubert, rentière… sur la déclaration des sieurs Léonce Roquigny, âgé de vingt-cinq ans, rentier, boulevard Jeanne-d’Arc, n° 19, oncle de la défunte et Ernest Commanville, âgé de trente-trois ans, négociant, quai du Havre, n° 9, son cousin. »

Il se peut donc que seule désormais avec son dernier enfant, Juliette ait réservé aux Commanville, dans son vaste appartement du 12 A, quai du Havre, une chambre et un cabinet de toilette où ils venaient quand ils étaient de passage à Rouen entre Paris, Croisset et Dieppe, pendant les années 1869 et 1870.

Ce serait donc de là, que Flaubert regardait les troupes allemandes défiler sur les quais et se diriger vers Le Havre ou passer les ponts pour la bataille de Moulineaux.

Juliette Roquigny resta encore quelque temps à Rouen puis se retira définitivement à Ouville où elle mourut. En 1906 la famille Roquigny habitait toujours le même grand immeuble mais portant cette fois comme adresse le 2, rue de Fontenelle. C’est de là que sa belle-fille née De Castelineau Victoire, écrivait : « Ma chère mère — Je viens vous donner des nouvelles de votre cher Ernest. Il va très bien. Il vient d’arriver avec deux heures de retard, il a manqué la correspondance à Motteville et il a été obligé de reprendre le grand express à Rouen, il ne rentrera que samedi à deux heures. Il restera mardi ici.

Hier matinée superbe au Français. J’étais très fière d’être la nièce de votre grand et célèbre oncle, — Je vous embrasse, Thérèse, Hubert, Ernest font comme moi. — Votre vieille, très vieille belle-fille. » (11)

Le n° 7 du quai du Havre n’existe plus, mais le 9 A et le 12 A dressent toujours leurs vastes façades qui pouvaient être luxueuses du temps de Flaubert mais qui, de nos jours, sont plutôt vétustes. Elles doivent bientôt disparaître dans les prochains travaux d’urbanisme.

Quoi qu’il en soit, après le départ des Allemands, Gustave Flaubert revint à Croisset avec sa mère qui y mourut en 1872.

« … Ma mère — écrira-t-il à son ami Feydeau — a légué Croisset à Caroline et provisoirement je vais y vivre… » Ce provisoire dura jusqu’à son décès survenu le 8 mai 1880.

Ernest Commanville avait aussi acheté un immeuble à Rouen, 83, quai des Curandiers (12) et sente des Douaniers, qu’il ne put payer entièrement. Il fut obligé de le revendre le 12 juin 1880 moyennant un prix de 210.000 francs sur lequel il n’est resté au vendeur que 68.315 francs, le surplus devant servir à solder le prix de l’acquisition (13).

Le jour de la mort de Flaubert, Charles Lapierre venant s’incliner devant le corps, de son œil exercé de journaliste, remarqua sur la table de travail de l’écrivain, un papier bleu d’assignation, grand ouvert. Etait-ce l’obligation de vendre Croisset, choc qui a tué l’écrivain ? Nous ne le saurons sans doute jamais. La menace qui, depuis tant d’années, l’angoissait fut mise en exécution peu après le dernier départ et une usine remplaça la vieille demeure.

Flaubert a quitté Croisset pour aller dormir près de sa famille au Cimetière Monumental de Rouen, son dernier lieu de repos, endroit choisi par lui, lors de la mort de son père, parce que de là, on voyait Croisset.

L. ANDRIEU,

Conservateur de la Bibliothèque Flaubert à Croisset.

 

 

(1) André Dubuc : La nomination du père de Flaubert en 1806, à l’Hôtel-Dieu de Rouen (Bull, des Amis de Flaubert N° 24).(2) Orthographe du nom sur le registre de décès de l’état civil de Rouen.

(3) G. Dubosc : Trois Normands  Le pavillon de l’Hôtel-Dieu.

(4) Pour l’histoire de cette maison, lire : Robert Eude, Le séjour de Gustave Flaubert à Déville-lès-Rouen (Bull. des Amis de Flaubert N° 17).

(5) Elle eut aussi en dot en toute propriété deux fermes et trois maisons sises à Cambremer.

(6) L. Andrieu : Les Bourlet de la Vallée et la famille Flaubert (Bull. des Amis de Flaubert N° 29.)

(7) L’hiver la Seine déborde dans les cours et même sur le chemin qui borde le fleuve et qui va vers Sahurs.

(8) Lettre à George Sand – Croisset – nuit de mercredi 23-24 janvier 1867.

(9) Émile Collange qui ayant épousé Marguerite, la bonne des Flaubert, après la mort de l’écrivain, tiendra un café à Croisset.

(10) La fille d’Achille était appelée ainsi dans sa famille, mais ses vrais prénoms étaient : Julie Caroline.

(11) II doit s’agir de la pièce : Madame Bovary, mise en scène par William Busnach, qui fut créée à Rouen au Théâtre Français en 1906. Ce fut d’ailleurs un insuccès. (Ernest est le fils d’Adolphe et de Juliette, Thérèse et Aubert sont les enfants d’Ernest).

(12) Actuellement quai des Colonies.

(13) Conservation des hypothèques de Rouen.

Note. — Il semble intéressant de savoir que sur les plans cadastraux nous trouvons les renseignements ci-dessous :

25, rue de Crosne-hors-la-ville, section 12 n° 421.

8, rue Le Nostre, section 12 n° 328.

9, quai du Havre, section 10 n° 1028/1018.

12, quai du Havre, section 10 n° 1080.