ÉDITORIAL
par Yvan LECLERC

REJOUER AUJOURD’HUI LE PROCÈS DE MADAME BOVARY

Le réquisitoire d’Ernest Pinard
par Fabien LACAILLE

La plaidoirie de Jules Senard
par Morgane BEAUVAIS

FLAUBERT AU SUD ET AU NORD :
CERVANTÈS ET LE DOMAINE HISPANIQUE ; LA SUÈDE

Flaubert, lecteur de Cervantès : la poétique du leurre
par Patricia MARTINEZ, traduction par Pauline DOUCET

Cervantès chez Flaubert : styles de l’imagination, « absence d’art », discours rapporté
par Miguel OLMOS

Flaubert, Pérez Galdós et Cervantès : comparaison de deux héroïnes, Emma Bovary et Tristana
par Marjorie ROUSSEAU-MINIER

L’Orgie perpétuelle de Mario Vargas Llosa : confession d’un lecteur obsessionnel de Flaubert
par Pauline DOUCET

Flaubert et la vie littéraire en Suède vers la fin du XIXe siècle : les cas de Strindberg et Levertin
par Hans FÄRNLÖF

LA PATRIMONIALISATION DE FLAUBERT

Les publications du syndicat d’initiative. Pour un premier itinéraire flaubertien
par David MICHON

La fabrique d’une image d’écrivain pour la postérité : « Gustave Flaubert, l’ermite de Croisset »
par Marie-Clémence RÉGNIER

La patrimonialisation en question : Flaubert vu par Dominique Vervisch
par Sandra GLATIGNY

VARIA

La bibliothèque de Gustave Flaubert à Canteleu : un patrimoine historique, littéraire et iconographique
par Joël DUPRESSOIR

Flaubert et la phrase philosophique : des comptes à régler avec la mort
par Javier TUSO

COMPTES RENDUS DE LECTURE

Antoine Compagnon, Les Chiffonniers de Paris, Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 2017
par Joël DUPRESSOIR

Thierry Poyet, La gens Flaubert. La fabrique de l’écrivain entre postures, amitiés et théories littéraires, Paris, Lettres Modernes Minard / Classiques Garnier, 2017 par Franck COLOTTE

ANNEXES

Appel aux auteurs d’articles dans les Amis de Flaubert et dans les Bulletins Flaubert Maupassant

Vie de l’association

Mentions de Flaubert et de Maupassant dans des expositions en cours
par Michel LAMBART

Les statuts de l’association et le règlement intérieur


Éditorial

Yvan LECLERC

La romancière Marie-Hélène Lafon vient de publier un Flaubert chez Buchet Chastel, dans la collection « Les auteurs de ma vie ». Cet intitulé ne pouvait mieux convenir : on sent que l’écrivaine parle d’un compagnon de tous les jours. Le long essai très personnel qui précède une anthologie de textes s’intitule « Flaubert for ever ». On n’en finit pas avec ces auteurs qui traversent le temps et dont on a du mal à comprendre comment ils nous parlent toujours au présent, alors que tant de leurs contemporains sont tombés dans l’oubli, et qu’ils nous paraissent irrémédiablement datés si on les en ressort.

« Flaubert for ever » : tel pourrait être aussi le titre de ce numéro des Cahiers Flaubert Maupassant, qui recueille une partie des communications présentées pendant l’année 2017 (l’autre partie, essentiellement consacrée à Maupassant, est publiée dans le numéro 36 de ces mêmes Cahiers). L’espace de temps, ouvert par ce « toujours », va des origines littéraires que Flaubert se reconnaissait lui- même, jusqu’à notre actualité la plus immédiate, en passant par le moment capital du procès de Madame Bovary.

Comment tout cela a-t-il commencé ? « Je retrouve toutes mes origines dans le livre que je savais par cœur avant de savoir lire, Don Quichotte. » C’est le Père Mignot, grand-père du proche ami d’enfance Ernest Chevalier, qui ouvre à l’enfant encore analphabète le livre des livres. Le premier livre est entré par l’oreille, et aussi par les yeux : on peut penser que le Père Mignot possédait le Don Quichotte en estampes – nous reproduisons en couverture la première de ces estampes, représentant l’Hidalgo lisant, une épée à la main. Dans le médaillon à gauche, le célèbre portrait dessiné par Langlois alors que Gustave avait 9 ans, quelques années après sa découverte du roman qui resterait pour lui le modèle de la « perpétuelle fusion de l’illusion et de la réalité ». Dans ses Souvenirs intimes, Caroline Franklin Grout témoigne de la légende familiale : « Le père Mignot faisait aussi la lecture. Don Quichotte surtout passionnait mon oncle ; il ne s’en lassait jamais. Il a toute sa vie gardé pour Cervantès la même admiration. » La correspondance mentionne en effet à de multiples reprises le roman de Cervantès ; il le relit au moment où il écrit Madame Bovary – Emma étant une sorte de Don Quichotte en jupons – et à la fin de la rédaction de L’Éducation sentimentale. Une autre édition du roman se trouve encore dans la bibliothèque conservée à Canteleu, ainsi qu’on pourra le voir dans un article sur l’historique de cette bibliothèque. Don Quichotte for ever : Flaubert ne « dé- lit » pas le roman comique de la chevalerie, pour utiliser le mot composé qu’il a lui-même forgé, dans lequel on peut entendre le délire du chevalier à la Triste figure. En si bon chemin, sur les routes de la Mancha, nous avons poursuivi notre hommage à Cervantès, mort il y a 400 ans (1547-1616), en parcourant d’autres territoires où l’on parle la même langue, pour interroger les écrivains hispaniques qui ont donné une postérité au lecteur assidu du Quichotte. Le Sud trouve un point d’équilibre vers le Nord, avec un détour par la réception de Flaubert en Suède vers la fin du XIXe siècle.

Flaubert for ever : la mort de l’écrivain n’est pas, comme pour la plupart des autres mortels, la fin de l’aventure. C’est le début d’une autre histoire au long cours, sans fin pour les « classiques », l’entrée dans un processus qu’on appelle la patrimonialisation. Comment un écrivain tel que Flaubert se survit- il comme sujet de patrimoine à la fois matériel (dans les maisons ou les « lieux de mémoire », les statues, les objets, les traces écrites) et immatériel, par les commémorations, les discours, les associations comme la nôtre ? Comment, une fois les personnes physiquement disparues, construit-on la figure de celles et ceux qui continuent à être nos contemporains ? Deux thèses récemment soutenues, par Marie-Clémence Régnier et David Michon, traitent ce sujet de la patrimonialisation de Flaubert. On trouvera leur contribution dans le dossier consacré à la transmission d’un héritage toujours à réévaluer.

De cette actualité continue témoigne le procès de Madame Bovary. Il eut lieu en 1857, mais il demeure la référence constante pour les œuvres de l’esprit victimes de la censure, quels que soient les époques et les régimes politiques. Un procès jugé et gagné par Flaubert (acquitté mais sévèrement blâmé) mais qu’on peut toujours rejouer en appel. Deux jeunes avocats du Barreau de Rouen ont mis leur éloquence au service de l’accusation et de la défense, endossant les robes du procureur Pinard et de l’avocat Senard. Ici, c’est une femme qui défend le roman d’une femme. Le texte de Flaubert n’a pas changé. Madame Bovary for ever. Mais les mœurs, si. Le réquisitoire et la plaidoirie d’aujourd’hui procurent le double plaisir de la relecture du texte que nous connaissons et des anachronismes assumés de l’argumentation juridique.

À ces deux dossiers s’ajoutent des Varia, rubrique dans laquelle sont publiés des articles reçus par notre comité de lecture, ainsi que des comptes rendus d’ouvrages récemment parus.

Cervantès mettait en garde contre la lecture des romans de chevalerie, qui pouvaient conduire à une forme de folie par imitation – folie douce dans le cas du Quichotte. La lecture de ce numéro des Cahiers ne fait pas courir ce risque. Au contraire : elle apportera savoir, saveur et sagesse. Flaubert for ever.