Flaubert jugé par la presse belge contemporaine

Les Amis de Flaubert – Année 1968 – Bulletin n° 33, page 9

 

Flaubert jugé par la presse belge contemporaine

Vouloir connaître les diverses réactions de la presse belge vis à vis de Gustave Flaubert et de son œuvre, constitue d’emblée une entreprise aléatoire et au résultat toujours incomplet.

D’abord, à l’époque de Flaubert, on ne trouve presque aucun périodique belge présentant une rubrique de critique littéraire organisée et suivie. Les rares exceptions sont, en règle générale, assurées par des journalistes parisiens servant de « correspondants » aux journaux belges.

(Ensuite, on ne trouve (sauf omission) aucune bibliographie, aucun relevé méthodique des articles concernant Flaubert (du moins en ce qui touche à la presse belge), sauf à propos d’Auguste Villemot et de « L’Indépendance Belge » (ce quotidien est le seul à publier, chaque semestre, une table des matières).

Il s’agissait donc d’un travail de pure recherche, dont le succès dépendait en partie du hasard.

Vu l’abondance de la matière à « prospecter », le propos a été limité à deux thèmes principaux :

— les réactions lors du procès intenté à la Revue de Paris .

— les commentaires sur Flaubert et son œuvre, à la mort de celui-ci.

On imite ainsi le plan observé dans l’appendice de l’édition Conard de « Madame Bovary », plan qui permet de juger l’écart des vues de la critique, entre le début et la fin d’une carrière littéraire.

Cependant, on trouvera aussi plus loin le résultat de quelques recherches au sujet de Salammbô ; mais celles-ci ne représentent sans doute qu’un bref aperçu du retentissement de l’œuvre.

Il faut encore signaler l’extrême pauvreté de la Bibliothèque royale de Bruxelles (où les recherches ont été menées) dans le domaine des anciens périodiques artistiques et littéraires ; la plupart des articles cités plus bas proviennent de journaux ou revues dont le propos est essentiellement économique et politique.

Madame Bovary et La Revue de Paris

A cause de l’éparpillement dans la presse, des opinions et jugements émis sur la première grande publication de Flaubert, les recherches ont été axées sur la période du procès intenté à la  Revue de Paris  car il s’agissait là d’un fait divers qui, en quelque sorte, forçait la presse à réagir.

Or, durant cette période (février 1857), l’attention publique est rivée sur l’ »affaire Verger », c’est-à-dire sur l’assassinat de l’archevêque de Paris ; ce centre d’intérêt occupe dans les quotidiens des pages entières… L’« affaire Bovary » passe donc quasiment inaperçue et ne se voit accorder que de maigres entrefilets.

Le Journal de Bruxelles, de tendance très catholique, ignore (ou feint d’ignorer ?) tout ce qui a trait à Flaubert, alors qu’il consacre de larges titres à l’« affaire Verger ». C’est là un silence assez exceptionnel.

D’autres journaux, comme l’Observateur belge et La presse belge, se contentent, en tout et pour tout, de reproduire in extenso le jugement rendu par le tribunal.

Le Charivari belge ne fait aucune allusion au procès, mais, par un tout petit entrefilet, loue Lamartine qui a fait, en public, l’éloge de Flaubert :

Un ami du poète Louis Bouillet (sic), M. Gustave Flaubert, vient de conquérir la renommée par un roman, « Madame de Bovary », publié par la Revue de Paris (…). Savez-vous quel est le grand écrivain qui lui a le premier tendu une main amie et a proclamé son talent publiquement ? C’est M. A. de Lamartine, un cœur d’or ! (27 janvier 1857).

Ceci semble faire écho à une lettre de Flaubert adressée à Madame Schlésinger et datée du 14 janvier 1857 :

« J’ai reçu des confrères de forts jolis compliments, vrais ou faux, je l’ignore. On m’assure même que M. de Lamartine chante mon éloge très haut — ce qui m’étonne beaucoup, car tout dans mon œuvre doit l’irriter » (1).

Dans l’Avenir, on trouve d’abord la publication d’un arrêté rendu contre la  Revue de Paris pour des raisons purement politiques :

« (…) Vu les deux avertissements officiels donnés à la  Revue de Paris  en date des 14 et 17 avril 1856.

Vu l’article publié dans son numéro du 15 janvier, intitulé « Le roi Frédéric-Guillaume IV », et signé « Appenheim » (…) ; La  Revue de Paris  est suspendue pour un mois, à partir de la notification du présent arrêté. (29 janvier 1857).

Nous en verrons plus loin l’importance. L’avenir présente également à ses lecteurs le compte rendu, nuancé d’une légère approbation à l’égard du tribunal, de l’acquittement de la  Revue de Paris :

« (…) Le roman incriminé présente bien des tableaux, des expressions, des images que le bon goût réprouve (…) ; il expose aussi des théories contraires aux bonnes mœurs (…) ; le tribunal, tout en blâmant sérieusement la forme de l’œuvre et ses tendances réalistes, absout les prévenus du délit d’intention et les renvoie des fins de la plainte. » (9 février 1857).

De son côté, L’impartial de Bruges, en quelques lignes, exprime à la fois son accord avec la sentence du tribunal, et sa sympathie envers les accusés :

« (…) Le tribunal (…), par un jugement longuement motivé, a déclaré que la prévention n’était pas suffisamment justifiée, et a acquitté les trois inculpés (…). Tous les assistants ont vivement félicité les rédacteurs. »

Mais, jusqu’ici, on ne remarque pas de vraie prise de position ; les journaux se bornent à « rendre compte », généralement en très peu de mots.

C’est le Français Auguste Villemot, correspondant de L’indépendance belge, qui, le premier, semble-t-il, dans la presse belge, dira son appartenance « flaubertiste ». Déjà son article du 4 janvier 1857 est assez curieux, car commençant par ces mots :

« Un écrivain inédit vient de débuter avec éclat dans la Revue de Paris. »

Villemot avoue qu’il donne cette impression « sans la discuter autrement, n’ayant pas encore lu l’ouvrage signalé. »

Ensuite, au moment du procès, il déclare :

« Je n’entre pas dans les scrupules du parquet. Je me borne à constater encore avec l’assentiment, je crois, des magistrats qui ont pris un vif intérêt à la lecture du roman incriminé, que cette œuvre vient de révéler un talent de premier ordre. » (8 février 1857).

Le jugement rendu, Villemot écrit :

« Le jugement (…) aborde la question littéraire et reconnaît qu’en ces matières la forme emporte le fond et que tout ce qui prend le caractère élevé de l’art échappe aux juridictions humaines. » (15 février 1857).

Dans un quatrième article, Villemot cite tous les grands noms qui ont affirmé à Flaubert leur admiration :

« Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Paul de Saint-Victor et beaucoup d’autres ont salué en M. Flaubert un avènement et une révélation. Dans la mesure de mes forces j’ai reçu et constaté la même impression. »

…et s’en prend, en revanche, à un « ami de Belgique » de qui il a reçu « une lettre illisible, mais pleine d’outrages et de mortifications pour mon jugement littéraire (…) N’ayant pas le loisir de lui écrire directement, je viens vous prier de lui faire savoir, le plus poliment possible, que je le tiens pour un idiot. » (31 mai 1957).

Ces quatre paragraphes (2) enthousiastes sont assez révélateurs d’une presse française qui, ne pouvant s’exprimer librement dans son pays, se déverse dans les colonnes des journaux étrangers. A cet égard, il faut signaler que les numéros de L’indépendance belge contenant les deux premiers articles évoqués ci-dessus, furent arrêtés à la frontière franco-belge, de sorte que les lecteurs français du quotidien en furent privés.

Le 30 août 1857, Auguste Villemot écrit encore dans son Courrier de Paris :

« Rouen, pour le coup, est une ville que je ne me vante pas d’avoir découverte. (…) Traqué par la chaleur, je me suis un moment égaré dans le réseau des petites rues du vieux Rouen, et j’ai cru y voir passer le fiacre de Madame Bovary. Au retour de Dieppe, j’ai rencontré l’auteur de  Madame Bovary  lui-même, M. Gustave Flaubert. Sa personne m’a paru florissante de santé, comme son talent. »

Dans Le national figurent deux articles, plus longs que les précédents, mais aussi plus intéressants par leur contenu. Le premier ramène à l’extrait de L’avenir cité plus haut, et traite des raisons politiques liées (de manière plus ou moins dissimulée) aux raisons morales de la poursuite judiciaire :

« En somme, la police se mêle un peu trop de littérature (…). Je vous avais raconté naguère comme quoi elle (la  Revue de Paris) allait expier, devant la police correctionnelle, ses opinions démocratiques, frappée par derrière, à l’aide d’une accusation d’immoralité, motivée par le démon réaliste de M. Gustave Flaubert. » (12 janvier 1857).

Ces lignes, signées « Le Revenant », sont également dues à un Français ; ce qui paraît confirmer ce qui a été dit à propos de L‘indépendance belge. Le second article, du même auteur, est, d’une certaine manière, plus curieux, car écrit un mois plus tard, il parle de  Madame Savary  (sic), sans nommer Flaubert ; il lie à nouveau les prétextes moraux de l’accusation à un arrière-plan politique :

« Je vous ai parlé d’un roman qui n’est pas sans quelques rapports avec le procès Audouin Dubosc. Ce livre, dont l’auteur, en digne disciple de Balzac et de Stendhal a mis, comme on dit vulgairement, « les pieds dans le plat… » ; dans le plat de la morale officielle et traditionnelle, ce livre continue à faire scandale. Ne vous y laissez prendre qu’à bon escient. Parmi les gens qui font le plus de bruit, il en est que le zèle du bien préoccupe assez peu, et qui veulent, tout simplement exploiter, dans leur intérêt politique, la petite insurrection dont  Madame Savary  est le sujet (…).

Un adversaire politique vous gêne : vous voulez l’atteindre sans lui laisser le droit de crier. Au lieu d’accuser ses tendances et ses doctrines (…) vous vous plaignez de quelques licences, tout à fait étrangères à la politique, et dont, au fond, vous ne vous souciez nullement (…). Ah ! Basile, Basile, jamais sardine ou hareng n’eut autant d’héritiers que vous, mon bel ami. » (10 février 1857).

Un ardent défenseur qui, sans doute, n’a jamais lu Madame Bovary …

En somme, la critique littéraire de la presse belge en général ne prend nulle part nettement position pour ou contre l’œuvre. C’est dire que dans le cas où les auteurs des articles sont belges, on reste dans le domaine de l’indifférence ; s’ils sont français, alors seulement naît l’enthousiasme.

Salammbô
Ces quelques remarques sur la critique belge concernant « Salammbô » ne feront que mettre en évidence la tendance générale constatée à propos de « Madame Bovary » : l’opposition de l’indifférence des journalistes belges et des louanges d’origine française ; cette fois d’ailleurs, l’indifférence semble suivre la voie du mépris.

Ainsi, le Journal de Bruxelles, dont on avait remarqué le mutisme lors du procès de la  Revue de Paris, exprime en quelques mots son inquiétude :

« Les journaux embouchent la trompette en faveur de  Salammbô, roman nouveau de M. Gustave Flaubert. Quelque (sic) soit le talent de l’auteur, on ne doit pas accepter sans restriction les éloges donnés à l’auteur de Madame Bovary. Je vous demanderai la permission de consacrer une analyse spéciale à cette œuvre autour de laquelle on fait un certain bruit et contre laquelle peut-être il y aura lieu de prémunir le guéridon de nos familles ». (4 décembre 1862).

Faut-il  dire que l’« analyse spéciale » n’a jamais suivi ?

Un peu plus d’un mois plus tard, ce même journal publie un nouvel entrefilet :

« Il y a (sic) paru, hier dans l’Union  et aujourd’hui dans le Figaro, deux articles d’appréciation sur le dernier livre si soporifique de M. Gustave Flaubert,  Salammbô. Enfin, il s’est trouvé deux plumes pour écrire et publier ce que chacun, — même les amis de l’auteur — disent (sic) en tous lieux. Espérons que livre et auteur se trouveront ensevelis du même coup dans le linceul de ces deux numéros de journal et que nous serons débarrassés pour quelque temps de cette littérature nauséabonde et corrompue. » (10 janvier 1863).

(En fait, peut-être est-ce cela 1’« analyse spéciale » ?).

Le précurseur ne consacre à l’ouvrage que quelques lignes :

« Salaumbo (sic), de M. Flaubert, n’aura décidément qu’un succès d’estime. C’est un livre très soigné, très brillamment écrit, mais hélas ! qui peut s’intéresser aujourd’hui à Hamilcar, au « Suffête » (sic) de Carthage, et à cet enfant bronzé et crépu que l’histoire appellera Annibal. Sur de pareils sujets, on fait de l’histoire, mais non point des romans ». (3 décembre 1862).

Un peu plus élogieux que son confrère, l’Écho de Bruxelles loue sans restriction l’effort de reconstitution historique :

« Nous avons un événement littéraire dans l’apparition récente d’un roman de Gustave Flaubert (…). Après avoir fait dans Madame Bovary  du réalisme contemporain, M. Flauber (sic) essaie de faire (…) du réalisme carthaginois (…) Cet écrivain a pénétré dans des mœurs dont il ne reste que de vagues traces dans les livres d’histoire. Il a refait Carthage au point de vue architectural, au point de vue politique et au point de vue des usages et des moindres détails des costumes et des habitudes ».

Comme pour Madame Bovary, c’est Auguste Villemot qui donnera dans la presse belge le ton de l’enthousiasme et de l’admiration. Poursuivant son hebdomadaire « courrier de Paris » dans L’indépendance belge, il écrit le 7 décembre 1862 :

« Avez-vous lu Salammbô ? Ici, tout le monde l’a lu (…) ».

Le 14 décembre, il continue :

« Encore un rude athlète à la besogne, c’est M. Gustave Flaubert (…). Celui-ci possède une des vertus que notre temps connaît le moins : il a le courage des longues veilles accumulées sur une même entreprise (…). Il est puissant et patient (…). M. Flaubert est le fils d’un célèbre chirurgien de Rouen (…). L’aptitude singulière que révèle M. Flaubert dans son poème carthaginois pour deviner les hommes et les choses disparus et reconstruire un palais, un temple, une citadelle sur la foi d’un fragment échappé à la destruction, ne participe-t-elle pas de cette partie essentielle de la médecine : le diagnostic ? »

Villemot serait-il  vraiment le seul (du moins en ce qui concerne la presse belge) à avoir compris Flaubert ?

Toujours dans L’indépendance belge , fut publié le 10 décembre 1862 un article « dithyrambique » signé « Éraste » ; en voici l’essentiel :

« Voici cependant l’auteur d’un roman célèbre (Mme Bovary) qui, tout à coup, oublieux ou négligent, du succès remporté et des sentiers parcourus d’un pas si léger, qui se met à recomposer la ville entière et la république de Carthage. Moments perdus, levez-vous ! Religions disparues, que l’on vous voie encore ! Ossements arides, revivez sous mon souffle ! (…). Voilà le triomphe du nouveau livre ! Il est dans son ensemble et dans ses détails toute une résurrection (…).  Salammbô est un de ces poèmes en prose éclatante (…) il faut y ajouter l‘imagination, l’énergie et le talent de M. Flaubert ».

Ce thuriféraire est, bien sûr, un Français…

Les « éloges funèbres ».

Flaubert meurt le 8 mai 1880 ; depuis dix-huit ans, rien, ou presque n’a changé : malgré la renommée de l’écrivain décédé, une grande partie des journaux  belges, notamment La patrie, Le bien public, Le journal d’Anvers…, se contente, pour toute épitaphe, de faire paraître, dans la rubrique « nécrologie », le court avis suivant :

« Gustave Flaubert, le chef de l’école réaliste française, est mort samedi d’une attaque d’apoplexie. C’est à sa campagne de Rouen qu’il a succombé, dans l’après-midi ».

Précisons d’ailleurs que Le bien public s’est chargé d’ajouter :

« Gustave Flaubert, le trop célèbre chef de l’école réaliste… »

La liberté, journal parisien, publie le 10 mai une page entière consacrée aux deux défunts du moment, G. Flaubert et E. Fournier. Cette page sera reprise in extenso par L’Émancipation et par Le journal de Bruxelles, mais sera précédée de quelques lignes « d’avertissement » :

« Il va de soi que nous faisons nos réserves au sujet de l’admiration parfois trop lyrique que l’auteur de Madame Bovary inspire au chroniqueur de La Liberté. Voici comment il s’exprime sur M. Flaubert : « (…) De son père, le grand chirurgien, (…) il aurait hérité de la tendance à ces analyses psychologiques si aiguës et si fouillées parfois qu’elles ont la précision d’une dissection anatomique ; de cette implacable sûreté d’observation appliquée aux plaies morales, qui fait comparer la plume de l’écrivain au scalpel de l’opérateur (…). Il fut le dernier des romantiques et le premier des réalistes… (…). Aujourd’hui, il est tombé sur sa tâche inachevée ; il dort de l’éternel sommeil dans cette maison où il s’enfuyait chaque année pour ciseler ses phrases à loisir, non pour la foule, qu’il savait incapable de discerner l’or du cuivre, mais pour quelques-uns, pour les connaisseurs en belle orfèvrerie littéraire, à l’estime desquels il tenait si vivement (…). Ce n’est pas plus par le Château des Cœurs que par le Candidat que Gustave Flaubert vivra, c’est par trois œuvres qui sont dès à présent immortelles : Madame Bovary,  Salammbô et la Tentation de saint Antoine. En dehors de toute considération d’école,  Madame Bovary est une œuvre vraiment humaine, une création émouvante, palpitante, saignante (…) Cette tragédie bourgeoise d’une si terrible intensité d’analyse, d’une vérité si criante, d’une logique si cruelle, vous empoigne sans qu’on raisonne ses impressions. Salammbô montre en Flaubert le merveilleux érudit collaborant avec l’homme d’imagination. La vieille Carthage (…) revit dans sa monstrueuse grandeur en ces pages où l’artiste met en œuvre avec une habileté prodigieuse les matériaux que le savant voyageur lui a remis. (…) C’est au Faust seul que l’on peut comparer la Tentation de saint Antoine ; mais nous avouons que l’œuvre de Flaubert nous semble supérieure à celle de Goethe. (…) Le consciencieux artiste (…) passait tour à tour de l’espérance au découragement. C’est dans ces anxiétés du créateur préoccupé de la perfection et toujours mécontent de lui-même, que la mort stupide a pris ce laborieux, ce bon et ce vaillant qui, comme tant d’autres, n’a pas vu debout le monument qu’il rêvait d’élever » (3).

Ce même article reprend ensuite un extrait du Figaro, extrait que l’on retrouve dans La gazette ; l’intérêt n’en est qu’anecdotique.

La tendance que l’on remarque le plus souvent est de ne vouloir concéder à Flaubert qu’une seule « grande œuvre », Madame Bovary :

L’indépendance belge :

« C’est la riposte courante qu’on oppose aux admirateurs de Flaubert : — Oui, homme de talent, mais un peu semblable à ce cheval de la légende, lequel n’avait galopé qu’une fois !

— En somme il n’a laissé que Madame Bovary.

L’économie :

« Il est et restera l’auteur de Madame Bovary. L’Éducation sentimentale  (roman) ;  Salammbô (étude antique) ; la Tentation de saint Antoine » (rêve étrange de palingénésie religieuse) ; le Candidat n’ont rien ajouté à sa réputation ».

La gazette :

« Le premier succès de Flaubert avait été si vif, si complet, qu’il n’a pu, dans ses œuvres postérieures que s’en rapprocher, tantôt plus, tantôt moins ».

L’étoile belge :

« Depuis Madame Bovary, les œuvres qu’il a produites nous autorisent à penser qu’il avait donné sa mesure, et que Madame Bovary ne devait pas avoir de sœur ».

Enfin, la presse est malgré tout unanime à reconnaître en Flaubert une figure littéraire de premier plan.

L’indépendance belge :

« Gustave Flaubert eut des adeptes fervents ; il forma une nouvelle école littéraire. Cela suffit pour que son nom occupe une place marquante dans l’histoire littéraire de la France ».

Le précurseur :

« Flaubert n’était pas un écrivain fécond mais tout ce qu’il a publié a une haute valeur littéraire. »

La chronique :

« Gustave Flaubert possédait le secret de trouver dans les choses des éléments d’un merveilleux accord avec les situations ; quelques traits de sa plume magistrale donnaient aux tableaux le cadre le plus propre à les faire valoir ; quelques touches larges, simples, jetées avec un art infini, lui suffisaient à rendre avec une égale intensité, le tragique et le comique ».

Enfin, au milieu des griefs et des louanges, l’article de Jean d’Ardenne, dans La chronique, est sans doute un des plus sincères et des plus attachants :

« Pour nous, Madame Bovary est resté « le livre » (…) Madame Bovary, cette œuvre lumineuse, reste au firmament littéraire, comme une étoile brillante. Salammbô n’a pas bougé non plus. Nous avons gardé dans notre mémoire cette Carthage (…) qu’une fantaisie étourdissante mit brusquement en lumière. (…) Salammbô sous ce rapport, ressemble à une symphonie. Ce style aux allures antiques, savamment coupé, fortement scandé, donne, en maintes occasions, une sensation presque musicale. (…) Deux œuvres de Flaubert ne se sont pas imposées : l’Education Sentimentale, où l’on n’a pas assez vu la satire cruelle d’une époque de transition misérable, et la Tentation de saint Antoine. J’aurais beaucoup de choses à dire, à propos dela dernière surtout. (…) Cette prodigieuse tapisserie qui s’appelle la Tentation de saint Antoine n’est pas à sa place. Oh ! Elle y viendra. (…) L’homme fut aussi bon que l’artiste fut grand. Il était complet : il avait, par surcroît, le mépris des imbéciles.

Il reste, ironiquement, à faire remarquer le nombre de « coquilles » commises par les journaux ; en effet, si l’on doit en croire ceux-ci, Flaubert aurait écrit « Bouvard et Pétuchet », « Salambo » ou « Salaumbo », « Madame Savary » ou « Madame de Bovary », « Trois Cartes » et le « Château des Chœurs » ! Monsieur Flaubert, votre sottisier est vraiment inachevé…

Michel Doutreligne .

(Bruxelles)

(1) Cité par Descharmes et Dumesnil dans  Autour de Flaubert, tome 1, page 43.

(2) Les quatre premiers articles d’Auguste Villemot sont cités à la fois par Talvart et Place, et par Descharmes et Dumesnil dans  Autour de Flaubert.

(3) On voudra bien, je l’espère, excuser la longueur de cet extrait qui méritait, à mon avis, d’être cité pour ses intéressantes conceptions (notamment sur le romantisme et le réalisme, sur la technique « flaubertienne » et sur le Faust de Goethe)…