Sommaire
Éditorial
par Yvan Leclerc
Flaubert et Maupassant : la Seine en partage
Flaubert, « la Seine sous mes fenêtres »
Les bains en Seine au temps de Gustave Flaubert
Guy Pessiot
« Je nage comme un triton »
Joëlle Robert
La cale du canot de Flaubert à Croisset
Daniel Fauvel
Le bateau à vapeur Rouen-La Bouille : arrêt à Croisset
Yvan Leclerc
Le lit de la Seine et l’œuvre flaubertienne
Jean-Baptiste Chantoiseau
10 août 1854, accident du steamer Courrier face au mascaret près de Quillebeuf avec à bord la mère et la nièce de Gustave Flaubert
Jean-Pierre Derouard
La Seine murmure…
Citations choisies par Jean-François Delesalle et Danielle Girard, complétées par l’association « Le Lire et le Dire »
Maupassant et la Seine : « mon absorbante passion »
La Seine dans Les Dimanches d’un bourgeois de Paris : d’un paysage à un espace scénographique
Catherine Botterel
De la Seine à la scène : la théâtralité du jeu social dans « Yvette » et d’autres nouvelles
Élisabeth Himber
Chronique de voyage « au fil de l’eau »
Ashvini Chandrakumar
La Seine coulait-elle encore ? Chronique d’une passion dévorante
Francis Marcoin
Le canotage sur la Seine au temps des Impressionnistes
Jérôme Chaïb
Les enjeux esthétiques de l’adaptation cinématographique d’Une partie de campagne
Jean-Baptiste Chantoiseau
Varia
Dorothy Tennant et Flaubert : le point de vue de la fille de Gertrude Collier
Kedrun Laurie
Le projet inachevé de Mikhaïl Bakhtine et l’univers de Flaubert
Eugène Ternovsky
Une collection flaubertienne
Jacques Letertre
Guy de Maupassant et le parler normand : redécouvertes
Jean-Dominique Mellot
Inédits
« Le baron de Vaux », chronique inédite de Maupassant
« À la gloire de l’immortel auteur de Salammbô », « Flaubert et l’Afrique » par Louis Bertrand, La Dépêche Tunisienne, 13 mars 1922
Myriame Morel-Deledalle
Éditorial
Yvan Leclerc
Après une trilogie consacrée à Flaubert pour le bicentenaire de sa naissance en 2021 et un numéro entièrement dédié à Maupassant l’année dernière, ce volume marque un retour à l’équilibre entre nos deux auteurs, réunis autour de la Seine. Ce thème du fleuve, ou plutôt des fleuves, avait été retenu par la Métropole Rouen Normandie pour l’ensemble des expositions du « Temps des collections » pendant la saison 2023-2024. Le Musée Flaubert et d’histoire de la médecine présentait pour sa part « Miroirs de la Seine – chez Flaubert et au-delà », l’au-delà s’ouvrant sur l’eau d’ici, mais plus en amont du fleuve et plus tard dans le temps, en se prolongeant avec Maupassant. Car nos deux auteurs ont un rapport personnel, singulier et très fort avec la Seine : Flaubert parce qu’il a vécu la plupart du temps à Croisset pendant la deuxième moitié de sa vie ; Maupassant parce qu’il a canoté dans ses boucles à la sortie de Paris, une bonne partie de la décennie qui suit la guerre, entre 1872 et 1880, et encore par intermittence dans les années suivantes. Il était donc naturel pour notre association d’accompagner le programme des Musées de la Métropole de Rouen en organisant deux journées d’études sur nos auteurs et un voyage vers les lieux de canotage, de Bougival à Triel en passant par Croissy et le souvenir de la Grenouillère, Chatou et Sartrouville, qui servent de décor à de nombreuses nouvelles, « Sur l’eau », la série des « Dimanches d’un bourgeois de Paris », « Une partie de campagne », « La Femme de Paul » ou « Yvette ».
Pour mémoire, nous avions déjà abordé ce sujet à deux occasions : en marge du Festival Normandie Impressionniste de l’été 2013, dont le thème était « L’eau, les reflets et la fluidité » (un dossier porte ce titre dans le Bulletin Flaubert Maupassant, n° 29, 2014) ; et lors d’une journée consacrée à Maupassant navigateur, à la fois marin d’eau douce et patron des deux yachts Bel-Ami (nous nous étions délocalisés opportunément dans une péniche à côté du Musée de la marine sur les quais de Rouen), à retrouver dans les Cahiers Flaubert Maupassant, n° 38, 2019.
Le principal dossier du présent numéro est donc constitué par les études présentées lors de ces deux rencontres de la saison 2023-2024 : « La Seine sous mes fenêtres ». C’est Flaubert qui la décrit, toute proche, dans une lettre à la princesse Mathilde : on est alors en automne et le fleuve « mugit » comme un taureau noir. L’expression de cette proximité entre l’eau et la maison convenait comme titre pour regrouper les pages où l’on verra Flaubert nager, ou plutôt « tritonner » (Joëlle Robert), comme ses contemporains qui se sont baignés dans la Seine (Guy Pessiot) ; on observera la cale où il amarrait son canot devant la maison (Daniel Fauvel) et le ponton où le bateau à vapeur qui faisait le trajet entre Rouen et La Bouille s’arrêtait pour le service des voyageurs, des marchandises et du courrier (Yvan Leclerc) ; on suivra le fil métaphorique du lit de la Seine dans son œuvre (Jean-Baptiste Chantoiseau). L’association « Le Lire et le Dire » avait ponctué cette journée de citations tirées de la correspondance : elles forment une anthologie de phrases poétiques ou prosaïques qui viennent au courant de la plume de l’écrivain dont les fenêtres donnent sur un paysage toujours mouvant. Il peut être dangereux, comme on le sait par le drame de Villequier, et comme le confirmera le récit d’un accident de steamer à bord duquel avaient pris place Mme Flaubert et sa petite-fille Caroline (Jean-Pierre Derouard).
L’homme Maupassant se confond avec le narrateur de « Mouche » à la première personne quand il dit : « Ma grande, ma seule, mon absorbante passion, pendant dix ans, ce fut la Seine. » C’est sous le signe de cette « absorbante passion » qu’on suivra plusieurs explorations aquatiques : comique avec Les Dimanches d’un bourgeois de Paris (Catherine Botterel), inquiétante dans les eaux troubles d’« Yvette » (Élisabeth Himber), parodique et poétique dans le traitement d’un récit de voyage en yole (Ashvini Chandrakumar), angoissante quand on plonge dans le cauchemar de « La nuit » (Francis Marcoin). Le canotier Maupassant se singularise par l’écriture unique des « scènes de canotage » dont il parle très tôt à sa mère, mais il appartient à la grande confrérie des canotiers qui parcourent la Seine au temps des Impressionnistes (Jérôme Chaïb). L’eau et ses reflets, le plein air et ses amours, ont inspiré le cinéaste Jean Renoir, dont Partie de campagne compte parmi les adaptations les plus sensibles de Maupassant (Jean-Baptiste Chantoiseau).
Dans la section « Varia », on pourra lire des extraits inédits du journal de Dorothy Tennant, la fille de Gertrude Tennant, que Flaubert a rencontrée jeune fille à Trouville quand elle s’appelait encore Gertrude Collier : elle a parlé à sa fille d’un jeune homme, mais quand elle le rencontre enfin, il est devenu un vieux monsieur, dont elle trace le portrait (Kedrun Laurie). Dans une perspective plus théorique, on découvrira un commentaire sur des notes du critique russe Mikhaël Bakhtine, relatives à Flaubert (Eugène Ternovsky). Depuis quelques années, l’association invite un conférencier le jour de son assemblée générale, désormais en septembre. Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels littéraires, a bien voulu venir parler de sa collection flaubertienne, qui comprend des livres avec envois, des manuscrits d’œuvres, des lettres et des notes. Jean-Dominique Mellot, de retour à ses origines cauchoises et dans la ville où il a préparé sa thèse, invite à une redécouverte du parler normand dans les nouvelles de Maupassant, entre oral et écriture, fidélité linguistique et stylisation pour un lectorat horsain…
Enfin, un numéro ne serait pas complet sans quelques inédits. Nous avons retrouvé dans les papiers de Marlo Johnston, généreusement mis à notre disposition par ses héritiers, la transcription d’une chronique de Maupassant sur « Le baron de Vaux », dont nous n’avons pas retrouvé d’édition antérieure. Les articles sur Flaubert publiés à l’occasion du centenaire de la naissance de Flaubert dans La Dépêche Tunisienne en 1922 n’avaient jamais été repris depuis cette date, en particulier le texte de la conférence de Louis Bertrand prononcée à Carthage : Myriame Morel-Deledalle les a retrouvés, transcrits et commentés, comme un dernier bouquet d’artifice tiré pour clore l’année du bicentenaire et les expositions « Salammbô », pour lesquelles elle a été commissaire.
La lecture de ce volume pourra se prolonger sur Internet : les actes du colloque sur Les Soirées de Médan, coorganisé avec la Société littéraire des amis d’Émile Zola, à Rouen et à Médan les 13 et 14 mai 2023, sont disponibles en ligne sur le site Fabula, à l’adresse https://www.fabula.org/colloques/sommaire12468.php
Sur papier ou sur écran, dématérialisés ou physiquement présents en livres, nos auteurs traversent le temps, s’adaptent à tous les supports et, espérons-le, continuent à toucher tous les publics. Nous savons pouvoir compter sur la fidélité du nôtre.
Résumés
Abstracts
Traduits en anglais ou vérifiés par Philippe Rouyer
Flaubert
Les bains en Seine au temps de Gustave Flaubert
Guy Pessiot
Au XIXe siècle, Rouen a connu une intense activité autour des bains, mêlant hygiène et loisirs. Les baignades dans la Seine sont très anciennes, remontant au moins au XVIe siècle. À une époque où l’eau courante et les salles de bain sont rares dans les maisons, les bains publics se développent pour des raisons d’hygiène et de loisirs, pendant que les écoles de natation privées s’installent dans les îles ou sur les bords de Seine pour lutter contre les noyades fréquentes.
Baths in the Seine in the time of Gustave Flaubert
Guy Pessiot
In the 19th century, Rouen experienced intense activity around baths, combining hygiene and leisure. Bathing in the Seine is very ancient practice, dating back to 16th century at least. At a time when running water and bathrooms were rare in homes, public baths became popular for reasons of hygiene and leisure, while private swimming schools were established on islands or along the banks of the Seine to prevent frequent drownings.
« Je nage comme un triton »
Joëlle Robert
La natation est un sport encore peu pratiqué au XIXe siècle. Le Docteur Flaubert fait apprendre à nager à ses trois enfants dans les bains installés sur les bords de la Seine à Rouen. Avant de faire de « pleines eaux » dans le fleuve et de devenir des nageurs émérites, Achille, Gustave et Caroline Flaubert fréquentent les bains Fessard, où ils suivent les cours, en commençant d’abord « au piquet », puis « à la corde » pour progresser, et pouvoir ainsi se baigner en toute liberté dans le fleuve.
« I swim like a newt »
Joëlle Robert
Swimming was still a little-practiced sport in the 19th century. Doctor Flaubert had his three children learn to swim in the baths located on the banks of the Seine in Rouen. Before taking the plunge in the river and becoming advanced swimmers, Achille, Gustave, and Caroline Flaubert attended the Fessard baths, where they took lessons, starting first « on the pole, » then « on the rope, » to progress, allowing them to swim freely in the river.
La cale du canot de Flaubert à Croisset
Daniel Fauvel
En 1844, Achille Cléophas Flaubert vend sa propriété de Déville pour acheter celle de Croisset, où il entreprend d’importants travaux. Il fait aménager une cale, après l’autorisation donnée par le préfet, pour un canot, que Gustave, convalescent, utilise pour son plaisir personnel et pour transporter toute la famille. Plus tard, Mme Flaubert et Ernest Commanville poursuivront l’entretien du bord du fleuve, en face de la propriété.
Flaubert’s Canoe Slipway in Croisset
Daniel Fauvel
In 1844, Achille Cléophas Flaubert sold his Déville property to purchase that of Croisset, where he undertook extensive renovations. After obtaining permission from the prefect, he had a slipway built for a canoe, which Gustave, convalescing, used for his personal pleasure and to transport the entire family. Later, Madame Flaubert and Ernest Commanville continued to maintain the riverbank opposite the property.
Le bateau à vapeur Rouen-La Bouille : arrêt à Croisset
Yvan Leclerc
La Seine a une fonction structurante dans la vie et l’œuvre de Flaubert. Le fleuve sert de vecteur le long de son cours (de Nogent-sur-Seine au Havre), et de frontière entre les deux rives, socialement divisées. Installé à Croisset, Flaubert observe les va-et-vient des bateaux entre Rouen et La Bouille, qui rythment ses journées, apportent le courrier et les visiteurs. Le fleuve enfin est source de métaphores littéraires, quand il s’agit de définir le style.
The Rouen-La Bouille Steamboat: the Croisset stop
Yvan Leclerc
The Seine plays a structuring role in Flaubert’s life and work. The river serves as a vector along its course (from Nogent-sur-Seine to Le Havre), and as a border between the two socially divided banks. Based in Croisset, Flaubert observes the comings and goings of the boats between Rouen and La Bouille, which punctuate his days, bringing mail and visitors. Finally, the river is a source of literary metaphors when it comes to defining style.
Le lit de la Seine et l’œuvre flaubertienne
Jean-Baptiste Chantoiseau
Flaubert trouve dans la Seine une source d’inspiration à la fois physique et intellectuelle, où le fleuve symbolise la vie, la mort et la rêverie. Le lit, qu’il soit fluvial ou domestique, incarne des espaces ambivalents où s’entrelacent sensualité, mélancolie et tragédie. Flaubert associe souvent le fleuve à la mort, notamment à travers les noyés et le suicide, mais aussi à l’évasion et au rêve. Dans ses œuvres, la Seine reflète l’ennui et l’enfermement, surtout pour Emma Bovary, qui aspire à des horizons plus vastes, soulignant ainsi le conflit entre désir et réalité.
The Seine River and Flaubertian Works
Jean-Baptiste Chantoiseau
Flaubert found in the Seine a source of both physical and intellectual inspiration, where the river symbolizes life, death, and reverie. The riverbed, whether fluvial or domestic, embodies ambivalent spaces where sensuality, melancholy, and tragedy intertwine. Flaubert often associates the river with death, particularly through drowning and suicide, but also with escape and dreams. In his works, the Seine reflects boredom and confinement, especially for Emma Bovary, who yearns for broader horizons, thus highlighting the conflict between desire and reality.
10 août 1854, accident du steamer Courrier face au mascaret près de Quillebeuf avec à bord la mère et la nièce de Gustave Flaubert
Jean-Pierre Derouard
Le 10 août 1854, le paquebot Le Courrier, reliant Rouen au Havre, affronte le mascaret près de Quillebeuf. À bord se trouvent la mère et la nièce de Flaubert. Le capitaine, au lieu de ralentir, fonce sur les vagues : le navire manque de sombrer. Les passagers sont blessés, des bagages perdus et une fillette de 7 ans disparaît, retrouvée noyée plus tard. Flaubert, informé, évoque l’incident avec ironie dans une lettre. Ce dramatique épisode souligne les dangers du mascaret, phénomène redouté sur la Seine, et marque profondément les passagers, dont Caroline Commanville, témoin direct.
August 10, 1854, Wreck of the steamer Le Courrier facing the tidal bore near Quillebeuf with Gustave Flaubert’s mother and niece on board
Jean-Pierre Derouard
On August 10, 1854, the steamer Le Courrier, traveling from Rouen to Le Havre, encountered the tidal bore near Quillebeuf. Flaubert’s mother and niece were on board. The captain, instead of slowing down, charged into the waves: the ship nearly sank. Passengers were injured, luggage was lost, and a 7-year-old girl disappeared, later found drowned. When When advised, Flaubert related the incident with irony in a letter. This dramatic episode highlighted the dangers of the tidal bore, a dreaded phenomenon on the Seine, and deeply affected the passengers, including Caroline Commanville, a direct witness.
Maupassant
La Seine dans Les Dimanches d’un bourgeois de Paris : d’un paysage à un espace scénographique
Catherine Botterel
Dans Les Dimanches d’un bourgeois de Paris, Maupassant propose de la Seine une représentation réaliste des années 1880 : les bords du fleuve sont en effet un lieu de réjouissances pour les Parisiens. Mais la Seine est aussi le motif de descriptions impressionnistes misant sur la couleur, la lumière et le mouvement. Elle est enfin un personnage de ces saynètes, qui révèle sa force de vivre face à un protagoniste, Patissot, toujours enclin aux ratages.
The Seine in Sundays of a Parisian Bourgeois : from a landscape to a scenographic space
Catherine Botterel
In Sundays of a Parisian Bourgeois, Maupassant offers a realistic portrait of the Seine in the 1880’s : the riverbanks are depicted as a place of leisure and festivity for Parisians. Yet the Seine is more than just a lively backdrop- it also inspires impressionnistic descriptions rich in color, light and movement. Ultimately, she becomes a true character in these vignettes, embodying a vibrant life force in contrast to Patissot, a protagonist perpetually prone to failure.
De la Seine à la scène : la théâtralité du jeu social dans « Yvette » et d’autres nouvelles
Élisabeth Himber
L’article se propose de mettre en lumière les différentes manifestations et fonctions de l’élément aquatique dans la nouvelle de Guy de Maupassant, Yvette. Frontière entre le spectacle et la coulisse (les personnages évoluent dans un univers factice à Paris et se révèlent au naturel à Bougival), la Seine est également un miroir révélateur qui permet à Yvette de se découvrir elle-même ; enfin, le fleuve met au jour les angoisses profondes de Maupassant lui-même, dans toute l’inquiétante dualité de l’élément aquatique.
From Seine to scenery : theatrical social show in Yvette and other short stories
Élisabeth Himbert
This article highlights the various manifestations and functions of the aquatic element in Guy de Maupassant’s short story Yvette. The Seine is a frontier between the parisian social show and reality, but it is also a revealing mirror, allowing Yvette to discover herself. Finally, the river reveals Maupassant’s own deepest anxieties, in all the disturbing duality of the aquatic element.
Chronique de voyage « au fil de l’eau »
Ashvini Chandrakumar
Publiée le 19 juin 1883 dans le Gil Blas, la chronique « De Paris à Rouen » raconte le voyage de deux personnages : Jacques Dérives et Pierre Simon Remou. Elle se présente sous la forme de notes de voyage trouvées dans une bouteille. Ce récit s’inspire du voyage de Maupassant, probablement en compagnie de Clémentine Brun, en mai 1883. Il contient des éléments autobiographiques et réalistes. La mise en scène fictive parodie le genre du récit de voyage avec ironie et dérision. Pourtant, cette chronique crée une représentation poétique de la Seine et du voyage.
Travelogue along the river
Ashvini Chandrakumar
« De Paris à Rouen » is an article published on 19 June 1883 in the Gil Blas. It narrates the journey of Jacques Derives and Pierre Simon Remou. Two fictional characters. The text imitates the style of travel notes found in a bottle. This narrative is inspired by the real journey of Maupassant —probably with Clémentine Brun—in May 1883. Therefore, it contains many autobiographical and realistic elements. The genre of the travelogue is itself parodied with irony and derision in this fictional story. However, this narrative creates a poetic portrayal of the river and the travel.
La Seine coulait-elle encore ? Chronique d’une passion dévorante
Francis Marcoin
Cette étude part d’une curieuse question posée dans la nouvelle « Cauchemar » : « La Seine coulait-elle encore ? » Maupassant y développe un propos fortement teinté de subjectivité avec des termes que l’on retrouve dans plus d’un de ses textes. Il se pose comme amant privilégié de ce fleuve, ou cette rivière, fortement féminisée. Mais ces sentiments vécus, évoqués sur le mode de la spontanéité, illustrent aussi une activité rhétorique, un art de l’effet concernant un sujet extrêmement couru dans le monde littéraire et journalistique.
Was the Seine still flowing ? Chronicle of a ravenous passion
Francis Marcoin
This study starts from a strange question asked in the short story “Nightmare”: “Was the Seine still flowing? « . Maupassant develops a strongly subjective statement using terms that we find in more than one of his texts. He poses as a privileged lover of this river, strongly feminized. But these feelings, that he has personnaly felt, evoked in the mode of spontaneity, also illustrate a rhetorical activity, an art of effect concerning a subject extremely popular in the literary and journalistic world.
Le canotage sur la Seine au temps des Impressionnistes
Jérôme Chaïb
De la fin du xixᵉ siècle à l’entre-deux-guerres, le canotage sur la Seine fut un loisir phare, immortalisé par les impressionnistes et par des écrivains comme Maupassant. Né de pratiques utilitaires liées aux métiers du fleuve, il devint une activité sportive, mondaine et populaire, associée aux guinguettes. Les îles, les régates, la pêche ou encore les pique-niques au bord de l’eau représentaient la liberté et la mixité sociale. Décliné en barques, voiliers ou engins originaux, ce canotage a prospéré jusqu’aux deux guerres mondiales.
Boating on the Seine at the time of the Impressionists
Jérôme Chaïb
From the end of the 19th century to the interwar period, boating on the Seine was a fashionable leisure activity, immortalized by the Impressionists and writers like Maupassant. Born from utilitarian practices linked to river trades, it became a sporting, social, and popular activity, associated with open-air cafés. Islands, regattas, fishing, and even picnics by the water represented freedom and social diversity. Practiced in boats, sailboats, or even unusual crafts, this boating flourished until the two world wars.
Les enjeux esthétiques de l’adaptation cinématographique d’Une partie de campagne
Jean-Baptiste Chantoiseau
Le film de Jean Renoir, adapté d’« Une partie de campagne » de Maupassant, mêle naturalisme, réalisme et impressionnisme, avec poésie et mystère. Tourné en 1936 mais sorti en 1946, il explore la traversée symbolique entre ville et campagne, thème central de la nouvelle. Renoir s’éloigne de la simple fidélité littéraire pour créer une œuvre cinématographique où la lumière, l’espace et le temps jouent un rôle essentiel. Le film met en scène les notions de frontière, seuil et miroir, illustrant les tensions entre civilisation et nature, désir et contraintes sociales.
The Aesthetic Challenges of the Film Adaptation of A Party in the Country
Jean-Baptiste Chantoiseau
Jean Renoir’s film, adapted from Maupassant’s « A Party in the Country, » blends naturalism, realism, and impressionism, with poetry and mystery. Shot in 1936 but released in 1946, it explores the symbolic transition between city and countryside, a central theme of the short story. Renoir moves away from simple literary fidelity to create a cinematic work in which light, space, and time play a key role. The film portrays the notions of borders, thresholds, and mirrors, illustrating the tensions between civilization and nature, desire and social constraints.
Varia
Dorothy Tennant et Flaubert : le point de vue de la fille de Gertrude Collier
Kedrun Laurie
Cet article s’appuie sur les journaux intimes inédits de Dorothy Tennant qui racontent, avec sympathie mais non sans critique, quatre semaines intenses passées à Paris au printemps 1876, au cours desquelles Gertrude, sa mère, se demandait si elle devait tenter de renouer sa relation de jeunesse avec Flaubert. Pendant ce temps, Flaubert écrivait Un coeur simple.
Dorothy Tennant and Flaubert : the point of view of Gertrude Collier’s daughter
Kedrun Laurie
This article draws on the unpublished diaries of Dorothy Tennant which describe, sympathetically but not uncritically, four intense weeks in Paris in Spring 1876 during which Gertrude, her mother, debated whether to attempt to renew her youthful relationship with Flaubert. He, meanwhile, was writing ‘Un Coeur Simple’.
Le projet inachevé de Mikhaïl Bakhtine et l’univers de Flaubert
Eugène Ternovsky
Mikhaïl Bakhtine, célèbre théoricien littéraire, a peu écrit sur Flaubert, en raison de la censure soviétique qui rejetait son individualisme et son « art pour l’art ». Son projet sur Flaubert, bref et inachevé, date probablement des années 1940. Bakhtine critique la « mono-dimension » de Flaubert, perçue comme un manque de spiritualité, mais il voit en lui un artiste novateur, renouvelant le réalisme par une vision cyclique du temps et une valorisation du « primo-phénomène ». Il souligne aussi l’importance de l’image animale et d’une spiritualité orthodoxe dans l’œuvre de Flaubert.
Mikhail Bakhtin’s Unfinished Project and Flaubert’s Universe
Eugene Ternovsky
Mikhail Bakhtin, a renowned literary theorist, wrote little about Flaubert, due to Soviet censorship, which rejected his individualism and his « art for art’s sake. » His brief and unfinished project on Flaubert probably dates from the 1940s. Bakhtin criticized Flaubert’s « one-dimensionality, » which he perceived as a lack of spirituality, but he saw in him an innovative artist, renewing realism through a cyclical vision of time and a valorization of the « primo-phenomenon. » He also emphasized the importance of animal imagery and orthodox spirituality in Flaubert’s work.
Une collection flaubertienne
Jacques Letertre
Collectionneur passionné de Flaubert, et créateur de l’hôtel littéraire Flaubert à Rouen, l’auteur évoque ses précieuses acquisitions : éditions originales, lettres, manuscrits et notes préparatoires. Admirateur de Proust, il souligne les similitudes entre les deux auteurs : formation médicale, relation à la mère, succès tardif. Jacques Letertre fait part de son attachement pour la correspondance de Flaubert, dont le style vif contraste avec celui plus travaillé de ses romans. Il décrit des lettres de Flaubert à Colet, Baudelaire, Gautier, Tourgueniev, révélant l’homme derrière l’écrivain. Sa collection reflète la rigueur de Flaubert, sa quête stylistique, son érudition, et sa solitude créative, tout en rendant hommage à sa place unique dans la littérature française.
A Flaubertian Collection
Jacques Letertre
A dedicated Flaubert collector, and creator of the Flaubert literary hotel in Rouen, the author discusses his precious acquisitions: first editions, letters, manuscripts, and preparatory notes. An admirer of Proust, he highlights the similarities between the two authors: medical training, relationship with the mother, and late success. Jacques Letertre shares his fondness for Flaubert’s correspondence, whose lively style contrasts with the more elaborate style of his novels. He describes Flaubert’s letters to Colet, Baudelaire, Gautier, and Turgenev, revealing the man behind the writer. His collection reflects Flaubert’s rigor, his stylistic quest, his erudition, and his creative solitude, while paying tribute to his unique place in French literature.
Guy de Maupassant et le parler normand
Jean-Dominique Mellot
Au sein de l’œuvre de Guy de Maupassant (six romans, plus de 300 contes et nouvelles), la Normandie, on le sait, tient une place essentielle. Présente dans trois romans et 88 contes et nouvelles, elle s’invite aussi dans le parler que l’écrivain, dans 44 récits, prête à certains de ses personnages – en l’occurrence ce qu’il appelle le « patois normand », bien qu’il s’agisse plus exactement du dialecte du pays de Caux, le cauchois. Après un bref rappel des contours et caractéristiques du cauchois, la présente étude évite l’approche synchronique des textes de Maupassant (qui a déjà été tentée), pour s’attacher plutôt à y détecter l’insertion croissante de termes et tournures d’abord simplement populaires puis, à partir de 1882, franchement dialectaux. Entre la fin 1882 et 1884, on peut même dégager le « régime dialectal » qu’utilise Maupassant pour typer l’oralité chez les campagnards et les pêcheurs cauchois. Pour l’essentiel, on a affaire à un « français patoisé » : évitant de gloser le vocabulaire employé, l’écrivain n’introduit dans ses dialogues que des mots immédiatement accessibles aux « horsains » par leur proximité relative avec le français standard (ben, fieu, éfant…) ou par leur diffusion hors de l’espace normand (itou, est-i…). C’est une fois le public non cauchois devenu plus familier de ce parler du terroir – on peut du moins le supposer – que le narrateur se permet progressivement d’introduire, à partir de 1885, des mots moins transparents (mâquer, vaque, va quéri(r) de l’iau…), voire opaques pour le profane (mucre, cossar(d)s, locher, éluger…), en s’en remettant au contexte et sans que la fluidité des dialogues s’en ressente. Enfin, le cauchois qui affleure en de rares passages-clés de ses romans Une vie et Bel-Ami suggère que, même aménagé pour une compréhension plus aisée, ce parler est associé chez Maupassant à un statut particulier : celui de l’expression la plus spontanée et authentique, la moins lestée d’artifices « littéraires ».
Guy de Maupassant and normand talk
Jean-Dominique Mellot
In the work of Guy de Maupassant (six novels, more than 300 stories and short stories), Normandy, as we know, holds an essential place. Present in three novels and 88 stories and short stories, it also features in the language that the writer, in 44 stories, lends to some of his characters – which is what he calls “Norman patois”, though it relates more precisely to the dialect of the pays de Caux, or Cauchois. After a brief reminder of the contours and characteristics of Cauchois, the present study avoids the synchronic approach to Maupassant’s texts (which has already been attempted), to focus instead on detecting the increasing insertion of terms and turns of phrase, first simply popular and then, from 1882, frankly dialectal. Between the end of 1882 and 1884, we can even identify the “dialectal regime” that Maupassant uses to characterize orality among Cauchois country people and fishermen. We are mostly dealing with a “patoized French”: as he avoided glossing over the vocabulary used, the writer only introduced into his dialogues words immediately accessible to “horsains” (“non-local people”) due to their relative proximity with standard French (ben, fieu, éfant…) or by their diffusion outside the Normandy area (itou, est-i…). Once the non-Cauchois public became more familiar with this local dialect – we can at least assume so –, the writer gradually allowed himself to introduce, from 1885, less transparent words (mâquer, vaque, va quéri(r) de l’iau…), and even words opaque to the layman (mucre, cossar(d)s, locher, éluger…), relying on the context and without the fluidity of the dialogues being affected. Finally, the Cauchois dialect that emerges in rare key passages of his novels Une vie and Bel-Ami suggests that, even adapted for easier understanding, this dialect is associated with a particular status in Maupassant: that of the most spontaneous and authentic expression, the least burdened with “literary” artifices.
Nous adressons tous nos remerciements à l’ensemble du Comité de lecture, et en particulier à Joëlle Robert et à Agnès Romier, qui ont relu tout le volume.
