La flore dans l’œuvre de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1980 – Bulletin n° 56 – Page 6

 

La flore dans l’œuvre et la correspondance

de Gustave Flaubert

Les numéros des références (de 1 à 232) qui figurent dans le texte, se retrouvent, dans l’ordre, avec indication de la page du volume où l’on pourra retrouver les extraits cités dans cet article.

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Les célébrations de centenaires littéraires ont du bon, car elles peuvent créer des vocations nouvelles et des recherches inattendues, comme à la saison des champignons dans un pré. C’est le cas du long et important article que nous publions dans ce numéro et que nous avons jugé bon et utile de faire paraître en une seule fois, pour parfaire l’année du centenaire.

Son auteur, M. Bernard Boullard, est rouennais depuis de nombreuses années. Il est originaire du Calvados et est maintenant professeur d’histoire naturelle à la Faculté des Sciences de Rouen – Mont-Saint-Aignan. C’est un spécialiste de renommée internationale en mycologie et, de surcroît, un ardent défenseur de la nature et des forêts contre les dégâts commis par les nuisances et pollutions créées par la civilisation industrielle.

Pour varier de ses habituelles recherches, M. Bernard Boullard a cru bon de se pencher sur l’œuvre et la correspondance de Gustave Flaubert, afin de voir de plus près ce que le romancier rouennais avait dit et pensé de la nature et de la flore dans le domaine français et européen. Il s’agit donc d’une tentative jamais amorcée jusqu’à maintenant, d’où son grand intérêt. Gustave Flaubert fut élevé dans une ville commerçante certes, mais aussi déjà fiévreusement industrielle, ce qui le différencie de son disciple Maupassant ayant passé toute sa première jeunesse dans un village et au bord de la mer : avant tout, il est profondément cauchois. Flaubert demeure un enfant de la ville : un citadin. Il a été témoin de l’apparition et du développement de la civilisation industrielle, autre que l’artisanat, avec la concentration des usines caractérisées par leurs hautes cheminées répandant leurs panaches de fumées noires de charbon de terre dans l’atmosphère autant que celles des usines de produits chimiques, d’acide sulfurique surtout, envoyant plus sournoisement leurs odeurs avec les vents dominants sur la ville et ses banlieues. La pollution sauvage s’est accrue de son vivant et déjà le contraste entre la société naturelle, agro-artisanale et une autre plus industrielle, plus dure, plus pénible à de nombreux hommes se précisait. Flaubert, observateur méticuleux, a dû noter les différences entre sa jeunesse et son âge mûr. Aussi des traces ont dû se manifester dans son œuvre et sa correspondance : ce fut le but de la recherche de M. Bernard Boullard de relever tout ce qui a trait à la nature et à la flore. Ainsi, il a découvert l’intérêt que Gustave Flaubert portait à « l’écologie » dont on parle tant depuis quelques années. Le. texte que nous publions offre un intérêt particulier, parce que l’auteur est un homme de sciences et qu’il juge en connaisseur. Nous pouvons le remercier de nous avoir offert ce travail précis et de concilier ainsi la littérature avec les sciences exactes, et où se dégage une poésie de la nature et de la flore.

André Dubuc

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La place de la nature dans la vie de Flaubert.

L’humeur changeante de Flaubert ne s’est pas seulement manifestée à l’égard de ses contemporains (et peut-être spécialement des femmes qu’il côtoya ou évoqua), mais aussi à l’endroit de la nature. Pourtant, s’il lui arriva, vers le milieu de sa vie, de s’en proclamer distant, il ne rompit jamais réellement avec elle et s’y révéla très attaché aussi bien pendant toute son adolescence qu’au crépuscule de sa vie.

Son grand-père, Nicolas Flobert Le Cadet, avait réalisé un Herbier (ou « Jardin sec ») en 1778, aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Rouen, dédié à son « Très Cher Père » auquel il expliquait très judicieusement, en préambule, le sens et l’intérêt d’une telle réalisation. Hélas les erreurs de détermination des espèces présentées, les échantillons trop peu représentatifs de l’habitus du végétal entier, l’absence totale d’informations en matière de lieux et dates de récoltes, ou d’habitat, la seule désignation vulgaire, ôtent tout intérêt scientifique actuel à cet herbier réduit à sa simple valeur sentimentale. Nous doutons fort qu’il ait pu exercer la moindre influence heureuse sur le jeune Gustave.

Il n’empêche qu’au Collège de Rouen : « L’élève Gustave Flaubert ne consentait à briller qu’avec les maîtres qu’il estimait. Il en fut ainsi avec le savant Pouchet, professeur d’Histoire Naturelle, qui lui attribua la première place en composition » (203). C’était au cours de l’année scolaire 1835-1836, en classe de quatrième, et Flaubert ne manquera pas de le rappeler en 1857 à Ernest Feydeau auquel il écrira : « … j’ai eu un prix en botanique. Le sujet de la composition était l’histoire des champignons. J’avais couché, sur ce mets des Dieux, vingt-cinq pages tirées de Bomare qui excitèrent l’enthousiasme de mes professeurs, et j’obtins « la juste récompense de mes labeurs assidus ».

Quelques mois plus tard s’achèvera la rédaction de « Rage et Impuissance » et l’amour de la nature y transparaîtra déjà : « Oh ! mourir ! ne plus rien voir de tout ce qui se passe sur cette terre ; la nature, les champs, le ciel, les montagnes » (3). L’expression en deviendra plus sensible dès l’année suivante (l’auteur est alors âgé de 16 ans) lorsqu’au bord de la mer, au Havre : « une herbe, qui avait pris naissance entre deux fentes de la pierre, penchait sa tête, toute pleine de la rosée ; chaque coup de vague venait la tirer de sa racine, et chaque fois elle se détachait de plus en plus ; enfin elle disparut sous la lame, on ne la revit plus ; et pourtant, elle était jeune et portait des fleurs… » (9). C’est avec un accent pathétique que le pauvre de la « Danse des Morts » proclame son attachement à la nature : « Laisse-moi encore me réchauffer au soleil, me promener dans les prés, regarder la rosée au bout de chaque herbe, la fleur sur chaque arbre ; laisse-moi entendre… les feuilles qui s’agitent, l’insecte chantant dans les blés ; laisse-moi regarder, le matin, toute la vallée pleine de brouillard et qui semble ainsi, avec ses fleurs, ses bois, ses marguerites, ses émeraudes, un encensoir qui fume sur un autel garni de diamants… Laisse-moi la nature ; le pauvre n’a qu’elle, mais il l’aime comme une mère » (11).

Et cet assaut de romantisme, cette passion pour les animaux, les plantes, le ciel, l’eau, s’exprime pareillement dans les « Mémoires d’un Fou », mémoires rédigés en pleine adolescence ! Se penchant (déjà) sur son (bref) passé, Gustave Flaubert avoue avoir aimé : « … entendre les bois frémir et écouter la nature qui soupire dans les nuits !… Oh ! comme mon enfance fut rêveuse !… Je regardais l’eau couler entre les massifs d’arbres qui penchent leurs chevelures de feuilles et laissent tomber des fleurs… ; j’avais des extases devant un beau soleil ou une matinée de printemps, avec son brouillard blanc, ses arbres fleuris, ses marguerites et ses fleurs » (15). Plus loin, au nombre de ses réminiscences enfantines, il évoque, avec une délicate nostalgie, ses jeux d’enfants : « … sur l’herbe au milieu des marguerites dans les prés, derrière la haie fleurie, le long de la vigne aux grappes dorées (il en existait encore communément autour de Rouen à cette époque), sur la mousse brune et verte, sous les larges feuilles, les frais ombrages ; souvenirs calmes et riants comme un souvenir du premier âge, vous passez près de moi comme des roses flétries » (17) (c’est nous qui soulignons).

Et quel besoin, sinon l’attachement viscéral aux choses de la nature, fussent-elles mortes, le pousse à nous confier qu’au Collège, au cours des récréations : « … pendant qu’on jouait… je me promenais le long du mur, marchant sur les feuilles tombées des tilleuls, pour m’amuser à entendre le bruit de mes pieds qui les soulevaient et les poussaient » (22). Une autre fois, aux beaux jours, dans la campagne environnante : « … j’ai passé tout l’après-midi couché sur le dos, dans un champ où il y avait des petites marguerites qui sortaient de l’herbe ; elles étaient jaunes, rouges, elles disparaissaient dans la verdure du pré, c’était un tapis de nuances infinies » (23). N’est-ce point d’ailleurs en se remémorant ces comportements personnels que Flaubert évoquera les agissements de Jules : « … au collège, quand il se promenait seul à l’écart des autres, en rêvant, sur la lisière des bois, puis adolescent qui s’ouvre à la vie… étendu sur la mousse comme sur un lit et tressaillant d’ivresse aux tendres baisers de la brise qui lui passait sur la figure… » (36) ? N’écrira-t-il pas, en 1855, à Louis Bouilhet : « Les feuilles tombent. Les allées sont, quand on y marche, pleines de bruits lamartiniens que j’aime extrêmement… » (154).

La sensibilité à fleur de peau éclate encore dans ces lignes véhémentes : « Avec votre langue châtrée par les grammairiens et déjà si pauvre, si châtrée d’elle-même, pouvez-vous exprimer tout le parfum d’une fleur, tout le verdoyant d’un pré d’herbe ? » (202) écrites à la veille du baccalauréat, cependant qu’au lendemain, au cours de l’été 1840, s’offre le voyage en Corse dont le récit fourmille d’évocations botaniques, chères à Flaubert. Rentré en Normandie, ne nous confesse-t-il pas : « J’aime à me redire tous ces détails. Il me semble que nous tournons encore dans les chemins du maquis, que j’arrache encore en passant les fruits rouges de l’arbousier et les petites fleurs blanches des myrtes ; nous allons sous des berceaux de verdure… tout est vert et frais, et quand on se retrouve dans la plaine, marchant dans les chaumes, tout au contraire est long et lumineux » (111).

Avant même de venir résider à Croisset (en 1844), la Seine retenait déjà fortement l’attention de notre nageur émérite, lequel, pourtant, n’oublie pas la flore. Ne s’en ouvre-t-il pas à Ernest Chevalier : « Voilà l’été qui revient, c’est tout ce qu’il me faut, que la Seine soit chaude pour que je m’y baigne, que les fleurs sentent bon et que les arbres aient de l’ombre » (189), tout comme à sa sœur Caroline : « Si tu savais combien on s’ennuie l’été à Paris et comme on pense aux arbres et aux flots, tu te trouverais encore plus heureuse. Te rassasies-tu à plaisir de la vue de la dune ? » (190). Flaubert, lui, à partir de 1844, allait se rassasier du paysage qui s’offre à son regard à travers les vitres de Croisset. II ne tardera pas à confier à Ernest Le Poittevin : « Tu me dis que tu deviens de plus en plus amoureux de la nature ; moi, j’en deviens effréné. Je regarde quelquefois les animaux et même les arbres avec une tendresse qui va jusqu’à la sympathie… » (191), cependant qu’il écrira à Maxime Du Camp : « Oui… la campagne est belle, les arbres sont verts, les oiseaux chantent et les arbres sont encore en fleurs. Mais de cela, comme du reste du monde, je n’en jouis que par ma fenêtre » (193), et qu’au milieu d’une nuit d’août 1846 il confiera à sa plume le soin de dire à Louise Colet : « … j’entends le grand tulipier… frémir au vent et, quand je lève la tête, je vois la lune se mirer dans la rivière » (195). La pauvre Louise fut bien placée pour subir les « sautes d’humeur » de son amant impétueux ! Aussi ne dut-elle pas s’étonner de lire, tour à tour, à propos de Croisset, des lignes enflammées, d’autres remplies de tristesse : « J’ai retrouvé ici les gazons verts, les arbres grands et l’eau coulant comme lorsque je suis parti » (195). « II fait froid. Mes gazons sont tout poudrés à blanc, les arbres des îles sont noirs, ma pensée frileuse s’en va toujours de ces lieux… » (198), « Je rentre de Croisset où je me suis embêté toute la journée. Dieu me préserve de retourner à la campagne l’hiver » (199). Plus tard, les Goncourt, ou sa nièce Caroline, recevront des courriers aussi désabusés. Les uns liront : « … le printemps me donne des idées folles de m’en aller en Chine ou aux Indes, et la Normandie avec sa verdure m’agace les dents comme un plat d’oseilles crues » (156). L’autre apprendra qu’à Croisset : « Le temps est superbe et tous les arbres sont en fleurs. N’importe ! Moi, qui. déteste la nature, je préférerais une longue station devant la Magdeleine du Giorgione » (157).

Le voyage en Touraine et en Bretagne de 1847 va rompre la monotonie et permettre à Flaubert de nous rassurer à maintes reprises. S’il se détache quelque peu de Louise Colet, il confirme au moins une autre passion profonde : « Grande journée de marche à travers la campagne et les rochers (des environs de Quiberon). Nous avons déjeuné sous un bois de petits pins, le soir nous étions gris de la nature. Après nous être reposés deux heures sur le sable, nous étions repartis, emportés par la fièvre des rochers, des goémons, des varechs… » (125). Et il écrira à Louise, depuis Quimper : « Je hume l’air, j’aspire l’odeur des aubépines et des ajoncs, je marche au bord de la mer, j’admire les bouquets d’arbres… »« … nous avons eu de beaux moments à l’ombre des vieux châteaux, nous avons fumé de longues pipes dans mainte douve effondrée toute couverte d’herbe et parfumée par la senteur des genêts » (200). Louise devra-t-elle vraiment le croire lorsqu’il l’associera, cinq années plus tard, dans un verdict très mitigé : « … nous que la campagne a toujours embêtés et qui l’avons toujours vue, comme nous en connaissons d’une façon plus rassise, toutes les saveurs et toutes les mélancolies » (148) ? Non, qu’elle patiente un peu et elle apprendra, au cours de l’été suivant, par un message de Trouville, que : « L’autre jour, en plein soleil et tout seul, j’ai fait six lieues à pied au bord de la mer. Cela m’a demandé tout l’après-midi. Je suis revenu ivre tant j’avais humé d’odeurs et pris de grand air… je me suis couché à plat dos sur le sable et sur l’herbe. J’ai croisé les mains sur mes yeux et j’ai regardé les nuages… » (151). Flaubert semble avoir affectionné cette position traduisant une certaine capitulation en face du pouvoir envoûtant de la nature ; il la fera d’ailleurs partager à Frédéric et Deslauriers, en promenade à Nogent-sur-Seine : « … des odeurs de feuillage humide montaient jusqu’à eux » … « … des senteurs d’angélique passaient dans l’air, une sorte d’étouffement les prenait, et ils s’étendaient sur le dos, étourdis, enivrés » (60). Au printemps de 1854, Louise Colet bénéficiera encore d’un magnifique aveu doublé d’un encouragement : « II faut faire s’aimer les arbres et tressaillir les granits. On peut mettre un immense amour dans l’histoire d’un brin d’herbe » (201).

Assurément, à 48 ans, Flaubert reste dominé par sa sensibilité envers la nature. On sait quelles admirables pages (que La Varende juge, très durement, superflues) l’auteur de l’Éducation allait consacrer à la forêt de Fontainebleau qu’il venait de visiter en 1868. Nous y reviendrons. On ne manquera pas de remarquer que Frédéric, préparant la chambre du rendez-vous, rue Tronchet : « changea les meubles de place, drapa lui-même les rideaux, mit des bruyères sur la cheminée, des violettes sur la commode » (72), tandis que la très jeune fille de M. Roque : « vivait seule, dans son jardin… courait après les papillons, puis tout à coup s’arrêtait à contempler les cétoines s’abattant sur les rosiers » (67).

C’est bien davantage le manque de temps, et : « le mal que tout dérangement lui procurait » (212) qui incitaient Flaubert à peu sortir, plutôt qu’une quelconque aversion pour le paysage. À plus de 50 ans, il en apporte encore le témoignage dans des lettres à sa nièce Caroline : « J’oubliais un événement extraordinaire : tantôt, comme j’étais seul, j’ai fait un tour jusque dans le potager ! Le temps était splendide. Je suis resté en contemplation devant la nature » (160) ; « Le temps est superbe. Hier et aujourd’hui, je me suis promené après déjeuner, en admirant la nature. Le soleil jouait dans le feuillage… » (162). Et lorsqu’il prétend, au cours de son séjour en Suisse de 1874, que : « La nature m’assomme ou plutôt m’écrase » (183), que : « Je ne suis pas l’homme de la nature » (165), qu’il est : « plus sensible aux œuvres de l’Art qu’à celles de la Nature » (166), nous attribuons cet apparent détachement au fait que la Suisse ne constitue pas son cadre de vie, qu’il ne peut plaquer « aucune histoire » sur les paysages qui s’offrent à lui, tandis qu’à Croisset, à Nogent… il en va tout autrement ! N’écrit-il pas à la princesse Mathilde : « Vous n’imaginez pas le charme de la Normandie à cette époque » (207).

Durant ses dernières années, Flaubert affirme son vif attachement au monde végétal, allant même jusqu’à confier à Caroline : « Tu n’imagines pas comme je deviens amant de la nature. Je regarde le ciel, les arbres et la verdure avec un plaisir que je n’ai jamais eu. Je voudrais être vache pour manger de l’herbe » (171). II n’est donc pas étonnant que cette passion s’exprime à diverses reprises dans sa Correspondance. Bornons-nous à en dégager deux exemples : « Je me promène dans le jardin, qui est maintenant splendide. Je contemple la verdure et les fleurs et j’écoute les petits oiseaux chanter » (172). « Dans les beaux jours d’été ne la trouvez-vous pas, (la nature) quelquefois, insultante ? » (213).

C’est à sa nièce Caroline que nous ferons appel pour conclure ce chapitre, en dégageant de ses « Souvenirs intimes » les lignes suivantes, ponctuées par une boutade de l’ermite de Croisset : « … quand on lui reprochait de ne pas sortir davantage, de ne pas se délasser dans la campagne : « Mais la nature me mange ! s’écriait-il indigné ; si je reste longtemps sur l’herbe, je crois sentir pousser des plantes sur mon corps… » (212).

Nous tenterons de démontrer que ce n’est point sur le corps de Gustave Flaubert que des végétaux ont crû, mais çà et là, avec un indiscutable bonheur, au sein de tous ses admirables écrits.

 

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L’inspiration botanique de Gustave Flaubert : ses paysages familiers

Du milieu sévère dans lequel a évolué le jeune Gustave à l’Hôtel-Dieu de Rouen, nous ne retiendrons ici que la présence d’herbe croissant entre les pavés, les frondaisons denses des arbres des cours intérieures, et, surtout, les draperies de lierre sur les vieux murs. Reconnaissons, avec René Dumesnil, que : « Ce coin de l’hôpital semble suer la mélancolie par chacune de ses pierres » (221).

Déville, heureusement, apportait une diversion, et Flaubert l’appréciait. En Corse, par la pensée, il s’y voyait : « … j’entrais dans le bosquet, j’ouvrais la barrière… » (105). Dans l’Éducation sentimentale de 1845, c’est à lui, et non à son héros, qu’il convient de rapporter ces lignes pleines de nostalgie : « À quoi pensait-il ? À son enfance, à son pays, au jardin de son père. II revoyait toutes les plates-bandes, tous les arbres, et le vieux cerisier où il avait établi une balançoire, et le grand rond de gazon où il s’était si souvent roulé, à l’époque surtout où on le tondait, ou bien au mois d’avril, quand il était couvert de marguerites » (31). (On avait, à l’époque de Flaubert, l’habitude de confondre les petites pâquerettes et les grands leucanthèmes, sous l’appellation commune de marguerites).

La Seine l’envoûtait déjà, avant qu’il l’ait en permanence sous ses fenêtres ; il y faisait parfois allusion, et se consolait de l’hiver maussade en se disant : « … quand reviendra la saison où les blés commencent à mûrir, je m’en irai aussi dans les champs ou dans les îles de la Seine, je nagerai en regardant les arbres qui se mirent au bord… » (114). Adolescent, II allait : « … au bord de la rivière ; j’ai toujours aimé l’eau et le doux mouvement des vagues qui se poussent ; elle était paisible, les nénuphars blancs tremblaient au bruit du courant… ; au milieu, les îles laissaient retomber dans l’eau leur touffe de verdure… » (25).

À partir de 1844, au lendemain de l’attaque qui le terrassa près de Pont-l’Evêque par conséquent, Flaubert fut absorbé par Croisset qui le mura dans son intérieur. Séparé du fleuve par un simple chemin de halage, le parc recelait de beaux arbres dont il n’est pas indifférent de donner la liste : tilleuls taillés droits comme une gigantesque muraille, tulipier au feuillage splendide, hêtres, ifs « aux formes bizarres… montrant à nu leurs racines et leurs troncs déchiquetés » (211), marronniers à l’ombre dense. Depuis la maison on avait, nous dit la nièce Caroline : « une jolie vue sur les gazons, les plates-bandes de fleurs et les arbres de la longue terrasse » (210). En matière d’échappées plus lointaines, c’est Guy de Maupassant qui nous renseigne : « En face s’étendaient les herbages pleins de vaches… et là-bas, à droite, une forêt sur une grande côte fermait l’horizon que parcourait la calme rivière large, pleine d’îles plantées d’arbres… » (145). Flaubert se plaisait à communiquer les sensations qui l’envahissaient dans ce milieu. « Tu as raison, pauvre cher vieux, écrivait-il à Louis Bouilhet, de m’envier les arbres, le bord de l’eau et le jardin, c’est splendide ! J’avais hier les poumons fatigués à force de humer les lilas… » D’ailleurs c’était un cadre qu’il ne savait pas oublier, même lorsqu’il se trouva, exceptionnellement, à des milliers de kilomètres de distance. Qui ignore ses impressions écrites « À bord de la Cange » ? : « Là-bas… j’ai quelque part une maison blanche dont les volets sont fermés… Les peupliers sans feuilles frémissent dans le brouillard froid… Les vaches sont à l’étable, les paillassons sur les espaliers… J’ai laissé la longue terrasse Louis XIV, bordée de tilleuls… Dans six semaines déjà, on verra leurs bourgeons. Chaque branche alors aura des boutons rouges, puis viendront les primevères, qui sont jaunes, vertes, roses, iris. Elles garnissent l’herbe des cours. Ô primevères, mes petites, ne perdez pas vos graines, que je vous revoie à l’autre printemps. J’ai laissé le grand mur tapissé de roses… Une touffe de chèvrefeuille pousse en dehors sur le balcon de fer » (115).

Indiscutablement, le jardin de Croisset a toujours été présent à l’esprit de l’écrivain, qu’il corresponde ou compose ses œuvres. Ce n’était parfois qu’une nuance sensible dans un courrier sérieux, mais on l’y décèle : « Rien de nouveau ici, qu’un temps plus doux. Le jardin a beaucoup de primevères, et les tulipes poussent… » (182) ; ou bien encore : « Le jardin va devenir très beau : les bourgeons poussent ; il y a des primevères partout. Quel calme ! j’en suis tout étourdi ! » (159), sinon : « Le jardin est magnifique » (184). II arrivait même que la notion de propriété se mêle aux sentiments : « … je jouis de me retrouver chez moi, comme un petit bourgeois, dans mes fauteuils, au milieu de mes livres, dans mon cabinet, en vue de mon jardin » (169), ou que le littéraire se fasse jardinier-conseil : « Ce matin j’ai eu à déjeuner votre fermier de Pissy qui apportait des arbres. On va les planter et, un de ces jours, Chevalier ira en chercher d’autres, avec des rhododendrons qui feront très bon effet sur la terrasse » (170). « II reste à Pissy des fleurs de quoi emplir une charrette, inutile de les perdre et il en manque dans le jardin. Leur place est toute trouvée » (186).

Visiblement Flaubert aimait poser son regard sur « le gazon » pour délasser son esprit. II se plaisait à informer ses correspondants de l’échelonnement des floraisons qui l’émaillaient. « Aujourd’hui, cependant, il fait si beau que le spectacle de la Nature me retrempe… Le gazon commence à avoir des primevères, le ciel est tout bleu » (187), confiait-il à Caroline le 9 mars 1879, pour lui réécrire deux semaines plus tard : « II y a beaucoup de primevères et de violettes ; leur vue te délassera » (175). Très peu de temps avant de mourir, il disait encore, tour à tour, à sa nièce et à son ami Lapierre : « Suzanne me cueille de petits bouquets de violettes qui embaument mon cabinet » (177) ; « … je comptais vous envoyer (un bouquet de violettes) aujourd’hui pour l’offrir à Madame Lapierre. II m’a été impossible d’en trouver plus de cinq ou six ! II faut donc que la plus belle partie de vous-même se contente des fleurs de mon affection et du parfum de mes respects » (179).

Les rivières et leur environnement végétai ont été, pour lui, de très fécondes sources d’inspiration. Maxime Du Camp décrit son ami : « … dédaignant les femmes que sa beauté attirait, venant me réveiller à trois heures du matin pour aller voir un effet de lune sur la Seine » (1). Flaubert fut pareillement sensible aux charmes des autres cours d’eau. C’est dans le désert qu’il songe le plus volontiers aux grasses prairies normandes, à leurs brumes et à leurs rivières. À St-Cloud, chez Mme Arnoux : « une large pelouse descendait jusqu’au bord de la rivière » (63) le long de laquelle : « on alla se promener… quand on eut pris le café, sous les tilleuls » (64). Dans le jardin de Nogent, Frédéric recevait au visage : « … par bouffées des senteurs de lavande, avec le parfum du goudron s’échappant d’une barque, derrière l’écluse » (70) ; un « parfum » qui devait être bien familier à… Croisset !

« À mesure que vous avancez, la vallée (de la Loire) se déploie, les arbres de l’autre bord se mirent tranquillement dans l’eau, les coteaux boisés disparaissent les uns après les autres » (97).

C’est souvent le végétal qui servira de prétexte pour mettre l’eau en valeur, celle de la Garonne apparaissant : « belle aux clairs de lune quand la ville s’est tue et que les hommes laissent parler les joncs dans le courant » (98) ou de l’Adour : « … qu’il faut voir comme je l’ai vu quand son courant, calme le soir, glisse le long des rives couvertes d’herbes » (99).

Même au cœur des villes et bourgades, Flaubert n’est jamais resté insensible à la présence d’un décor végétal. Ce qu’il a vu à Saint-Malo « la capucine épanouie qui grimpait autour des fenêtres » (140), Henry le remarqua à son tour, puisque : « Dans la lucarne d’un grenier, entre des capucines et des pois de senteur, une jeune femme se montra » (62), et cela n’échappa point à Mme Aubain, à Paul ou à Virginie, lorsqu’au « milieu de Toucques… on passait sous les fenêtres entourées de capucines » (79). Les bordures de tilleuls ou de marronniers constituent un décor fréquent pour les places ou avenues qu’emprunteront Jules à Rouen, aussi bien qu’Henry et Mme Renaud en promenade dans Paris (in la Première Éducation). En ce qui concerne le cèdre, que Frédéric remarqua : « dans un jardin », René Dumesnil s’étant rendu sur les lieux présumés, précisa qu’il « …se voyait encore dans le jardin d’un hôtel où s’installa l’Ambassade de Pologne ».

Nous limitant dans cette énumération, nous pensons néanmoins avoir suffisamment contribué à soutenir l’opinion d’A. Colling (209) selon laquelle l’écrivain empruntait surtout ses images au milieu dans lequel il vivait, à ses paysages intimes. Croisset occupa, parmi eux, une place de choix. Émile Zola l’avait bien perçu, aussi associa-t-il, dans un même éloge, l’Homme qui venait de disparaître, et le cadre qu’il avait si souvent contemplé : « À droite, à gauche, des prés s’étendent ; des haies coupent les herbages, des peupliers barrent le ciel ; c’est un coin touffu de la grasse Normandie, qui verdoie dans une nappe de soleil… à mesure qu’on s’élève, la plaine se creuse, l’immense horizon s’élargit, à perte de vue, avec la coulée énorme de la Seine, au milieu des villages et des bois. À gauche, Rouen… » (232).

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Flaubert, botaniste itinérant

Très attaché à l’histoire, aux habitants, à leurs mœurs, Gustave Flaubert, au cours de ses voyages à travers la France n’a toutefois jamais omis d’évoquer les paysages végétaux. Les pinèdes des Landes lui plurent. II les plaça, sans hésitation, au-dessus des formations moins typées, selon lui, du Poitou et de la Guyenne. Pourtant il apprécia, plus encore, à l’approche de Bayonne, la fraîcheur, l’herbe dense et les formes ondulantes des : « petites collines boisées qui se succèdent les unes aux autres, annonçant enfin qu’on va voir les montagnes… » (99). Aux environs de Pau : « l’herbe est haute, la culture va jusqu’au haut des montagnes et s’attache aux pans escarpés des rochers » (100) ; vers Gavarnie, il n’est plus question que de : « prairie qui embaumait le foin coupé » (101). Le paysage s’endurcit encore à l’approche du port de Venasque : « … on traverse d’abord une grande forêt de frênes et de hêtres… Les ravins ont enlevé des arbres »« les lueurs du soleil levant dessinaient les ombres des branches sur la mousse et sur les feuilles jonchées par terre » (102) et, plus loin : « point de plantes, pas de mousse, rien » (102). Notre voyageur a été frappé par la nudité du substrat… quelque chose lui manque, visiblement.

Un peu plus tard il parcourra la Corse et le maquis le captivera. II en rendra assez heureusement compte à sa sœur Caroline : « À propos de maquis, j’en ai vu hier… Toutes les montagnes en sont couvertes et, à les svoir, de loin, on les prendrait pour de grands champs d’herbes. Ce sont des broussailles hautes… si tu fais un petit bouquet de chêne, de châtaignier, de genêt et de roseau, tu auras un petit maquis dans ta main » (188). Les peuplements plus imposants l’intriguèrent : « Tout le revers de la montagne est couvert d’une forêt de hêtres qui poussent on ne sait comment dans les granits » (110), sans pour autant imposer le silence à sa sensibilité, ni malmener son sens certain de l’observation : « Vallées pleines d’ombre, maquis de myrtes, sentiers sinueux dans les fougères, golfes aux doux murmures dans les mers bleues, larges horizons de soleil, grandes forêts aux pins décharnés, confidences faites dans les chemins… » (111).

Sept ans plus tard, en compagnie de Maxime Du Camp cette fois, la Basse-Loire et la Bretagne vont s’offrir à sa contemplation. Nous n’en recueillerons que des échos incomplets, les chapitres impairs ayant seuls fait l’objet de développements sous la plume de Flaubert. La moisson reste pourtant, à nos yeux, très convenable. Bien rares furent les sites évoqués sans « accompagnement végétal ». Les ormeaux de Blois, les peupliers vers Bléré, les vignobles de Touraine, les phragmitales des bords de Loire, nous conduisent bien agréablement jusqu’à Clisson dont : « Le château… montre sa tête ébréchée par-dessus les grands arbres » tandis que « l’horizon s’allonge, d’un côté, dans une perspective fuyante de prairies… » (122). Vers Tiffauges on emprunte une : « … route, taillée dans la côte… couverte sur ses bords par des massifs d’ajoncs, ou par de larges langues d’une mousse roussâtre » (123).

Lorsque nos voyageurs atteignent le Morbihan, n’est-ce point un véritable naturaliste qui esquisse habilement les paysages de Belle-Île, n’omettant ni : « de longues herbes à fleurs jaunes », ni le « … gazon ras que des lichens plaquaient par intervalles », ni les « arbrisseaux rabougris » (129) des bords d’un ruisseau, ni les nénuphars immobiles ? C’est encore lui qui évoque, en quatre lignes, la campagne finistérienne proche de Locmaria « Elle est déserte et singulièrement vide. Des arbres, des genêts, des ajoncs, des tamarins (c’est de Tamaris que parle Flaubert) au bord des fossés, des landes qui s’étendent, et d’hommes, nulle part » (132). II n’en est guère davantage de Crozon à Landévennec : « … la campagne est découverte, sans arbres ni maisons ; une mousse rousse comme du velours râpé s’étend à perte de vue sur un sol plat. Parfois des champs de blés mûrs s’élèvent au milieu de petits ajoncs rabougris. Les ajoncs ne sont plus en fleurs, les voilà redevenus comme avant le printemps » (134).

Une certaine poésie se marie à l’évocation de la flore des rives de l’Elorn : « … nous foulions ce bon sol des bois où les bouquets violets des bruyères poussent dans le gazon tendre, parmi les feuilles tombées. On sentait les fraises, la framboise et la violette ; sur le tronc des arbres, les longues fougères étendaient leurs palmes grêles. Il faisait lourd ; la mousse était tiède » (137). Le réalisme lié ici aux activités de l’homme, là aux caprices de la nature elle-même ; Flaubert n’affirme-t-il pas, tour à tour, que : « Des choux, des navets, beaucoup de betteraves et démesurément de pommes de terre… couvrent la campagne, depuis Saint-Pol-de-Léon jusqu’à Roscoff » (138), cependant qu’au pied des ruines du château de Kérouséré : « Entre un champ, où les têtes mûres des épis se courbaient ensemble, et un rideau d’ormeaux plantés sur le haut-bord d’un fossé, un sentier mince s’allongeait parmi les broussailles. Les coquelicots éclataient dans les blés ; de la berge du haut-bord, des fleurs et des ronces s’échappaient ; des orties, des églantiers, des tiges garnies de dards, des grosses feuilles à peau luisante, des mûres noires, des digitales pourprées, unissant leurs couleurs, enchevêtrant leurs branches, montraient leurs feuillages divers… » (138).

Franchissant le Couesnon, Du Camp et Flaubert retrouveront la Normandie à Pontorson et iront traîner leur ennui : « … le long d’une promenade de peupliers, au bout d’une petite rivière qui coule parmi les touffes d’arbustes et les roseaux grêles des marécages » (140).

Nous ne suivrons pas aussi fidèlement Flaubert à travers la Normandie lorsqu’il « instruisait » ses romans. Mais chacun sait avec quelle minutie, pour écrire « Madame Bovary », « Un Cœur Simple », « Bouvard et Pécuchet »,

il se documenta ! L’exactitude du détail dans les descriptions de bouquets d’arbres du pays de Caux, de la flore des chemins creux, de l’alternance des herbages, labours et prairies de fauche, témoignent d’une indiscutable curiosité de l’auteur, tout comme cette assez longue citation que nous extrayons de « Madame Bovary », et qui évoque fort judicieusement les végétations aquatique et rupestre : « Elle (la rivière) coulait sans bruit, rapide et froide à l’œil ; de grandes herbes minces s’y courbaient ensemble, selon le courant qui les poussaient… Quelquefois, à la pointe des joncs ou sur les feuilles des nénuphars, un insecte à pattes fines marchait ou se posait… les vieux saules ébranchés miraient dans l’eau leur écorce grise… »« Dans les briques, des ravenelles avaient poussé, et, du bord de son ombrelle déployée, Madame Bovary, tout en passant, faisait s’égrener en poussière jaune un peu de leurs fleurs flétries ; ou bien quelque branche des chèvrefeuilles et des clématites qui pendaient au-dehors traînait un moment sur la soie… » (45).

Botaniste itinérant, Flaubert le fut encore, manifestement, lorsqu’il alla effectuer ses « reconnaissances » dans la région de Nogent-sur-Seine et en forêt de Fontainebleau.

Les vignobles adossés, les blés ondulant au soleil, les senteurs d’angélique, les lignes de peupliers proches du petit pont, les touffes de roseaux et de joncs, les vieux saules cachant des pièges à loup (et si bien évoqués dans le roman que Claude Chevreuil (208) a pu les localiser sur le terrain un siècle plus tard), tout cela n’était pas inventé par l’auteur de la seconde Éducation Sentimentale. Manifestement, il a tenu, dans le roman, à rester fidèle à la flore locale.

On sait d’autre part que Flaubert se rendit à deux reprises, au cours de l’été de 1868, en forêt de Fontainebleau pour préparer la rédaction de la célèbre description, sur laquelle nous reviendrons. Dites-nous si, un écrivain qui s’intéresse, dans un premier temps, au gazon, aux buis, aux ifs, aux fleurs du parterre, puis qui évoque les genévriers, les bruyères, les pins, les chênes, les châtaigniers, les hautes fougères… n’est pas une sorte de botaniste qui s’ignore ? Quel professeur d’Histoire Naturelle corrigeant la copie de l’élève Flaubert, ne partagerait le jugement qu’il émettait lui-même, dans une lettre à sa nièce, datée de mai 1873 : « je suis fier, Madame, que ma description de la forêt de Fontainebleau vous ait semblé bien troussée. J’avoue que je ne la trouve pas mal » (164).

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Radiographie des propos botaniques de Gustave Flaubert

a) Les végétaux, éléments du « décor »

Avec une grande sûreté de plume, Flaubert a très souvent brossé des décors flous. Ainsi, depuis la terrasse du jardin d’Amboise : « … la vue s’étend en plein sur toute la campagne d’alentour. Elle était d’un vert tendre ; les lignes de peupliers s’étendaient sur les rives du fleuve ; les prairies s’avançaient au bord, estompant au loin leurs limites grises dans un horizon bleuâtre et vaporeux qu’enfermait vaguement le contour des collines » (118). Pierre Danger exprime fort bien cette tendance : « … on ne peut jamais dire qu’il y ait, à proprement parler, de tableaux mais simplement des esquisses qui correspondent à la perception immédiate d’un instant fugitif. L’esquisse, c’est peut-être là le sommet de l’art de Flaubert paysagiste… » (217), et Maynial recourt au même qualificatif en écrivant « … il note avec soin une ligne qui tranche sur le ciel, une nuance qui s’estompe, un son, une odeur fugitive » (229).

Chez Flaubert, un décor espéré se plante pourtant avec quelque détail « On n’avait d’autre ambition que celle… de découvrir au revers d’une roche blanche, caché sous les houx et les chênes, assis entre le fleuve et la colline, un de ces pauvres petits villages… avec des maisons en bois, de la vigne qui monte aux murs, du linge qui sèche sur la haies… » (116). Mais la brièveté l’emporta souvent. Ainsi en fut-il, dès l’âge de 19 ans, entre Toulouse et Marseille : « … à Carcassonne, à Narbonne, sur toute la ligne… ce sont de grandes prairies couvertes de raisins qui jonchent la terre. Çà et là des masses grises d’oliviers, comme des pompons de soie ; au fond, les montagnes de l’Hérault » (104).

Jules ira se promener : « … sur ce terre-plein couvert de gazon, d’où l’on voit toute la vallée et la petite rivière de notre pays qui serpente entre les saules. Elle était gelée… c’était comme un grand serpent d’argent arrêté sur l’herbe » (32). La concision s’accusera encore à propos des Bertaux dont le décor est planté en six mots : « Les poiriers déjà étaient en fleurs » (38).

L’impressionnisme ne le cède en rien à la justesse des évocations, qu’il s’agisse d’une baie du littoral breton s’avançant : « … entre deux coteaux boisés dont les arbres descendant jusqu’en bas trempent dans les flots le bout de leur feuillage qui retombe en touffes diffuses, avec des courbes molles comme font les saules sur les bords des rivières » (133), d’une colline bordant la Seine en aval de Nogent : « … Des arbres la couronnaient, parmi des maisons basses… Elles avaient des jardins en pente… des gazons… et des vases de géraniums, espacés régulièrement sur des terrasses » (59), ou du cadre dans lequel Julien vint au monde : « Une seconde enceinte, faite de pieux, comprenait d’abord un verger d’arbres à fruits, ensuite un parterre où des combinaisons de fleurs dessinaient des chiffres, puis une treille avec des berceaux pour prendre le frais » (83).

Parfois encore Flaubert recourt au monde végétal pour constituer le décor au sein duquel vont évoluer ses personnages… même si le lieu paraît inattendu ! Au Père-Lachaise, lors des obsèques de M. Dambreuse : « Les tombes se levaient au milieu des arbres… Des femmes à genoux, la robe traînant dans l’herbe, parlaient doucement aux morts. Des fumignons blanchâtres sortaient de la verdure des ifs » (76), cependant qu’à Chavignolles « On avait en face de soi les champs, à droite une grange, avec le clocher de l’église ; et à gauche un rideau de peupliers » (86).

Brièveté, composition et justesse dans l’esquisse : « Tout ceci donne donc en définitive, dans la précision comme dans la rareté même des indications, une unité et une harmonie remarquables des paysages. Les accords de couleurs sont toujours délicats et quelquefois même somptueux » (215). Oui, Flaubert a su faire vibrer les teintes des végétaux, mais avec la subtilité qu’il expliquait à Louise Colet le 2 juillet 1852 : « On se préoccupe trop de la couleur, et pas assez de son esprit, car la couleur dans la nature a un esprit, une sorte de vapeur subtile qui se dégage d’elle, et c’est cela qui doit animer en dessous le style ».

Tantôt la tristesse transparaît à travers le choix judicieux des tons « Les fossés étaient pleins de glace, les arbres dépouillés avaient le bout de leurs branches rouge, les feuilles tombées, pourries par les pluies, formaient une grande couche noire et gris de fer, qui couvrait le pied de la forêt, le ciel était tout blanc, sans soleil » (29). Ailleurs c’est, par le même artifice, une gaieté moqueuse qui s’exprime (à l’adresse de Pécuchet) : « II avait créé au bas du perron deux corbeilles de géraniums ; entre les cyprès et les quenouilles, il planta des tournesols ; et comme les plates-bandes étaient couvertes de boutons d’or, et toutes les allées de sable neuf, le jardin éblouissait par une abondance de couleur jaune » (88).

« Si des nappes violettes [de bruyères tout en fleurs] s’alternaient avec le fouillis des arbres, qui étaient gris, fauves ou dorés, selon la diversité des feuillages » (49) et enivraient Rodolphe et Emma, les chatoiements d’autres végétaux enthousiasmaient Flaubert : « Toutes sortes de plantes venues là s’épanouissaient en bouton d’or, laissaient pendre des grappes jaunes, dressaient des quenouilles de fleurs amarante, faisaient au hasard des fusées vertes » (70). À moins qu’il s’agisse seulement de savantes juxtapositions comme en Corse, sur le Prato où : « … les ondulations des coteaux avaient des couleurs diversement nuancées suivant qu’ils étaient couverts de maquis, de châtaigniers, de pins, de chênes-lièges ou de prairies » (109). Que « …les arbres des boulevards, sans feuilles (miment) des broussailles violettes » (56), que ceux du jardin dressent « deux masses énormes, violacées par le sommet » (61) ou que les « petites fleurs violettes (des bruyères), tassées les unes près des autres, (forment) des plages inégales « sous lesquelles » la terre qui s’écroulait… mettait comme des franges noires… » (73), cela suffisait pour apporter une note souriante dans un récit mélancolique. C’est la couleur verte qui a impressionné le voyageur sur les ruines de la Roche Maurice : « … la verdure qui s’y cramponne a des graduations de teintes, elle devient de plus en plus foncée à mesure qu’elle monte, on la distingue par bouffées vertes différentes » (134). Et nous pensons que c’est bien, effectivement, par « bouffées » que Flaubert aspirait les couleurs. II a excellé : « … dans l’art de fouiller toutes les teintes différentes qui peuvent se trouver dans une même tache… » Lors de la promenade à Fontainebleau de Frédéric et Rosanette, Flaubert se plaît, dans une démarche toute impressionniste, à préciser les nuances que l’on peut trouver dans une forêt : II y a « d’énormes flots verts », des « plaines blondes »« des houx pareils à du bronze », « des hêtres à l’écorce blanche et lisse », des frênes aux « glauques ramures », des « lichens couleur de soufre »… (214).

 

b) Le style nuancé des propos botaniques

Gustave Flaubert fut-il, ou ne fut-il pas, un réaliste ? Nous sommes incompétent pour en décider, mais nous reconnaissons être fort séduit par l’analyse de M. Nadeau : « Là où le réaliste voit, observe et décrit, le visionnaire du réel construit, même pour le petit fait, un spectacle auquel tous ses sens, son être participent » (231). Pour qui connaît Flaubert, homme d’humeur, homme de tempérament, il devient logique que sa « vision du réel » ait pu le conduire, même lorsqu’il faisait des emprunts au monde végétal, à laisser transparaître, ici une inquiétude, là une pointe de romantisme, ailleurs une note de franche poésie, sinon de lyrisme. Guy de Maupassant nous autorise même à l’affirmer : « … on eût dit que les personnages se dressaient sous les yeux en tournant les pages, que les paysages se déroulaient avec leurs tristesses et leurs gaietés, leurs odeurs, leur charme… » (144).

Une certaine nostalgie avait envahi Julietta : « …elle ne courait plus pour cueillir des fleurs et pour les mettre dans ses cheveux. Non ! plus de sauts enfantins à la vue d’une belle marguerite que son pied allait écraser… » (5), tandis que l’inquiétude habitait Jules : « Il regardait les chênes balançant leurs rameaux et bruissant dans leurs feuillages, comme d’autres contemplent les cheveux qui flottent et les lèvres qui tremblent » (34) et qu’une délicate tristesse enveloppait Mme Bovary dans son jardin : « La rosée avait laissé sur les choux des guipures d’argent avec de longs fils clairs qui s’étendaient de l’un à l’autre… tout semblait dormir, l’espalier couvert de paille et la vigne comme un grand serpent malade sous le chaperon du mur » … (42).

Âgé de 14 ans à peine, Flaubert se révèle déjà poète du monde végétal : « Mais la pensée s’est envolée comme la rose qui flétrit… Une pensée d’amour, c’est une rose de printemps » (2). Le même végétal l’inspire encore à 16 ans : « …au milieu de l’étang était une petite île… plantée de rosiers, dont les branches pliées se miraient dans l’eau en y laissant quelques fleurs fanées » (8), et les senteurs ne tardent pas à le griser « II y avait aussi comme un vent plein de fraîcheur qui passait sur les feuilles à travers les haies, entre les pommiers, et qui apportait dans ses replis invisibles comme un parfum de foin coupé et de fleurs des bois » (12). Au détour d’une petite rue de Quimperlé, il ne manquera pas de nous rapporter qu’« un pont d’une seule arche a jeté sa courbe aplatie, dont la silhouette projetée tremblote sur la rivière avec les herbes suspendues à sa voûte ; elles descendent en chevelure, s’allongeant jusqu’en bas, et frôlent du bout le courant qui passe à travers l’ogive de cette verdure aérienne » (130). Poésie encore dans sa correspondance, tel ce souhait formulé à l’intention de Maria Schlésinger : « Que sa vie soit pleine de joies calmes et continues, qu’elle en trouve à tous ses pas comme des violettes sous l’herbe » (155).

« Le vent roulait dans l’air comme un doux soupir » romantique lorsqu’« ils s’arrêtèrent dans la campagne, au cimetière d’un village… C’était la nuit, l’été, à mi-côte, près du bois, où les feuilles frémissaient… doucement comme si une bouche disant des mots d’amour eût parlé ; alentour, le vent soufflait sur les fleurs qui se penchaient sur l’herbe pleine de rosée et de parfums ; le vent… faisait remuer l’ombre des cyprès, parlant bas dans leurs feuillages aux tombes couchées à leurs pieds… » (10). Semblable envoûtement subjuguait le jeune Gustave lorsqu’aux vacances de Pâques, à Trouville : « nous nous promenâmes ensemble, foulant la rosée des herbes et des fleurs d’avril » (18). II préférait sans nul doute la compagnie de sa jeune amie anglaise à son futur isolement de Croisset, puisqu’à la même saison, mais quelques années plus tard il est vrai : « Le temps est gris, la Seine est jaune, le gazon est vert, les arbres ont à peine des feuilles. Elles commencent, c’est le printemps, l’époque de la joie et des amours »… (auxquelles il ne participe pas !) (192). II prêtera à Rosanette, non sans une pointe d’humour, pareille langueur lorsqu’elle : « devenait sérieuse, et même, avant de se coucher, montrait toujours un peu de mélancolie, comme il y a des cyprès à la porte d’un cabaret » (77).

Au cœur de la nuit, pourvu qu’il y eût un peu de lune, Flaubert ne laissait point la nature en paix ou, plutôt, il en percevait excellemment le message romantique qu’il transmettait en 1846 à Louise Colet : « Comme il fait beau ce soir, comme tout repose… La rivière brille sous la lune, les îles sont noires, le gazon vert émeraude » (197), sinon, en 1870, à sa nièce Caroline : « J’ai rarement vu une aussi belle nuit que celle qu’il fait maintenant ! La lune brille à travers le tulipier ; les bateaux qui passent font des ombres noires sur la Seine endormie, les arbres se mirent dans son eau… » (158), à moins encore qu’il nous convie à le suivre jusqu’à Yonville, chez Emma Bovary, où : « Dans la chambre, au premier, un jour blanchâtre passait par les fenêtres sans rideaux. On entrevoyait des cimes d’arbres, et, plus loin, la prairie, à demi noyée dans le brouillard, qui fumait au clair de lune, selon le cours de la rivière » (43). Du romantisme au lyrisme il n’est qu’un pas, très souvent franchi par Gustave Flaubert, hypersensible de la jeunesse à la mort. À l’époque à laquelle George Sand prêtait une âme aux oliviers titanesques de Valdemossa, Flaubert, adolescent, peignait la forêt de Vizzavona : « On voit… de temps en temps, de grands arbres calcinés qui sont encore debout au milieu de leurs frères tout verts et tout chargés de feuilles. Quand les bergers y ont rallumé le feu, et qu’il fait un orage, ils se brisent et tombent par terre ; quelquefois, leurs branches s’embarrassent dans celles des arbres voisins, et ils restent ainsi suspendus dans leurs bras ; les vivants tiennent embrassés les morts qui allaient tomber » (108), et, deux années plus tard, laissait pareillement courir son imagination lorsqu’« au détour d’un bois, au crépuscule surtout, les arbres eux-mêmes prenaient des formes singulières : c’étaient tantôt des bras qui s’élevaient vers le ciel, ou bien le tronc qui se tordait comme un corps sous les coups de vent » (26). Familiarisé avec la mort, peut-être choqué dès sa plus tendre enfance par les spectacles de l’Hôtel-Dieu de Rouen, Flaubert a parfois comparé : « de fines traînées d’herbes descendant de toute la hauteur de l’église » à « de grosses larmes » (136) sinon, sur le littoral, ou dans les rivières : « au fond, de grandes herbes » à « des chevelures de cadavres flottant dans l’eau » (81).

Moins de dix-huit mois avant la disparition de l’écrivain, alors que des soucis financiers ont passablement assombri le ciel de Croisset, sa sensibilité exacerbée lui inspirera des lignes empreintes d’une grandeur tragique : « La Seine sous mes fenêtres est verdâtre et mugit sous le ciel noir avec des bandes de saphir, et les arbres, qui se tordent au vent en perdant leurs feuilles, ressemblent à des personnes qui s’arrachent les cheveux. On dirait que la nature a un gros chagrin » (173).

 

c) Le paysage : moteur ou relief de l’action chez Gustave Flaubert

Un certain nombre de paysages, par le choix de végétaux déterminés, par la finesse des comparaisons auxquelles ceux-ci sont soumis, par les nuances subtiles de leur port, acquièrent une indiscutable dimension psychologique, bien supérieure parfois à leur simple signification visuelle. Nous sommes en effet persuadé que : « Flaubert, toujours tout entier à ce qu’il faisait, ne voulait pas être distrait par la nature qui le dérangeait quand elle n’entrait pas dans ses idées du moment » (204) … mais s’ingéniait à s’en concilier les mille nuances lorsqu’il avait besoin d’elle ! » L’originalité du tableau tel que le veut Flaubert, c’est qu’il doit faire voir, à la fois, et les personnages, et le milieu, et leur action réciproque (222). Dans ses romans : « …une description… n’était jamais close sur elle-même… elle était toujours en situation… On pourrait par conséquent considérer les descriptions longues et détaillées non pas comme des peintures mais plutôt comme des « bouffées de sensations » qui saisissent un personnage lorsqu’il est dans un certain état de tension affective » (216).

Majestueux, puissant, le paysage constitue dans le passage qui suit un « cadre » à la dimension du Docteur Mathurin : « À gauche il y avait le bois, dont les feuilles toutes mouillées brillaient sous les rayons du soleil, qui passaient entre les pieds des arbres, sur la mousse, dans les bouleaux ; le tremble agitait son feuillage d’argent, les peupliers remuaient lentement leur tête droite… on voyait les arbres laisser tomber les massifs de leurs feuilles et de leurs fruits mûrs… ; çà et là, comme des corbeilles de verdure, des îles jetées dans le courant, leurs bords tapissés de vignobles descendant jusqu’au rivage… Ah ! c’est bien là que Mathurin voulut dormir, entre la forêt et le courant, dans la prairie, …sous l’herbe, non loin de la treille qui jaunissait au soleil » (15). Un passé composite, mélange d’activités cependant bien rythmées par les saisons, et différant en cela de la vie décousue que l’on mène parfois en ville, resurgit aux yeux de Jules foulant les feuilles tombées : « Combien de fois n’avait-il pas vu cette même campagne, et sous tous ses aspects… éclatante de soleil, couverte de neige, les arbres en fleurs, les blés mûrs, le matin à la rosée, le soir quand on rentre les troupeaux » (35).

La conjugaison du silence, d’une végétation vagabonde, et d’un vent complice, incitent assurément le visiteur de Tiffauges, quelque peu apeuré, au respect des choses du passé : « On n’entendait aucun bruit… Nous sommes descendus à travers les ronces… Une touffe folâtre de chèvrefeuille sauvage s’est pendue sur le rebord (d’une fenêtre)… Les grands mâchicoulis… laissent voir d’en bas… quelque petite fleur inconnue… Tout à coup un souffle est venu… et les arbres dans les fossés, les herbes sur les pierres, les joncs dans l’eau, les plantes des ruines, et les gigantesques lierres… ont tous frémi et clapoté leur feuillage ; les blés dans les champs ont roulé leurs vagues blondes… La mare d’eau s’est ridée… et un pommier en fleur a laissé tomber ses boutons roses » (123). Pécuchet, face à la diversité du monde végétal, restera tout décontenancé : « Une lisière de mousse bordait un chemin creux, ombragé par des frênes, dont les cimes légères tremblaient ; des angéliques, des menthes, des lavandes exhalaient des senteurs chaudes, épicées ; l’atmosphère était lourde ; et Pécuchet… rêvait… aux sources cachées sous le gazon, à la sève des plantes, aux oiseaux dans leurs nids… à toute la nature » (92).

Lorsque Flaubert met en scène des personnages qu’habitent de tendres sentiments, il les entoure fréquemment d’un décor végétal vaporeux, grisant, tantôt rempli de suaves senteurs, tantôt riche de doux bruissements, à moins qu’il insinue de délicates suggestions. L’éveil amoureux du printemps imprègne intensément ce passage de Madame Bovary : « On était au commencement d’avril, quand les primevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de l’été… on voyait la rivière dans la prairie, où elle dessinait sur l’herbe des sinuosités vagabondes. La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d’une teinte violette, plus pâle et plus transparente qu’une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages » (46). Les problèmes de conscience qui pouvaient, par instants, troubler Emma, sont sous-entendus dans ces quelques lignes : « … une rafale de vent fit se courber les peupliers, et tout à coup la pluie tomba ; elle crépitait sur les feuilles vertes. Puis le soleil reparut, les poules chantèrent, des moineaux battaient des ailes dans les buissons humides, et les flaques d’eau sur le sable emportaient en s’écoulant les fleurs roses d’un acacia » (47). Des images d’amour meublent encore l’esprit d’Emma et de son amant dans le calme infini de ce grisant paysage nocturne : « La tendresse des anciens jours leur revenait au cœur, abondante et silencieuse comme la rivière qui coulait, avec autant de mollesse qu’en apportait le parfum des seringas, et projetait dans leurs souvenirs des ombres plus démesurées et plus mélancoliques que celles des saules immobiles qui s’allongeaient sur l’herbe. Souvent quelque bête nocturne… dérangeait les feuilles, ou bien on entendait par moments une pêche mûre qui tombait toute seule de l’espalier » (50).

L’opulence et la luxure se confondaient dans l’exaltation de Frédéric revenant de Saint-Cloud avec Mme Arnoux, alors que : « La voiture roulait, et les chèvrefeuilles et les seringas débordaient les clôtures des jardins, envoyaient dans la nuit des bouffées d’odeurs amollissantes… » (65). C’était, au contraire, une certaine mélancolie entretenue par les mouvements et les sons, qui envahissait Rosanette et Frédéric au moment où, baissant la tête, elle : « demeura pensive. Les feuilles autour d’eux susurraient, dans un fouillis d’herbes une grande digitale se balançait, la lumière coulait comme une onde sur le gazon… » (74). II n’est que le désir de séduire Mme Bordin pour qu’un paysage se métamorphose : « Le soleil avait reparu, faisait luire les feuilles, jetait des taches lumineuses dans les fourrés, çà et là… Une épine en fleurs étalait sa gerbe rose, les lilas alourdis se penchaient » (93)… comme Bouvard eût aimé pouvoir le faire, ce jour-là, ou un autre, quand « elle se baissa pour cueillir des violettes » (94).

En amour, l’espoir importe, certes, mais pour les captifs, il est capital, et le monde végétal contribue à l’entretenir : « C’est que, dans cette prison, ils espéraient… ; à travers les murs de leur cachot, ils voyaient la campagne, émaillée de marguerites, sillonnée de ruisseaux, couverte de blés jaunes, avec des routes bordées d’arbres… » (28). Peut-être est-ce parce que, dans leur solitude imposée, comme au château de Clisson : « Un enthousiasme grave et songeur vous prend à l’âme ; on sent que la sève coule dans les arbres et que les herbes poussent… Un art sublime a arrangé… la forme vagabonde des lierres au galbe sinueux des ruines, la chevelure des ronces au fouillis des pierres éboulées » (122) ? Décuplerait encore l’impatience des prisonnières si elles pensaient à goûter les mêmes joies que cette femme allant, tous les jours : « Au bas de la prairie… il y avait un petit ruisseau entre deux rangées de peupliers, au bord duquel toutes sortes de fleurs poussaient ; j’en faisais des bouquets, des couronnes, des chaînes ; avec des grains de sorbier, je me faisais des colliers… L’odeur du foin coupé… du foin chaud et fermenté, m’a toujours semblé délicieuse » (26).

Hélas, même libre, l’homme ne trouve pas toujours la quiétude à laquelle il aspire. S’il est doux : « … de rêver… en écoutant avec délices le bruit de ses pas sur les feuilles sèches et sur les bois morts… une morne pensée vous saisit en contemplant ces feuilles qui tombent, ces arbres qui gémissent et cette nature entière qui chante tristement… » (7). « Tout l’amer parfum des jours qui ne sont plus » (21) vous saute au visage lorsque vous partez : « en promenade dans les prairies vides, au bord des fossés froids où les saules se mirent » (21), à la saison où le vent fait « siffler leurs branches dépouillées » (21). Et le doute, parfois, s’empare de vous, comme de la jeune épouse : « Elle allait jusqu’à la hêtrée de Banneville… Elle commençait par regarder tout alentour, pour voir si rien n’avait changé depuis la dernière fois qu’elle était venue. Elle retrouvait aux mêmes places les digitales et les ravenelles, les bouquets d’orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichen… Sa pensée, sans but d’abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette… Puis ses idées peu à peu se fixaient et… Emma se répétait : — Pourquoi, mon Dieu, me suis-je mariée ?… Il arrivait parfois des rafales de vent… Les joncs sifflaient à ras de terre et les feuilles des hêtres bruissaient en un frisson rapide, tandis que les cimes, se balançant toujours, continuaient leur grand murmure » (40).

De cette Inquiétude à l’angoisse, la marge était étroite ! La franchirons-nous avec Henry ? « Tout le jour j’errai au hasard de la campagne, triste et vagabond comme les loups ; j’allais foulant les blés, arrachant les feuilles, me déchirant aux ronces des bois, aux cailloux des plus âpres sentiers… Je suis resté dans un champ de colza, couché à plat ventre, le visage dans mes mains, à penser… » (33). Sinon ce sera peut-être avec Julien revenant de la chasse : « Le bois s’épaissit, l’obscurité devint profonde… Il enfonçait dans des tas de feuilles mortes, et il s’appuya contre un chêne pour haleter un peu », et, plus loin : « … pour s’en retourner chez lui, il rentra dans la forêt. Elle était embarrassée de lianes… » (85).

Après tant d’émoi, d’inquiétude, voire d’effroi, suggérés par le cadre végétal, nous avons tenu à nous retrouver, toujours grâce à Gustave Flaubert, dans une ambiance plus sereine et, pour ce faire, nous l’avons suivi jusqu’au Rocher du Grand Bey, où se confondent la grandeur et la simplicité : « Au pied de l’île, les varechs dégouttelants s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties » (139).

 

d) Les emprunts de Gustave Flaubert au monde végétal

peuvent-ils résister à la critique des botanistes ?

 

Le sérieux de l’information botanique

« Flaubert croyait… que l’art pouvait et devait procéder avec la même méthode que la science, et que les qualités nécessaires au véritable savant étaient presque également nécessaires au véritable artiste » (223). N’allait-il pas au-delà même de ces propos de Ferrère en affirmant : « Plus l’art ira, plus il sera scientifique » (226). On comprend donc que le mode d’approche des sciences de la nature ne l’ait pas rebuté et qu’il en ait fort bien assimilé l’esprit de rigueur et de précision. Lorsque ses compétences n’y suffisent plus, il demande l’aide de ses amis dans leur spécialité. S’il ne faut voir qu’une galéjade dans ce propos tenu en forêt de Vizzavona : « Après nous être ainsi divertis une bonne demi-heure et avoir ri tout notre soûl, nous avons rejoint nos gens à qui nous avons dit que nous venions de faire des observations botaniques » (108) et qu’une grossière critique de l’ignorance dans l’affirmation erronée selon laquelle, en matière de désignation des maladies humaines : « … la classification linnéenne est bien commode avec ses genres et ses espèces… » (91), la Correspondance de Flaubert ne manque pas d’indications sérieuses en ce qui concerne ce « double bonhomme » : « … un qui est épris de gueulades… un autre qui fouille et creuse le vrai tant qu’il peut » (147). En 1853, Louise Colet apprend qu’ « … un botaniste ne doit avoir ni les mains, ni les yeux, ni la tête faits comme un astronome » (149) et Maurice, le fils de George Sand, « serait bien gentil de recueillir pour moi ses souvenirs agronomiques… » (163), tandis qu’ : « Un des jours de la semaine prochaine, j’irai à Rouen pour conférer avec le jardinier Beaucantin » (167), lequel, hélas, sera de peu d’utilité puisqu’il « ne m’a donné aucun renseignement » (168).

Ce souci de l’exactitude botanique a été poussé à son paroxysme à propos de Bouvard et Pécuchet : « …pour un passage de six lignes, j’ai lu trois volumes, conféré pendant deux heures et écrit trois lettres » (178) On sait que Pouchet, Pennetier, Baudry, Guy de Maupassant même, et d’autres encore, durent tenter de solutionner le problème du « calice » des fleurs de rubiacées ! Las, la montagne accoucha d’une souris l Les efforts déployés par Flaubert ne furent pas couronnés de succès, et il ne put « élucider » son affaire et nous comprenons fort bien que ses correspondants scientifiques ne lui aient pas donné la réponse car tout cela restait flou, même dans son propre esprit. Comble d’infortune en effet, ce qui, dans le cas des anémones ( « Les anémones, dans la famille des renonculacées, sans calice, très bien ») (181) lui paraissait évident, est absolument faux ! Ces fleurs sont dépourvues de corolle, ce sont justement leurs sépales, donc leur calice, qui en tiennent lieu ! Quant aux rubiacées (objet du tracas, l’un des derniers soucis de l’écrivain malheureusement !), les données les plus sérieuses relatives à leur systématique sont formelles : toutes possèdent un calice, même s’il est parfois extrêmement discret, qu’il s’agisse de gaillets, d’aspérules ou de shérardes !

La rigueur de l’expression scientifique

Le savoir botanique (acquis par Flaubert avec tout le sérieux que nous venons d’évoquer) se confirme dans les propos tenus par ses personnages. De la bouche du pharmacien Homais, prétentieux mais documenté, Mme Lefrançois apprend que, pour être un bon agronome : « Il faut encore… posséder la botanique ; pouvoir discerner les plantes. Entendez-vous ? Quelles sont les salutaires d’avec les délétères ; quelles sont les improductives et quelles sont les nutritives ; s’il est bon de les arracher par-ci et de les respecter par-là, de propager les unes, de détruire les autres » (48). Le déplorable état sanitaire des vergers de la ferme Liébard, à Toucques, n’échappe pas à l’œil critique des visiteurs : « Pas un arbre des trois cours qui n’eût des champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui » (80).

Les commentaires de M. de Faverges, à propos du parasitisme de la cuscute et du rôle de la luzerne dans les assolements sont inattaquables et restent, voire même redeviennent, d’une grande actualité : « Bouvard fit l’éloge de sa luzerne. Elle était assez bonne, en effet, malgré les ravages de la cuscute ; les futurs agronomes ouvrirent les yeux au mot cuscute. Vu le nombre de ses bestiaux, il s’appliquait aux prairies artificielles ; c’était d’ailleurs un bon précédent pour les autres récoltes, ce qui n’a pas toujours lieu avec les racines fourragères » (87). Pareille rigueur scientifique caractérise les tentatives de Pécuchet dans le domaine de la multiplication : « Il eut la précaution pour les boutures d’enlever les têtes avec leurs feuilles. Ensuite, il s’appliqua aux marcottages. Il essaya plusieurs sortes de greffes, greffes en flûte, en couronne, en écusson, greffe herbacée, greffe anglaise. Avec quel soin il ajustait les deux libers ! » (88).

Quelques lignes de Bouvard et Pécuchet méritent encore de retenir spécialement notre attention : « Les cantaloups mûrirent. Au premier, Bouvard fit la grimace. Le second ne fut pas meilleur, le troisième non plus ; Pécuchet trouvait pour chacun une excuse nouvelle, jusqu’au dernier qu’il. Jeta par la fenêtre, déclarant n’y rien comprendre. En effet, comme il avait cultivé les unes près des autres des espèces différentes, les sucrins s’étaient confondus avec les maraîchers… il en était résulté d’abominables mulets qui avaient le goût de citrouilles » (88). Nous trouvons là, sous-entendue, la notion d’hybrides entre les variétés de melons qui s’étaient « confondues », et la comparaison de ces produits immangeables avec les mulets (en principe stériles) résultant eux-mêmes de l’union d’un âne et d’une jument, n’est sans doute pas fortuite. Or, ces lignes ont été rédigées bien avant qu’aient été exhumées et diffusées (cela ne se réalisera que vers 1900) les premières lois fondamentales de la génétique établies (entre 1856 et 1866) par le moine Johan Mendel, dans un couvent de Moravie. Manifestement, auprès de tant d’autres allusions, celles-ci, relatives à la transmission des caractères, nous montrent bien l’insatiable curiosité naturaliste de Flaubert.

Il eût été facile pour lui de se gausser des entreprises ineptes qu’il prêtait à Bouvard ou à Pécuchet, sans entrer dans le détail, sans expliciter les erreurs qu’il les conduisait malicieusement à réaliser. Il ne s’en contenta pas et fit, à diverses reprises, étalage de ses connaissances étendues. Il sut, de la sorte, rendre compte des revers du jardinier : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines… L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates » (88), de l’horticulteur : « …il planta des passiflores à l’ombre, des pensées au soleil, couvrit de fumier les jacinthes, arrosa les lis après leur floraison, détruisit les rhododendrons par des excès d’abattage, stimula les fuchsias avec de la colle forte, et rôtit un grenadier, en l’exposant au feu dans la cuisine » (88), de l’arboriculteur : « Le printemps venu, Pécuchet se mit à la taille des poiriers. Il n’abattit pas les flèches, respecta les lambourdes… Quant aux pêchers, il s’embrouilla sur les sur-mères, les sous-mères et les deuxièmes sous-mères… Les cerisiers, auxquels il (Bouvard) avait fait des entailles, produisirent de la gomme… Incessamment, ils parlaient de la sève et du cambium, du palissage, du cassage, de l’éborgnage… » (90)

Cette rigueur à laquelle Flaubert s’astreignait dans le domaine technique, .il la voulait aussi dans le respect de la correspondance entre un lieu précis et un végétal donné. Il lui semblait, ainsi qu’il laisse penser Emma Bovary en pleine lune de miel : «  …que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part » (39). C’est sans doute pour cela qu’il se révéla si méticuleux, comme nous allons maintenant le constater, dans le choix de la flore en fonction du lieu.

La correspondance entre la plante et le milieu

Reconnaissons d’emblée que notre recherche d’éventuels « contre-sens » écologiques à travers l’œuvre de Flaubert n’a guère été couronnée de succès. Vers Ajaccio, l’auteur situe bien : « les maquis pleins d’arbousiers rouges et de myrtes en fleurs » (106). Revenu en Normandie, il rêvera : « …encore longtemps des forêts de pins » (107) et entendra toujours : « le bruit du vent dans les châtaigniers » (107). La maison bretonne de Mme Arnoux possédera : « …un jardin rempli de buis énormes et une double avenue de châtaigniers… » (78).

Lorsqu’il rend compte de ses promenades dans les dunes littorales, Flaubert mentionne, à diverses reprises, la présence de joncs. Cela peut étonner et l’on songe aussitôt à une confusion avec les oyats, plus à leur place apparemment. Pourtant un détail rend plausible la présence, en milieu sablonneux, de ces plantes plutôt hygrophiles : « …des bouffées d’air chaud venaient d’entre les trous des dunes dont les joncs minces s’accrochaient aux boucles de nos guêtres » (127). II peut en effet s’agir, comme en Flandre, de « pannes » interdunaires, au niveau desquelles règne une Indiscutable fraîcheur. Quant à la colonisation, près de Trouville, d’ « une vieille barque à demi enfouie dans le sable « par » de la christe-marine » (30), il s’agit très certainement de la salicorne herbacée, encore qu’une autre plante halophile, le Crithmum maritimum, ait parfois reçu le même nom vulgaire, mais elle colonise plutôt les rochers littoraux que les sables.

Le monde des lichens n’a pas manqué de retenir l’attention de Flaubert et, pour n’en citer qu’un exemple, nous nous transporterons à Carnac où, depuis les druides : « …des granits rient dans leurs barbes de lichens verts » (126). La notion de « barbes » est très judicieuse, elle nous incite à penser que l’auteur y a vu des Evernia, ou des Ramalina, même si ces thalles fruticuleux ne dépassent guère, normalement, sur les littoraux bretons, quelques centimètres de hauteur.

Dans les champs de Chavignolles la présence des turneps (une variété de navet) (87), était aussi normale que celle du seigle (87), compte tenu des qualités du terroir de la région où est censé se situer le village et, voilà un siècle, l’abricot se récoltait communément dans les jardins abrités de Normandie. Il n’est donc pas étonnant que Rodolphe en ait offert à Emma Bovary (51). Le cortège végétal qui accompagne ces amants jusqu’à la maison de la nourrice de Berthe est en parfait accord avec la flore spontanée locale : troènes, véroniques, églantiers, orties, ronces… (44). Tout aussi convenable, bien que nettement plus recherché, est le choix du réséda sauvage sur la porte de Kersalion (138), des juliennes blanches dans les vases de la cathédrale (54), du sorbier (66) chez la mère de Frédéric, à Montereau.

Flaubert gravit encore un degré dans la recherche lorsqu’il s’adresse à des végétaux assez rares, dont il est douteux qu’il ait eu personnellement connaissance. Il en sous-entend pourtant parfaitement les aptitudes, les exigences, ou les habitats particuliers. Ainsi en est-il des aristoloches couvrant un mur chez les Dambreuse (75), du Caladium et des Hibiscus agrémentant la serre de Rosanette (69), d’une labiée qui permet, une nouvelle fois au pharmacien Homais de faire, pompeusement, étalage de sa science : « Ainsi, vous n’êtes pas sans savoir l’effet singulièrement aphrodisiaque que produit le Nepeta cataria, vulgairement appelé herbe-au-chat, sur la gent féline » (52), des Gardénias qu’a élevés Murel au grand étonnement de Miss Arabelle (96), du Sophora japonica tortueux, ne parvenant pas à croître dans le jardin de Chavignolles (88), des échecs retentissants de Pécuchet en matière de lilas des Indes ou d’eucalyptus (88), sinon des rêves de Bouvard, prêt à cultiver le pavot à opium ou l’astragale aux portes de Falaise (89).

Les végétaux « préférés » de Gustave Flaubert

Pour qui sait avec quelle opiniâtreté Gustave Flaubert « ciselait » ses textes, le recours fréquent à certains végétaux ne peut relever du pur hasard. L’auteur eut manifestement des préférences et nous tenterons de dégager les plus marquées. Etait-ce conscient ou non ? Nous ne nous prononcerons pas sur ce point mais, par contre, le rapprochement entre le cadre de vie du romancier et l’identité des végétaux les plus couramment cités est très significatif.

En premier lieu se situe le gazon. Il revient un nombre très élevé de fois dans les récits de Flaubert, même lorsqu’un autre terme eût été plus approprié. Si son emploi ne choque pas dans des expressions telles que : « Puis il tomba encore une fois épuisé et s’endormit sur une banque de gazon » (13), ou : « Un jour… comme elle était accroupie, devant le gazon, à chercher de la violette » (71), il est plus curieux de décrire, dans une prairie : « …des bœufs, étendus au milieu du gazon » (79) cependant que : « Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui l’aveuglaient » (79).

Puis vient un cortège de fleurs très souvent mises à l’honneur dans les romans, et plus encore dans la correspondance, dont les relations avec le gazon sont évidentes, peut-être plus spécialement encore avec celui de la propriété de Croisset ; les violettes, les primevères, Les marguerites surtout. Indifféremment (nous l’avons déjà souligné), Flaubert appelle marguerites les humbles pâquerettes et les grands leucanthèmes. Mais c’est surtout aux petites Bellis perennis qu’il songe ; n’écrit-il pas clairement : « J’étais couché, à plat ventre, j’arrachais les brins d’herbe, les marguerites d’avril… » (19) ? Son amour pour les primevères est certain et, à bord de la cange, durant le voyage en Égypte, il pense intensément à elles avec une passion qui le pousse à écrire : « Ô primevères, mes petites, ne perdez pas vos graines, que je vous revoie à l’autre printemps… » (142), ce qui n’est pas foncièrement une nécessité biologique puisque les primevères sont vivaces par une souche, et que la propagation par semences reste accessoire.

Tout autour de Croisset, d’Yonville, ou de Chavignolles, les ravenelles furent, et sont restées communes ; ne nous étonnons donc pas de leurs mentions répétées. Sans doute en était-il de même, mais cette fois à Rouen, à Paris, à Toucques, à Nogent, des jardinières de capucines aux fenêtres.

Rien de plus naturel que Gustave Flaubert, subjugué par les rivières, et plus spécialement par la Seine, ait fait un large usage des essences ligneuses qui affectionnent la fraîcheur de leurs berges : Saules et Peupliers. Que ce soit à Rouen, avec : « …cette longue file de peupliers qui frissonnaient sous le vent » (33), à Blois : « d’où l’on découvre… la Loire bordée de peupliers » (117), de Saumur à Ancenis, près de Quimperlé, ou aux environs de Nogent-sur-Seine : « À chaque détour de la rivière, on retrouvait le même rideau de peupliers pâles » (59), semblables à ceux qui jalonnaient aussi le cours de l’Orne. Nous saurions pareillement orienter le lecteur vers maintes saussaies. Même Julien : « Redescendu dans la plaine… suivit des saules qui bordaient la rivière… » (84). Il n’est pas dépourvu d’intérêt de faire ici allusion à la reconnaissance effectuée récemment par Claude Chevreuil sur les bords de la Seine à Nogent (283). Se référant à des phrases précises de l’Éducation Sentimentale, et s’étant rendu en des lieux qu’il a supposés correspondre à ceux évoqués par Flaubert, Chevreuil écrit : « …la prairie est effectivement plantée de peupliers, mais en partie seulement car d’autres arbres foisonnent » (208) et cet auteur conforte notre sentiment personnel en ajoutant : « …de tous les arbres, Flaubert… n’avait choisi de voir que les peupliers » (208). À propos de cet autre membre de phrase de l’Éducation : « …et un rang de vieux saules cachant des pièges à loup était, de ce côté de l’île, toute la défense du jardin » (70), Chevreuil nous apprend que : « …le rang de vieux saules est encore là, absolument intact, en bordure de l’île » (208).

L’eau nous servira de fil conducteur pour passer de la rivière au littoral où nous attendent les algues. Flaubert les désigne presque toujours par le mot varech. Ce n’est pas qu’il entretienne une particulière sympathie pour elles, mais leur évocation s’harmonise bien avec les sentiments intimes de l’auteur, avec son pessimisme fréquent. N’est-il pas question « des varechs qui noircissent les rochers » (4), des flaques d’eau où : « les varechs pleuraient et se berçaient » (24), de « leurs lanières gluantes » (128) ? L’emploi du mot fucus correspond à des pensées moins moroses, plus poétiques, comme à Trouville où : « les fucus suspendus avaient secoué sur lui les perles de leur chevelure… » (30), à moins que la plante lui soit devenue plus agréable encore : « beau fucus que nous avons pris et manié » (124).

A. Colling (209) a bien insisté sur l’usage précoce du mot ruines dans les productions de Flaubert. C’était une obsession pour lui, mais, comme pour leur donner un aspect plus accueillant, ou plus solennel, il les a très souvent « habillées », dissimulées sous un manteau végétal. Le lierre ou les ronces, parfois la mousse, selon l’humeur, ont été appelés à jouer ce rôle. Au cours de ses rêves, l’âme de Djalich : « se prenait à ce qui était beau et sublime, comme le lierre aux débris, les fleurs au printemps… » (6), tout comme en voyage Gustave Flaubert songeait, face aux ruines : « …aux beaux lierres lustrés, aux ronces toutes chauves… » (119), s’extasiait en contemplant : « D’en bas, sur un grand morceau de muraille, monte un lierre ; mince à sa racine, il va s’élargissant en pyramide renversée et, à mesure qu’il s’élève, assombrit sa couleur verte qui est claire à la base et noire au sommet » (137), ou consignait, à Ancenis, en vue d’une rédaction future : « Des ravenelles, des ronces, les belles plantes vivaces, les belles feuilles vertes se cramponnent partout, pendent dans les coins » (120).

N’est-il pas significatif de considérer cette fin de phrase de l’épisode du fiacre (in Madame Bovar) : « …des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d’une terrasse toute verdie par des lierres » (55). Gérard Genette nous dit que : « …ni Emma, ni Léon, à cette vitesse et dans cette circonstance n’ont le loisir de contempler une terrasse verdie par le lierre… » (219). Nous partageons son point de vue, qui renforce encore notre conviction : Flaubert a tenu à introduire un pan de verdure dans le récit. Les draperies de lierre de ce qui fut son premier cadre de vie ont aussitôt resurgi !

Les « compositions végétales »

À diverses reprises, Flaubert a eu recours à des énumérations rendant compte de la richesse de la flore, de sa diversité. Le choix de l’auteur répond toujours à un évident souci de rigueur scientifique. Dans le parc de la Vaubyessard : « …des bannettes d’arbustes, rhododendrons, seringas et boules-de-neige bombaient leurs touffes de verdure inégales sur la ligne courbe du chemin sablé » (41), cependant qu’à propos du château de Combourg, Flaubert ressent le besoin de souligner que la ravenelle fait défaut, avant de dresser son inventaire : « Le violier jaune n’y croissait pas, mais Les lentisques et les orties, avec la mousse verdâtre et les lichens » (141), et de jeter un long regard sur le parc au pied de la muraille : « …le lac est répandu, étalé sur l’herbe parmi les joncs ; sous les fenêtres, les troènes, les acacias et les lilas… couvrent de leur taillis sauvage le talus qui descend jusqu’à la grande route… » (141).

La description du reposoir (in Un cœur simple) traduit la ferveur du sentiment religieux. N’y avait-il point : « …deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d’argent et des vases de porcelaine, d’où s’élançaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d’hortensias » (82) ? À l’abbaye de Landévennec c’est, par contre, la « revanche » de la nature sur le sacré, avec : « …toutes sortes de plants et d’arbrisseaux, des orties, des marguerites, des angéliques, des sureaux, des bruyères… » (135).

Point de ferveur, bien sûr, mais quand même une discrète touche finale de poésie pour rendre compte de la diversité des cultures dans le Jardin de Nogent : « Les cloches des melons brillaient à la file sur leur couche étroite ; les artichauts, les haricots, les épinards, les carottes et les tomates alternaient jusqu’à un plan d’asperges, qui semblait un petit bois de plumes » (70). L’énumération sera plus sèche encore devant le parvis de la cathédrale de Rouen, même si elle suggère toute une gamme de coloris : « …la place, retentissante de cris, sentait les fleurs qui bordaient son pavé, roses, jasmins, œillets, narcisses, et tubéreuses, espacés inégalement par des verdures humides, de l’herbe-au-chat et du mouron pour les oiseaux » (53)

Nous ne saurions omettre le « spectacle changeant » que créait la diversité des arbres de la forêt de Fontainebleau. L’énumération s’y révèle, tour à tour, respectueuse de l’habitus de chaque essence, et puissamment lyrique. « Les hêtres, à l’écorce blanche et lisse, entremêlaient leurs couronnes ; des frênes courbaient mollement leurs glauques ramures ; dans les cépées de charmes, les houx pareils à du bronze se hérissaient ; puis venait une file de minces bouleaux, inclinés dans des attitudes élégiaques ; et les pins, symétriques comme des tuyaux d’orgue, en se balançant continuellement, semblaient chanter. II y avait des chênes rugueux, énormes, qui se convulsaient, s’étiraient du sol, s’étreignaient les uns les autres, et, fermes sur leurs troncs, pareils à des torses, se lançaient avec leurs bras nus des appels de désespoir, des menaces furibondes, comme un groupe de Titans immobilisés dans leur colère » (73). George Sand ne renierait point cette description des chênes tourmentés. Pareillement grand devait être le tourment des forçats rencontrés par Flaubert au jardin botanique de Toulon, encore que : « Tandis que les autres étaient au bagne, ceux-là entendaient le bruit du vent dans les palmiers et dans les aloès, car il y a des roseaux de l’Inde à forme étrange, et des bananiers, des agaves, des myrtes encore, des cactus… le vent agite le branchage sur le treillis, il y a du jasmin qui embaume, des chèvrefeuilles, des fleurs dont je ne sais pas le nom… ; des nénuphars sont étendus dans les sources, avec des roseaux qui s’épanchent de tous côtés. Le vent… agitait les palmiers dont le faîte murmurait, deux palmiers, de ceux qu’on appelle rois… » (113). II pourra paraître facile de « recomposer » un paysage lorsque le cadre s’avère aussi délicieux, lorsqu’un « …palmier pour nous c’est toute l’Inde ; tout l’Orient » (113). Ne soyons pas aussi sévère pour Flaubert qui a su, avec un égal bonheur, à un moment où, pourtant, son cœur devait battre aussi fort que celui d’Emma (ou peut-être plus encore, que celui de Rodolphe) brosser un magistral tableau de la forêt de l’abandon : « …entre les sapins, une lumière brune circulait dans l’atmosphère tiède. La terre, roussâtre comme de la poudre de tabac, amortissait le bruit des pas ; et, du bout de leurs fers, en marchant, les chevaux poussaient devant eux des pommes de pin tombées… » … « De longues fougères, au bord du chemin, se prenaient dans l’étrier d’Emma »… « Les feuilles ne remuaient pas. Il y avait de grands espaces pleins de bruyères tout en fleurs ; et des nappes violettes s’alternaient avec le fouillis des arbres qui étaient gris, fauves ou dorés, selon la diversité des feuillages » (49).

Oui, comme nous aimerions que les prétendus naturalistes sachent tous, en aussi peu de lignes, passant de la terre à la fougère, de la bruyère à I arbre, dégager les traits caractéristiques de la futaie résineuse !

Flaubert en face de la nature

(a) La nécessité d’en protéger les beautés

Pour éprouver le désir de protéger, il faut aimer, aimer comme une mère qu’aveugle l’affection et qui ne distingue pas les imperfections du visage de son enfant. C’est bien une semblable passion qui habitait Gustave Flaubert. « La science ne se reconnaît pas de monstre, elle ne maudit aucune créature… ; la laideur n’existe que dans l’esprit de l’homme, c’est une manière de sentir qui révèle sa faiblesse, lui seul est capable de la concevoir et de la produire ; … Les rochers sont beaux, les champs couverts de blé sont beaux, belle est la tempête, belles sont les forêts, les araignées ont leur beauté, les crocodiles ont la leur, comme les hiboux… » (37).

Dès 1840, plus d’un siècle avant que l’opinion publique ne s’émeuve devant la furie des vagues du présent balayant un passé jugé superflu, il avoua, à diverses reprises, sa nostalgie de temps déjà révolus ! À Ghisoni, à la faveur (!) d’insomnies, il fit des réflexions philosophiques en considérant le cadre de vie du paysan corse : « Tout cela était si loin de la France, si loin du siècle, resté à une époque que nous rêvons maintenant dans les livres… et je comparais le bruit du vent dans les arbres… au roulement des voitures dans la rue de Rivoli, au bruit des pompes à feu dans la vallée de Déville » (109). Il donna même dans le lyrisme en visitant Le Musée de Nantes : « … il y a encore des hommes qui marchent nus ; qui vivent sous les arbres, pays où les nuits de noce ont pour alcôve toute une forêt, pour plafond le ciel entier. Mais il faut partir vite si vous les voulez voir… » (121), avant de lancer un pathétique message : « Ce grand mot de nature que l’humanité tour à tour a répété avec idolâtrie ou épouvante, que les philosophes sondaient, que les poètes chantaient, comme il se perd ! Comme il s’oublie ! … L’homme a coupé les forêts, il bat les mers, et sur ses villes le ciel fait les nuages avec la fumée de ses foyers » (139).

Flaubert ne comprenait pas que l’on défigurât pareillement notre monde : « …cette nature… qu’on exploite si impitoyablement, qu’on enlaidit, que l’on méprise » (205), et il exposa quelques motifs de ses griefs (toujours tristement d’actualité, jugeons-en !) en visitant Amboise : « …je porte une haine aiguë et perpétuelle à quiconque taille un arbre pour l’embellir, châtre un cheval pour l’affaiblir ; à tous ceux qui coupent les oreilles ou la queue des chiens, à tous ceux qui font des paons avec des Ifs, des sphères et des pyramides avec du buis… » (119). Il souffrait visiblement de tout son être, en considérant : « …sur les trottoirs en terre qui bordaient la route (entre Nogent et Paris), de petits arbres sans branches… défendus par les lattes hérissées de clous » (68).

Longtemps avant l’avènement des « gros engins », des « grands moyens », il craignait déjà pour notre environnement : « …si la Société continue à aller de ce train, il n’y aura plus dans deux mille ans ni un brin d’herbe, ni un arbre ; ils auront mangé la nature… » (143), et s’inquiétait fort en considérant que : « …l’homme tourmenté remue, s’agite, abat les forêts, bouleverse la terre, s’élance sur la mer, et pleure, et rugit, et pense à l’enfer… » (27). Même l’approche d’un prestigieux monument, comme Chambord, le décevait : « …le château n’a ni jardin, ni parc, pas le moindre arbuste, pas une fleur autour de lui ; il montre sa façade devant une grande place d’herbe grêle… » (117).

Manifestement amoureux de la nature, Flaubert supportait donc mal qu’on la violente. II ne parvenait pas même à comprendre que, sur les bords du bassin de Saint-Ferréol : « …les joncs ici sont taillés au cordeau et égalisés, on les y plante (planter des joncs !) et on en fait une sorte de palissade d’herbe droite… j’aimerais autant voir sous l’eau un champ d’herbes inclinées irrégulièrement, en petits clochers verts qu’agiterait-maintenant le vent… » (103). Aux heures sombres des années « 40 », il eût peut-être soutenu le « retour à la terre », en vertu des convictions qu’il exprima en revenant de Corse : « Nous vîmes en effet, étendu dans son lit, un maigre Jeune homme toussant et crachant, pauvre brute ! Que l’ambition dévore et qui se tue pour devenir un savant ! Corse, Corse, gagne plutôt le maquis ! Là tu entendras sous le myrte la chanson des rossignols et n’auras pas besoin de dictionnaire pour la comprendre, le vent dans la forêt de Marmano te sifflera un autre rythme que celui de ton Virgile que tu ne comprends guère… » (112).

Heureusement que, devant les pressions humaines, la nature se rebiffe, même au cœur du jardin de Chavignolles : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta… les semis furent une désolation » (94). Elle rappelle à l’homme qu’elle dispose d’une arme efficace et imparable : la puissance.

 

b) La puissance de la nature est considérable

Maints propos de Flaubert témoignent de l’extrême pouvoir qu’exerce sur lui la Nature au plan affectif : « Il y a des endroits de la terre si beaux qu’on voudrait les serrer contre son cœur » (224) … « …j’ai des recroquevillements si profonds… cela me prend souvent surtout devant la nature, et alors je ne pense à rien ; je suis pétrifié, muet » (206). Peut-être est-ce parce qu’ainsi que le suggère L. Laumet : « …son trouble est plus grand lorsqu’il se trouve en face des aspects inattendus… derrière lesquels il soupçonne des forces inconnues » (227).

Pourtant, c’est bien plus encore en songeant aux formidables possibilités colonisatrices de la Nature (susceptibles de l’effrayer parfois) qu’il entend rendre hommage à la puissance du monde végétal. La facilité avec laquelle seront, tôt ou tard, dissimulées les tombes, l’a souvent frappé. « Adieu donc, vents du soir, qui soufflez sur les roses penchées, sur les feuilles palpitantes des bois endormis, … » … « elles palpiteront longtemps encore, les feuilles des orties qui croîtront sur les débris cassés de ma tombe » (14). Il s’y est résigné, et écrit même à Louise Colet : « En fait de cimetières, j’aime ceux qui sont dégradés, ravagés, en ruines, pleins de ronces, avec des herbes hautes… » (146). Le mot « ruines » vient de réapparaître ! Rien d’anormal à cela : « J’aime surtout la végétation qui pousse sur les ruines, cet envahissement de la nature qui arrive tout de suite sur l’œuvre de l’homme quand sa main n’est plus là pour la défendre me réjouit d’une joie profonde et large. La Vie vient se replacer sur la Mort… sur la pierre où l’un de nous a sculpté son rêve, réapparaît l’ Éternité du Principe dans chaque floraison de ravenelles jaunes » (196). De même qu’à Tiffauges : « À trente pieds en l’air une cheminée est restée suspendue… Il est venu de la terre dessus et des plantes y ont poussé comme dans une jardinière qui serait restée là » (123).

La Nature exubérante tente toujours d’effacer le souvenir sous son voile de verdure. Que restait-il de la folie de Nogent, après que les arbres aient démesurément grandi ? : « De la clématite embarrassait les charmilles, les allées étaient couvertes de mousse, partout les ronces foisonnaient. Des tronçons de statues émiettaient leur plâtre sous les herbes… » (70). Même spectacle à Chinon : « Partout au milieu des ruines, des lilas en fleurs, de l’herbe. Dans la chambre où Jeanne d’Arc a été reçue, des narcisses en fleurs et des églantiers penchés les uns sur les autres » (120), tandis que vous envahit : « Le souvenir des existences d’autrefois (qui) découle de ses murs avec l’émanation des orties et la fraîcheur des lierres » (122). Passent les siècles, la flore s’impose et dure. À Carcassonne : « Sur une place il y a un grand puits roman dont le dedans est tout tapissé d’herbes, personne n’y puise plus de l’eau, les plantes poussent au fond dans la source à moitié comblée » (104). Quelle qu’ait été l’ampleur de la construction humaine, la végétation triomphera, comme elle le fit au château de Clisson où : « Entré dans l’intérieur, on est surpris, émerveillé par l’étonnant mélange des ruines et des arbres, la ruine faisant valoir la jeunesse verdoyante des arbres, et cette verdure rendant plus âpre la tristesse de la ruine. C’est bien là l’éternel et beau rire, le rire éclatant de la nature sur le squelette des choses » (122).

Lentement le plus souvent, mais parfois en l’espace d’une tornade, tous les efforts de l’homme peuvent être anéantis. L’adepte du culte que, dans une certaine mesure, Gustave Flaubert voua à la Nature, ne s’en révolte point, au contraire : « Ce n’est pas sans un certain plaisir que j’ai contemplé mes espaliers détruits, toutes mes fleurs hachées en morceaux, le potager sans dessus dessous. En contemplant tous ces petits arrangements factices de l’homme que cinq minutes ont suffi pour bousculer, J’admirais le vrai ordre se rétablissant dans le faux ordre. Ces choses tourmentées par nous… ont eu dans cette rebuffade atmosphérique une sorte de revanche… » (150). Revanche assurément puisque cette hécatombe végétale n’est pas définitive. Elle saura surmonter le cataclysme tout comme : « …les fleurs croissent dans les fentes des vieux murs ; plus la ruine est ancienne et plus elles la couvrent ; mais il n’en est point au milieu des ruines du cœur de l’homme, le printemps ne fleurit pas sur ses débris… » (36).

Flaubert achèvera de nous en persuader à la faveur de notre ultime chapitre.

 

c) Nous passons, elle demeure.

En dépit de son perpétuel renouvellement, le spectacle de la Nature peut sembler bien constant, face à l’instabilité de nos états d’âme. Ce n’est point la jeune Emma qui nous contredit : « Elle commençait par regarder machinalement autour d’elle, pour voir si rien n’était changé… Elle retrouvait les mêmes ravenelles dans les pierres, sur les dalles du mur les mêmes plaques de lichen desséché, les mêmes cailloux dans les touffes d’orties… Sa pensée d’abord sans but vagabondait de droite et de gauche… » (218).

Seuls des hommes d’une trempe exceptionnelle, comme les Bretons de Quimperlé, savent « durer » sans apparentes modulations, jusqu’à leur dernier soupir ; on remarquera l’excellente chute de cette période, d’une parfaite rigueur botanique : « Ils étaient beaux ces hommes, beaux parce qu’ils étaient vrais et dans la simplicité de leurs costumes…, et dans la bonne foi de leur croyance…, restes derniers d’une nationalité complète qui s’efface sans métamorphoses et disparaît sans transition, ainsi que les feuilles de l’if qui tombent sans jaunir » (131).

Flaubert, à diverses reprises, profite de l’évocation des saisons pour en rapprocher les âges de notre petite vie, bien éphémère I Le renouveau l’a souvent comblé d’aise : « Les lilas vont fleurir et, en dépit de tout, quelque chose du printemps vous entre dans le cœur » (176). Pourtant, âgé de 25 ans à peine, il cédait déjà à la morosité : « Les feuilles repoussent aux arbres mais, pour nous, où est le mois de mai qui nous rende les belles fleurs enlevées et les parfums mâles de notre jeunesse » (194). On le comprend mieux en 1872 (encore qu’il ait tout juste dépassé la cinquantaine… la vie étant très entamée à cette époque, à 50 ans !) : « …je me promène… en regardant l’effet du soleil sur les feuilles qui jaunissent et, comme un vieux, je rêve sur le passé » (161). À la Princesse Mathilde il confiait, en mars 1879 : « L’hiver est abominable… De la fenêtre de mon cabinet, j’aperçois cependant quelques primevères. Que ne puis-je refleurir comme le gazon ? » (174).

Ces propos, sombres, romantiques, n’étonnent pas ceux qui connaissent le tempérament du grand écrivain marqué, depuis sa plus tendre enfance, par la pénible ambiance de l’Hôtel-Dieu. Il y fut sans doute le témoin de spectacles traumatisants, le malheur frappant de multiples façons. Aussi n’est-il point étonnant que, dès 1836, à 17 ans, il écrive : « …souvenirs calmes et riants comme un sourire de premier âge, vous passez près de moi comme des roses flétries » (17), et qu’en 1845, il, constate avec gravité que : « Les arbres ne conservent point la trace des orages qui ont courbé leurs branches… ; il n’en est pas de même de l’âme et de la figure des hommes ; tout y marque… » (115). À de multiples reprises réapparaît dans la Correspondance cette notion de brièveté de la vie, souvent poétiquement exprimée. Flaubert confiera à Mme Brainne : « La nature n’est pas comme nous, elle reste jeune » (185) et écrira à la Princesse Mathilde, avec une évidente mélancolie, bien proche de la tristesse : « Vos arbres de Saint-Gratien ont-ils souffert ? Ici tous les lauriers sont morts. Le temps des lauriers est fini, et pour moi celui des roses » (180).

Il n’est pas de description de tombe, de cimetière, de funérailles qui ne soit accompagnée d’allusions botaniques. La végétation symbolise la continuité, cependant qu’ : « ils dorment là, couchés, sans bruit, sous la terre, sous le gazon fleuri » (20). Avant le catéchisme, à Yonville, les enfants : « …à califourchon sur le mur, agitaient leurs jambes, en fauchant avec leurs sabots les grandes orties poussées entre la petite enceinte et les dernières tombes » (46) ; les orties narguent les morts, elles, sont vivaces !

Lors des obsèques d’Emma Bovary : « …les seigles et les colzas verdoyaient, des gouttelettes de rosée tremblaient au bord du chemin, sur les haies d’épines » (57). Une vie humaine a pris fin, la vie végétale continue… Elle se manifeste pimpante, joyeuse, dans le jardin où Charles Bovary, veuf depuis peu, va s’asseoir sur le banc. « Les feuilles de vigne dessinaient leurs ombres sur le sable, le jasmin embaumait… des cantharides bourdonnaient autour des lis en fleurs… » (58).

Si nous osions, nous dirions qu’après la mort de Gustave Flaubert, une même exubérance végétale conquit pendant un temps sa chère propriété de Croisset, comme il l’eût fort bien imaginé lui-même.

Un supplément littéraire du Figaro de 1885 rapporte qu’au milieu de l’été de 1881, on s’attaqua au jardin : « Il fallut une armée de bûcherons pour en venir à bout ; depuis des années, on se contentait de ratisser les allées, de garnir de fleurs les plates-bandes, et les arbres touffus s’enchevêtraient ».

Une telle colonisation végétale ne s’accorde-t-elle pas en tout point avec les propos que tenait Gustave Flaubert lui-même et dont nous venons de tenter une modeste analyse ?

 

Pour conclure

« Écrivains que nous sommes et toujours courbés sur l’Art, nous n’avons guère avec la nature que des communications imaginatives. Il faut quelquefois regarder la lune ou le soleil en face, la sève des arbres vous entre au cœur par les longs regards stupides que l’on tient sur eux. …Quelque chose des saveurs de la nature doit pénétrer notre esprit s’il s’est bien roulé sur elle » (152). Cet extrait de lettre à Louise Colet traduit excellemment, tout à la fois, le vif attachement que Flaubert vouait à la Nature et l’attention avec laquelle il l’étudiait. Il est vrai que : « Flaubert, quand il touche aux choses de la science, ne le fait jamais à la légère » (220) et, selon nous, c’est bien en scientifique qu’il a considéré le cadre dans lequel il a évolué durant sa trop courte vie, dans lequel il a fait se mouvoir les personnages qu’il a créés.

De temps en temps, le style a pu s’apparenter au romantisme, le fond est toujours resté minutieusement exact (à de rarissimes petites approximations près). C’est dire qu’il n’a jamais peint la nature avec un pinceau qui tremble, mais qu’il l’a croquée avec un crayon bien aiguisé.

Les particularités du milieu naturel, en chaque circonstance de ses écrits, et surtout les subtiles nuances du monde végétal qui en sont l’ossature, provoquent et expliquent, simultanément, le comportement des personnages, sinon celui de l’auteur qui se « projette » dans un paysage donné, puis nous y entraîne à sa suite… pour y accueillir finalement Les acteurs qu’il y fait évoluer.

Jugée par un botaniste, l’utilisation de la flore française, chez Flaubert, appelle beaucoup d’éloges.

Nous faisons volontiers nôtre cette appréciation d’Hélène Frejlich, qui ne songeait pas précisément aux seuls aspects scientifiques de son œuvre :

« Tout artiste tend à exceller. Amoureux du détail et visant le bloc, sachant que ce sont les perles qui composent le collier, il enfila ses perles sans en perdre une seule et tint son fil de l’autre main sans défaillir » (225).

Bernard BOULLARD

(Faculté des Sciences de Rouen)

 

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Références

Les numéros des références (de 1 à 232) qui figurent dans le texte, se retrouvent, dans l’ordre, avec indication de la page du volume où l’on pourra retrouver les extraits cités dans notre travail.

A. Œuvres de Gustave Flaubert

Œuvres Complètes de Gustave Flaubert. Préface de Jean Bruneau. Présentation et Notes de Bernard Masson.

Tome I. 1 vol., 1964 ; 799 pages (réf. 1 à 58).

Tome II. 1 vol., 1964, 793 pages (réf. 59 à 142).

Souvenirs littéraires de Maxime du Camp

(1) p. 20

Voyage en Enfer

(2) p. 42.

Rage et Impuissance

(3) p. 85

Rêve d’Etifer

(4) p. 91 ; (5) p. 95

Quidquid volueris

(6) p. 105 ; (7) p. 109 ; (8) p. 110

Passion et Vertu

(9) p. 118

La Danse des Morts

(10) p. 165 ; (11) p. 173

Ivre et Mort

(12) p. 178 ; (13) p. 180

Les Funérailles du Docteur Mathurin

(14) p. 222 ; (15) p. 226

Mémoires d’un Fou

(16) p. 230 ; (17) p. 235 ; (18) p. 240 ; (19) p. 241 ; (20) p. 243

Novembre

(21) p. 248; (22) p. 250; (23) p. 253; (24) p. 257; (25) p. 258; (26) p. 264 ; (27) p. 271 ; (28) p. 274 ; (29) p. 275 ; (30) p. 276

L’Education Sentimentale, Version de 1845

(31) p. 279; (32) p. 288; (33) p. 313; (34) p. 327; (35) p. 349; (36) p. 350; (37) p. 355

Madame Bovary

(38) p. 581 ; (39) p. 588 ; (40) p. 589 ; (41) p. 590 ; (42) p. 596 ; (43) p. 603 ; (44) p. 605 ; (45) p. 606 ; (46) p. 611 ; (47) p. 615; (48) p. 619; (49) p. 628; (50) p. 641 ; (51) p. 643 ; (52) p. 645 ; (53) p. 655; (54) p. 656; (55) p. 657; (56) p. 663; (57) p. 688; (58) p. 692

L’Education Sentimentale, Version de 1869

(59) p. 9 ; (60) p. 13 ; (61) p. 16 ; (62) p. 19 ; (63) p. 37 ; (64) p. 38 ; (65) p. 39 ; (66) p. 41 ; (67) p. 42 ; (68) p. 45; (69) p. 52; (70) p. 99 ; (71) p. 106; (72) p. 108; (73) p. 126; (74) p. 128; (75) p. 135; (76) p. 147 ;(77) p. 150 ; (78) p. 160

Un cœur simple

(79) p. 168; (80) p. 169; (81) p. 172; (82) p. 177 ;

La Légende de Saint Julien l’Hospitalier

(83) p. 178 ; (84) p. 181 ; (85) p. 184

Bouvard et Pécuchet

(86) p. 208; (87) p. 209 ; (88) p. 211; (89) p. 212; (90) p. 214; (91) p. 223 ;

(92) p. 231 ; (93) p. 246 ; (94) p. 261 ; (95) p. 293

Le Candidat

(96) p. 393

Voyage aux Pyrénées et en Corse

(97) p. 426 ; (98) p. 427 ; (99) p. 429 ; (100) p. 432 ; (101) p. 433 ; (102) p. 435 ; (103) p. 437 ; (104) p. 438 ; (105) p. 442 ; (106) p. 446; (107) p. 447; (108) p. 448 ; (109) p. 449; (110) p. 450 ; (111) p. 451 ; (112) p. 454; (113) p. 455; (114) p. 456

Voyage en Italie et en Suisse

(115) p. 460

Par les Champs et par les Grèves

(116) p. 473; (117) p. 476; (118) p. 477; (119) p. 478; (120) p. 481 ; (121) p. 486 (122) p. 487 ; (123) p. 490 ; (124) p. 491 ; (125) p. 493 ; (126) p. 494 ; (127) p. 497 (128) p. 500 ; (129) p. 501 ; (130) p. 507 ; (131) p. 509 ; (132) p. 513 ; (133) p. 516 (134) p. 521 ; (135) p. 522 ; (136) p. 530 ; (137) p. 531 ; (138) p. 532 ; (139) p. 539 (140) p. 542; (141) p. 545

Voyage en Orient

(142) p. 553

Gustave Flaubert. Souvenirs, Notes et Pensées intimes (18381841). Avant-propos de Lucie Chevalley-Sabatier, Buchet-Chastel éd., 1 vol., 1965, 110 pages

(143) p. 92

Correspondance

Lettres de Gustave Flaubert à George Sand. Précédées d’une Étude par Guy de Maupassant. Charpentier éd., 1 vol., 1884, 289 pages

(144) p. XII ; (145) p. LXX

Correspondance de Gustave Flaubert in Œuvres Complètes de Gustave Flaubert. Nouvelle Edition augmentée. L. Conard éd., 13 vol., 1926 à 1954. Deuxième série, 1847-1853

(146) p. 318; (147) p. 342

Troisième série, 1852-1854

(148) p. 65; (149) p. 149; (150) p. 275; (151) p. 308; (152) p. 319

Quatrième série, 1854-1861

(153) p. 74; (154) p. 100; (155) p. 128

Cinquième série, 1862-1868

(156) p. 93; (157) p. 136

Sixième série, 1869-1872

(158) p. 133; (159) p. 219; (160) p. 300; (161) p. 427; (162) p. 428

Septième série, 1873-1876

(163) p. 7; (164) p. 19; (165) p. 163; (166) p. 166; (167) p. 213; (168) p. 214; (169) p. 307; (170) p. 365; (171) p. 383

Huitième série, 1877-1880

(172) p. 45 ; (173) p. 157 ; (174) p. 226 ; (175) p. 239 ; (176) p. 250

Neuvième série, 1880 + Index

(177) p. 4; (178) p. 16; (179) p. 18; (180) p. 27; (181) p. 29

Supplément 1830-1863

(182) p. 168

Supplément 1872-1877

(183) p. 132 ; (184) p. 140 ; (185) p. 254 ; (186) p. 305

Supplément Juillet 1877-1880

(187) p. 187

Correspondance de Gustave Flaubert in Coll. Bibliothèque de la Pléiade. Edition établie, présentée et annotée par Jean Bruneau. Tome I, Janv. 1830  avril 1851, 1 vol., 1973, 1.177 pages

(188) p. 73 ; (189) p. 98 ; (190) p. 108 ; (191) p. 234 ; (192) p. 261 ; (193) p. 265 ; (194) p. 270; (195) p. 272; (196) p. 314; (197) p. 324; (198) p. 406; (199) p. 414; (200) p. 457

B. Œuvres d’autres Auteurs

Bollème Geneviève. — Préface à la vie d’un Ecrivain. Extraits de la Correspondance de Gustave Flaubert. Ed. du Seuil, 1 vol., 1963, 298 pages

(201) p. 176

Bollème Geneviève. — La leçon de Flaubert. Coll. 10/18. Union Génér. Edit 1 vol 1964, 316 pages

(202) p. 10

Bulletin des Amis de Flaubert. — N° 10, 1957

(203) p. 5

Carlut Charles. — La Correspondance de Flaubert. Etude et Répertoire critique Bizet éd., 1 vol., 1968, 843 pages

(204) p. 67 ; (205) p. 688 ; (206) p. 690 ; (207) p. 694

Chevreuil Claude. — Nogent-sur-Seine dans la vie et l’œuvre de Gustave Flaubert Les Amis de Flaubert, n° 28, 1966, mai

(208) p. 28

Colling Alfred. — Gustave Flaubert. Coll. L’Homme et son Œuvre. Fayard éd 1 vol 1941, 380 pages

(209) p. 40

Commanville Caroline. — Souvenirs intimes sur Gustave Flaubert Ferroud éd 1 vol 1895, 93 pages

(210) p. 43; (211) p. 50; (212) p. 70

Danger Pierre. — Sensations et Objets dans le Roman de Flaubert. A. Colin éd 1 vol 1973, 363 pages.

(213) p. 29; (214) p. 92; (215) p. 93; (216) p. 110; (217) p 114

Debray-Genette Raymonde  Flaubert. Textes recueillis et présentés par R. Debray-Genette. Firmin Didot Didier éd., 1 vol., 1970, 192 pages

(218) p. 107; (219) p. 145

Dumesnil René. — Gustave Flaubert. L’Homme et l’Œuvre. Nizet éd 1 vol 1943 rééd. 1967, 538 pages

(220) p. 410

Dumesnil René. — Flaubert, son Hérédité, son Milieu, sa Méthode. Slatkine reprints, 1 vol. 1969, 362 pages

(221) p. 29

Ferrère E.L. — L’Esthétique de Gustave Flaubert. Slatkine reprints, 1 vol 1967 322 pages

(222) p. 155; (223) p. 259

Frejlich Hélène. — Flaubert d’après sa Correspondance. Soc. Fr. Etud Litt et Techn éd 1 vol., 1933, 502 pages

(224) p. 351 ; (225) p. 432 Larousse. — Littérature Française. Tome Second. Larousse éd 2 vol 1949

(226) p. 344

Laumet Lucien. — La Sensibilité de Flaubert. Poulet Malassis éd., 1 vol 1951 233 pages

(227) p. 182

La Varende (J. de). — Flaubert par lui-même. Coll. Ecrivains de Toujours. Ed. du Seuil 1 vol., 1966, 192 pages

(228)

Maynial Edouard. — A la Gloire de Flaubert. Nouvelle Revue Critique éd., 1 vol 224 pages

(229) p. 60

Nadeau Maurice. — Gustave Flaubert, Ecrivain. Coll. Les Lettres Nouvelles Denoël éd 1 vol., 1969, 335 pages

(230) p. 121 ; (231) p. 323

Zola Émile. — Œuvres Complètes. Cercle du Livre Précieux éd., Tome XI, 1 vol 1968 830 pages

(232) p. 122