Orlowski, un musicien polonais ami de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1979 – Bulletin n° 54 – Page 19

 

Un musicien polonais ami de Flaubert

Antoni Orlowski (1811 -1861)

 

Personnalité très attachante, Antoni Orlowski allait jouer un rôle important dans la vie musicale rouennaise entre 1832 et 1861, ainsi que dans la jeunesse de Gustave Flaubert (1). Né à Varsovie en 1811, le musicien accomplissait ses études au Conservatoire de cette ville, avec K. Detroit et Ernemann pour le piano, avec Joseph Bielawski pour le violon, Lenz pour l’orgue, Elsner (directeur de l’établissement en 1825) pour la composition. Auprès de ces maîtres, il recevait un enseignement complet, couronné en 1823 par deux premiers prix de violon et de piano. Orlowski participait à l’activité musicale polonaise, en chantant à l’église des Visitandines et dans les chœurs des Maristes, en fondant et en dirigeant l’orchestre de Siedlce, près de Varsovie. Il était l’ami et le condisciple de Frédéric Chopin. Très jeune, il s’essayait à la composition de musiques de ballet : La Lutte des Pécheurs (1824) et L’envahissement de l’Espagne par les Maures représenté au Théâtre Narodowy en 1827. Une Messe est également donnée, la même année, à l’église des Carmélites. La Sonate concertante, pour piano et violon, opus 6, dédiée à Bielawski, « violon solo du Grand Théâtre de Varsovie et Professeur à l’École Royale », sera publiée plus tard, à Paris, par Richault. Elle représente un bon travail d’étudiant bien doué, qui n’ignore rien de la technique instrumentale. Comme Chopin, devant les événements russo-polonais, Antoni Orlowski s’expatrie en Allemagne, puis en France. II arrive à Paris en 1830 (2).

Admis dans la classe de Lesueur au Conservatoire de Paris — ce qui est un fait rare pour un étranger — Orlowski poursuit ses études de composition. II fait partie, pendant un temps, de l’Orchestre de l’Opéra-Comique, en qualité d’altiste, puis de timbalier, avant de se rendre à Rouen, muni d’une lettre de recommandation d’Ambroise Thomas, son compagnon d’études chez Lesueur, pour un négociant du nom de Gompertz. II est alors engagé comme violoniste dans l’Orchestre du Théâtre des Arts (3).

Les événements de Pologne trouvent des échos sympathiques à Rouen. On organise des parties de billard, des expositions ; on donne des nouvelles de ce pays dans la presse régionale ; on célèbre la grande retraite du Prince Poniatowski sous les murs de Leipzig et, enfin, on fait paraître des réclames pour la chanson de Béranger : Hâtons-nous ! « À la fin de 1831, quand le désastre est consommé, l’intérêt du public ne faiblit pourtant point ». Des émigrés — environ une trentaine — se réfugient à Rouen (4). Longtemps encore, les journaux vont publier des articles et des poèmes sur la Pologne meurtrie, comme cette Ode à la Pologne (« Ô Polonais bannis, venez dans nos cités… ») de l’ami de Gustave Flaubert, Alfred Le Poittevin, parue dans Le Colibri du 17 juillet 1836.

Aussitôt installé à Rouen, Antoni Orlowski se produit au concert, aussi bien comme violoniste que comme pianiste soliste ou accompagnateur :

« Les morceaux qu’il a joués auraient fait (…) plus d’effet dans un salon que sur un théâtre », écrit le Journal de Rouen du 12 mai 1832, après son concert de la veille au Théâtre des Arts. « Soit par manque d’assurance, soit par toute autre cause, M. Orlowski ne tire pas de son piano des sons assez forts pour remplir un aussi grand vaisseau. On a cependant applaudi quelques passages exécutés avec goût et pureté ». Le journal ajoute que les auditeurs étaient nombreux : « Le mot de Polonais sur l’affiche exerce toujours une heureuse influence ».

Même engouement pour la Pologne, lorsque le pianiste Albert Sowinski accompagne, le 6 octobre 1832, la cantatrice italienne, Mme Masi. L’artiste interprète notamment « un morceau fort bien choisi » sur l’air La Pologne vit encore, très applaudi (5). Au théâtre, dans les entractes, la troupe chantait La Varsovienne, sur des paroles de Casimir Delavigne, musique du chef d’orchestre des Arts, Schaffner. Le 20 juin 1832, pour saluer l’arrivée d’un convoi de Polonais, le théâtre retentit des accents de La Varsovienne, de La Marseillaise et de La Parisienne.

Antoni Orlowski devient l’accompagnateur de la Société Philharmonique de Rouen en 1834 et dirige bientôt l’orchestre des sociétaires. II prend en 1835 la tête de l’Orchestre du Théâtre des Arts. Le chroniqueur musical du Frondeur (6) apprécie le musicien, excellent violoniste, mais chef encore jeune, dont les qualités nombreuses, certes, forment un « chaos informe ». Néanmoins, Orlowski dirige avec succès, au Théâtre des Arts, les premières représentations de La Juive de Halévy, une année à peine après l’opéra de Paris (7). D’après Gustave Flaubert, la façon dont il a mené les représentations de La Juive lui vaut « la protection et l’amitié » de Halévy, lequel, semble-t-il, appuiera la démarche de l’écrivain pour faire nommer Orlowski à la tête de l’orchestre de l’Opéra (8). En 1843, le musicien polonais assistera à une exécution d’un autre ouvrage de Halévy, dans la capitale : Charles VI. Selon Caroline Flaubert, il n’y démêlera « qu’un tapage épouvantable » (9).

Depuis plusieurs années, la sœur de Flaubert étudie le piano avec Antoni Orlowski. La première mention du nom du musicien apparaît dans une lettre de Gustave à Ernest Chevalier, du 24 mars 1837. Le Polonais est déjà un habitué de la maison Flaubert (10). Curieusement, il habite tout près de l’Hôtel-Dieu, rue Lecat, après avoir changé quatre fois de domicile. En 1835, il est porté sur le registre de la Société Philharmonique comme demeurant rue Porte-aux-Rats (11). II est vrai qu’en s’installant rue Lecat, il se rapproche également de l’église de la Madeleine où iI est organiste titulaire. Z. L. Zaleski voit dans le musicien le modèle du médecin Yanoda dans Madame Bovary (12) : « À propos de ce pauvre Yanoda qui s’est enfui ; vous vous trouverez, grâce aux folies qu’il a faites, jouir d’une des maisons les plus confortables d’Yonville. (…) C’était un gaillard qui n’y regardait pas ! »

Autant dans la correspondance de Caroline que dans celle de Gustave, le bon vivant est évoqué, avec des détails éloquents. À la fin du mois de mars 1837, Gustave et Achille vont « ribotter, fumer et entendre de la musique chez Orlowski », avec des réfugiés (13). L’année suivante, Gustave voit « Avaro Orlowski » festoyer chez lui avec des Polonais et des acteurs. Ensemble, ils consomment de l’absinthe (14). Le musicien fait preuve de générosité et de dévouement envers ses compatriotes, qui font l’admiration de Flaubert :

« Voilà une nature heureuse. II a été dans la plus atroce misère sans en être affecté, et quand il a pu, il s’en est donné à cœur joie. C’est une belle et bonne âme, et la plus généreuse que je connaisse sous son enveloppe commune. Quand il n’a plus d’argent, il donne ses habits, ses meubles. Je l’ai vu hébergeant et nourrissant sept personnes à la fois. Comme iI n’avait pas de drap pour le septième, il le faisait coucher avec lui » (15).

À Rouen, Orlowski est de toutes les fêtes, de toutes les réunions de bienfaisance. Il peut aussi bien accompagner une chansonnette à l’Ambigu-Dramatique (16) que son ami Frédéric Chopin, lors du concert mémorable du 12 mars 1838. II fait connaître les œuvres de son maître de Varsovie, Joseph Elsner. En décembre 1838, sous sa direction, la Société Philharmonique donne pour la première fois un Hymne Religieux, au cours d’une séance de la Charité Maternelle (17). Le 23 novembre 1839, c’est une Messe du même compositeur qui est chantée à la Chapelle du Collège (18). En 1845, les Rouennais entendent le chœur Ecce Panis d’Elsner (19) ; enfin, à l’annonce de la mort du compositeur à Varsovie en 1854, Orlowski organise une manifestation musicale à l’église de la Madeleine.

Le passage d’Orlowski à la tête de l’Orchestre du Théâtre des Arts est assez bref : deux années (1835-1836). Le musicien consacrera ensuite tous ses efforts à la Société Philharmonique. Dans ce cadre, il invite Chopin. La soirée, initialement prévue le 5 mars 1838, doit être remise. Ce jour-là, le pianiste polonais jouait dans les appartements de la duchesse d’Orléans (20). Le concert se déroule donc sept jours plus tard dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, au bénéfice d’Orlowski. Les occasions d’entendre Frédéric Chopin en province et devant un public nombreux étaient extrêmement rares. Les Rouennais eurent conscience de l’événement. Le programme ne fut pas exactement respecté. Le même soir, le Théâtre des Arts représentait La Juive et privait ainsi la Société Philharmonique des principaux solistes de l’orchestre. On supprima une Ouverture de Ries, « dont l’exécution avait été préparée par quinze répétitions », une Symphonie de Schubert, « arrangée à grand orchestre par M. Orlowski », la Polonaise et Andante spianato de Chopin (21). Le Journal de Rouen blâma « le mauvais vouloir de la direction du Théâtre des Arts ». Cette dernière affirma « que M. Orlowski ne lui avait rien demandé et qu’elle ne lui avait rien promis ». Par conséquent, « elle n’avait aucun motif pour sacrifier ses intérêts à ceux de ses artistes par ce seul mobile de procurer spontanément plus d’éclat au concert de M. Orlowski » (22). L’Écho de Rouen, après avoir regretté de n’avoir pas entendu la « mélodie de Schubert arrangée à grand orchestre par le bénéficiaire », avoue avoir assisté à l’un des meilleurs concerts de l’année. « M. Chopin nous a amplement dédommagés des mutilations du programme. À lui ont été tous les honneurs de la soirée, et les applaudissements si vifs qu’il a reçus valent mieux pour lui que les éloges que nous pourrions lui donner » (23).

Au sein de la Société Philharmonique, sous la présidence du baron de Villers, Antoni Orlowski se multiplie « soit comme chef d’orchestre, soit comme exécutant » (24). L’Ode-Symphonie de Félicien David, Le Désert, qu’il dirige le 28 mars 1846, ajoute « un titre de plus à la réputation que son talent lui avait faite depuis qu’il est parmi nous » (25)

« Maître Orlowski a donné le signal et les premières notes annonçant l’entrée au désert se sont fait entendre (…) D’abord, notre public est resté étonné, indécis en présence de cette forme nouvelle de symphonie alternativement dramatisée par des paroles, par les chœurs, et par les images de l’orchestre. C’était bien de l’admiration, mais de cette admiration que l’on éprouve à l’aspect d’une magnifique chose dont la beauté vous séduit ».

Le 6 mai de la même année, Le Désert est exécuté une nouvelle fois sous la direction d’Orlowski, dans la salle Saint-Ouen de l’Hôtel de Ville. Le chef d’orchestre accompagne une autre célébrité musicale de Rouen, le pianiste Amédée Méreaux, dans le Concerto en ré mineur, de Mozart. Les deux artistes se font encore entendre, le 14 juin, au Cirque Saint-Sever. Méreaux produit une « vive sensation » dans la partie soliste du Concerto Le Croisé, de Weber. Le « maître » Orlowski dirige les 80 musiciens de l’orchestre, avec un talent et une persévérance qui lui attirent des éloges. « Nous prévoyons que, grâce à lui, note le Mémorial de Rouen, notre bataillon instrumental atteindra bientôt un vaste développement ».

Orlowski pratique la musique de chambre avec les meilleurs instrumentistes de Rouen, dont certains comme Engelmann ou Romisch sont d’origine allemande. Caroline Flaubert participe à ces réunions en tant que pianiste, avec le concours également de Malençon et de Fournier. Son professeur Orlowski désirerait qu’elle joue un trio de Mendelssohn avec Engelmann, qui d’ailleurs a fort bien connu le maître allemand (26). Ce violoncelliste de grand talent organisait des matinées musicales chez les demoiselles Lemire ou dans les nouveaux salons Carlin, marchand de musique, 52, rue Beauvoisine. Le Quatuor Engelmann fait véritablement connaître la musique de chambre de Beethoven à Rouen, à partir de l’année 1847. Bien entendu, Orlowski fait partie du groupe en qualité de second violon ; Engelmann jeune tient le premier violon, Thieulan, l’alto, et Engelmann aîné, le violoncelle (27).

Gustave Flaubert se tient régulièrement au courant des activités musicales de Rouen et de son ami Orlowski. Caroline lui donne des détails sur un concert où les Caprices pour piano et les Nocturnes pour violoncelle et piano du musicien polonais n’obtiennent guère de succès (28). La sœur de Flaubert parle souvent de ses leçons. « Père Orlowski vient toujours très régulièrement et il trouve que je fais de grands progrès. Je suis un peu de son avis et continue à avoir assez d’ardeur malgré les morceaux assommants pour piano seul » (29).

Celle qu’Orlowski appelait « la belle Poulette » (30) mourut le 20 mars 1846. Une page est tournée, mais le musicien polonais est encore associé, dans l’esprit de Flaubert, à Caroline, lorsque l’écrivain adresse une supplique à Louise Colet, visant à faire obtenir, pour Orlowski, la succession de Habeneck à la tête de l’Orchestre de l’Opéra (31)

« Je suis tout dévoué à ce brave garçon qui se rallie à mes souvenirs les plus gais et les plus tendres aussi. C’est lui qui faisait jouer à ma sœur du Mozart et du Beethoven. J’ai beaucoup ri avec lui autrefois, et beaucoup bu aussi. Maintenant entre lui et moi, comme avec tous les autres du reste, il n’y a plus rien de commun. Cela est venu par la force des choses ; j’ai changé, j’ai grandi ».

Cette lettre est à rapprocher de celle adressée à Louis Bouilhet (Trouville, 23 août 1853) : « J’ai revu hier à deux heures d’ici un village où j’avais été iI y a onze ans avec ce bon Orlowski ». Zaleski (32) interprète ce passage ainsi : « Le « bon Orlowski » devient ici pour un instant fugitif une sorte d’intermédiaire et de transition entre ce large courant de la vie sentimentale où plonge le moi lyrique de Flaubert et ce spectacle « insolent » de la nature, « univers immobilisé » et « devenu statue ». Incorporé comme par hasard dans une évocation du passé déjà lointain, il semble y apporter une note plus vive et plus gaie ».

Zaleski affirme que le jeune Flaubert admire bien plus chez son ami les « qualités gastronomiques et mondaines » que le talent du musicien. Les lettres à Pradier et à Louise Colet semblent démontrer le contraire. Certes, Orlowski manque de chic, mais il possède un « talent vrai et sérieux » que lui reconnaissent ses contemporains. Le Journal de Rouen, par déférence, l’appelle « maître » et même « M. le Professeur Orlowski » (33). L’artiste polonais a une connaissance approfondie de la musique de théâtre, de la musique symphonique et de la musique de chambre. À l’époque, il est le seul « rouennais » à disposer d’une telle maîtrise, d’une culture musicale aussi étendue et variée. Méreaux lui-même ne peut prétendre à un aussi vaste savoir dans le répertoire moderne.

Orlowski s’intéresse aux questions pédagogiques. Vers 1830, Rouen est secouée par les querelles autour de l’enseignement du solfège par la méthode des chiffres, dite méthode Galin-Paris-Chevé. Ce système qui puise ses origines dans les principes établis par Jean-Jacques Rousseau est violemment combattu à Rouen par le baron de Villers, Méreaux, Malliot et Orlowski. Aimé Paris avait dévoilé le secret de son chronomètre mobile au cours de séances organisées au mois d’août 1834. Ces démonstrations soulèvent l’indignation d’Orlowski, « au nom et pour tous les artistes professeurs de Rouen » : « M. Aimé Paris, après avoir jeté aux artistes en masse, dans un pompeux prospectus, le défi le plus formel, a refusé, lorsque ceux-ci sont venus lui offrir de l’accepter, en laissant à son choix tous les moyens d’établir la prétendue supériorité de sa méthode ». Paris refuse également la proposition d’Orlowski de prendre au hasard dix élèves à l’hospice des enfants trouvés pour les instruire, « chacun par moitié, pour les soumettre ensuite, après quatre mois d’étude, à l’examen d’un jury nommé à son choix ». (34).

L’année suivante, Aimé Paris publie une lettre ouverte adressée à Orlowski et aux principaux musiciens de la ville. II s’en prend particulièrement à Orlowski et déclare la guerre à ceux qui ont l’intention de s’opposer à lui (35). Paris, décidément obstiné, triomphe quinze ans plus tard. Le 1er février 1850, le conseil municipal décide que l’enseignement de la musique dans les écoles primaires communales serait donné d’après la méthode par chiffres. Le jury d’examen, nommé par le maire et présidé par Orlowski, rend un verdict favorable. II reconnaît l’« heureuse introduction à la lecture » et l’efficacité de la méthode. C’est tout au moins ce que conclut le Franc-Juge, organe de Galin-Paris-Chevé (36). Si l’on en croit son compte rendu du 28 juillet 1850, la commission de contrôle, conduite par le maire et Orlowski, manifeste « hautement sa satisfaction ».

Orlowski est un compositeur estimable. Le 12 juillet 1835, la Gazette Musicale de Paris publie une critique d’un Rondo élégant, pour piano, du musicien « point connu jusqu’à présent » (37), mais qui donne « assez de preuves de son talent, pour y applaudir et pour l’engager bien sincèrement à poursuivre sa carrière. Le style de M. Orlowski est, en général, si ferme et si correct ; son rondeau renferme un si grand nombre de combinaisons harmoniques bien conçues (…) que, sous ces différents rapports, sa composition est tout à fait digne d’éloges ».

Son propre opéra, Le Mari de circonstance, est bien accueilli au Théâtre des Arts, le 5 mars 1836. Le livret de Planard avait déjà été mis en musique par Charles Plantade en 1813. La revue Le Boieldieu, qui publiera les Couplets du Jardinier, extraits de la partition, dans son numéro 41 du 22 mai 1836, remarque que l’ouvrage « a réussi vendredi à notre grand théâtre (…). La musique est de beaucoup préférable à celle de Plantade (…). M. Orlowski a révélé dans cette composition une grande facilité jointe à la grâce et à l’énergie » (38). Selon la Revue et Gazette Musicale, c’est l’occasion pour Rouen d’entendre avec bienveillance la production d’un « jeune fils de la Pologne » et de lever « l’étendard de la décentralisation musicale » (39). Malgré l’inexpérience du compositeur et une intrigue embrouillée, on se plaît à trouver « de la fraîcheur, du goût » à ces pages (40). Les représentations de La Juive limitent le succès de l’ouvrage. II ne sera pas repris.

Il ne subsiste que peu de choses de la musique d’Orlowski. Le charme des Couplets du Jardinier fait regretter le reste. Nous n’avons pas retrouvé les manuscrits des arrangements de Schubert, ou de l’« Ouverture à grand orchestre », exécutée au Théâtre des Arts, le 29 juin 1833. En revanche, la Valse dédiée à ses jeunes élèves, parue dans Le Boieldieu du 10 janvier 1836, est délicieuse ; toute empreinte de grâce et d’un joli mouvement, elle fait penser à Chopin. Le Grand Duo pour piano et violon sur un thème original, opus 24 (41), est conçu dans un style brillant, celui d’une pièce de fantaisie avec un thème frais, trois variations, dont une « alla Polacca ». Orlowski écrivit quelques romances françaises, sans véritable intérêt. Tout reposait ! (42) et une Hymne dédiée à la Patrie, se terminant par un bref chœur à deux voix, Dieu protège la France (43). Nous supposons que la Pologne possède les premiers ballets et les messes du musicien.

Lors de la mort d’Orlowski, à Rouen, le 11 février 1861, Louis Maillot lui consacra un article dans Le Nouvelliste (44), rendant hommage à sa manière d’écrire, « vive, brillante et naturelle », à sa mémoire et à son oreille « d’une exquise délicatesse ». Seule « l’altération de sa santé » avait assombri sa gaieté et sa bonne humeur naturelles. Lorsque la nouvelle du décès parvint en Pologne, un service funèbre fut célébré pour le repos de son âme par les anciens camarades et élèves du Conservatoire de Varsovie » (45).

Christian GOUBAULT

(Rouen)

(1) Nous avions esquissé le portrait d’Orlowski dans le n° 51 (décembre 1977) du bulletin des Amis de Flaubert. Cette nouvelle étude, tout en reprenant les principaux points du travail précédent, se veut plus détaillée. Nous espérons pouvoir éclairer la personnalité du musicien, tout en donnant une image plus exhaustive du climat artistique de cette époque.

(2) Voir le Dictionnaire des Musiciens Polonais, tome 2, Varsovie, Is pan 1967, Muzyda polska wrozwoju de Jachimecki, tome 2, 2e partie, Krakovie, 1951, Les musiciens polonais et slaves, anciens et modernes, de Sowinski, Paris, Le Clerc, 1857, la Biographie Universelle des Musiciens, de Fétis, le Groves’s Dictionary of Music and Musicians.

(3) Journal et Nouvelliste de Rouen, 12 février 1861.

(4) Zaleski (Z.L.), Les Relations Polonaises de Flaubert, dans Attitudes et Destinées, Paris, Soc. d’Éd. Les Belles Lettres, 1932, pp. 141-147. Voir également le Journal de Rouen du 24 juillet au 5 août 1831.

(5) Bouteiller (J.E.), Histoire complète et méthodique des Théâtres de Rouen, Rouen, Giroux et Renaux, tome 3, 1867, pp. 441, 506 et 523.

(6) N° 13, 21 Juin 1835 : Lettres sur le Théâtre de Rouen.

(7) 5 février 1836. Opéra : 23 février 1835.

(8) Lettre à James Pradier, 21 septembre 1846, Correspondance, I, La Pléiade, 1973, p. 357.

(9) Ibid., lettre du 30 juin 1843.

(10) Ibid., p. 22.

(11) Bibliothèque Municipale de Rouen, Registre, 1er cahier.

(12) Op. cit., p. 152. Madame Bovary, La Pléiade, p. 366.

(13) Lettre du 24 mars 1837.

(14) Lettres du 11 octobre 1838 et du 21 mai 1842.

(15) Lettre à Louise Colet, 20 septembre 1846 (Correspondance, p. 358)

(16) Journal de Rouen, 4 décembre 1838.

(17) Écho de Rouen, 22 décembre 1838.

(18) Le Colibri, 24 novembre 1839.

(19) Journal de Rouen, 12 et 16 février 1845.

(20) Journal de Rouen, 22 février 1838. Le nom de Chopin est plusieurs fois orthographié Schopin (voir aussi 20 février). La confusion avec le peintre Henri, Frédéric Schopin (1804-1880) paraît évidente.

(21) Journal de Rouen, 13 mars 1838.

(22) Ibid., 14 et 15 mars 1838.

(23) 13 mars 1838. Voir le célèbre compte rendu d’Ernest Legouvé dans la Revue et Gazette musicale, 25 mars 1838.

(24) Le Mémorial de Rouen, 8 et 11 janvier 1846.

(25) Ibid. 30 mars 1846.

(26) Correspondance, I, La Pléiade, p. 152, lettre du 30 mars 1843. Engelmann avait joué en trio avec Mendelssohn lui-même. Cf. Marcel Dupré raconte…, pp. 15-16.

(27) Cf. Journal de Rouen, 1er mars 1847, 6 août 1848, 27 juillet 1849.

(28) Correspondance, 18 décembre 1843, p. 199.

(29) Ibid., 25 mai 1843, p. 166.

(30) Ibid., 3 août 1842, p. 121.

(31) Ibid., 20 septembre 1846, pp. 355-356. Flaubert avait demandé à James Pradier de faire intervenir ses relations (Mlle Bertin, fille du directeur du Journal des Débats et compositrice, le ministre Duchâtel). Une démarche analogue avait été tentée auprès de Maxime du Camp (cf. pp. 352, 356-358). Narcisse Girard devient chef d’orchestre à l’Opéra, sur la recommandation de Habeneck.

(32) Op. cit., pp. 151-152.

(33) 12 janvier 1848.

(34) Lettre au rédacteur, L’indiscret, 20 septembre 1834.

(35) 10 décembre 1835, prospectus inséré dans les Notes détaillées à Rouen des souscripteurs, Rouen, Perruche, lithogr., Bibl. de Rouen. Mus. g 271.

(36) 17 février 1850.

(37) II s’agit vraisemblablement du Rondo brillant, opus 7.

(38) 6 mars 1835.

(39) 13 mars 1836.

(40) Journal de Rouen, 6 mars 1836.

(41) Paris, Challiot, 1850.

(42) Paris, Bousquet.

(43) Paris, A. Catelin : « Paroles et Musique de M. Adre D… Accompagnement de piano par M. Orlowski ».

(44) 12 février 1861.

(45) Kurier Warszawski, 1861, n° 57, pp. 281 — 282.