Extraits du Journal des Goncourt (1888-1894)

Les Amis de Flaubert – Année 1962 – Bulletin n° 20 – Page 23

Extraits du Journal des Goncourt

 Ils sont regroupés par années : 1857-18601861-18621863-1870
1871-18761877-18791880-18871888-1894

 

 

ANNÉE 1888

Lundi 9 Janvier.
Dans la préface de son nouveau roman, Maupassant, attaquant l’écriture artiste, m’a visé sans me nommer (2). Déjà, à propos de la souscription Flaubert et de l’article de Gil Blas, je l’avais trouvé d’une franchise qui laissait à désirer.

Aujourd’hui, l’attaque m’arrive en même temps qu’une lettre où il m’envoie par la poste son admiration et son attachement. Il me met ainsi dans la nécessité de le croire un Normand très normand. Du reste, Zola m’avait dit que c’était le roi des menteurs…

Maintenant, ça peut être un très habile novellière de la Normandie à la façon de Monnier ; mais ce n’est pas un écrivain et il a des raisons pour rabaisser l’écriture artiste. L’écrivain, depuis La Bruyère, Bossuet, Saint-Simon, en passant par Chateaubriand et en finissant par Flaubert, signe sa phrase et la fait reconnaissable aux lettrés, sans signature, et on n’est grand écrivain qu’à cette condition : or, une page de Maupassant n’est pas signée, c’est tout bonnement de la bonne copie courante appartenant à tout le monde.

Guiches, dimanche dernier, faisait la meilleure critique de ce talent incontestable, toutefois, de ce talent de second ordre : il disait que ses livres se lisaient, mais ne se relisaient pas.

 

Mercredi 27 Juin.
Hier, j’entre au salon, pendant que Léon lisait sur la terrasse le Second Faust, et quand je suis arrivé à la porte de la terrasse, les yeux de Daudet et les miens se sont dit d’un même mouvement interrogatif : « Eh bien, la Tentation de Saint-Antoine en descend-elle de ce livre-là ? Le Sphinx et Hélène, qu’on retrouve moitié Hélène moitié Reine de Saba, et les Lamyes qui se transforment en Blemmyes, et les Chorétides en Bêtes de la Mer ou autres bêtes du bestiaire fantastique, et l’introduction de personnages semblables à la Botte de sept lieues, est-ce à lui ou à Goethe qu’elle appartient ? » (3), Vraiment, il a eu la mémoire bien plagiaire, mon pauvre ami… Voir plus bas, dans le Journal, la découverte que Daudet a faite à propos de Bouvard et Pécuchet (4). Et dire qu’aucun critique n’a fait un rapprochement entre la Tentation de Saint-Antoine et le Second Faust

 

Vendredi 6 Juillet.
Ce qu’est Maupassant ? C’est le Paul de Kock du temps présent, le Paul de Kock d’une époque un peu plus littéraire que celle de 1830.

 

Vendredi 7 Septembre.
Le succès présent du roman russe est dû à l’embêtement qu’éprouvaient les lettrés bien-pensants en littérature du succès du roman Naturiste français : ils ont cherché avec qui ils pouvaient enrayer ce succès. Car, incontestablement, c’est la même littérature : la réalité des choses humaines vue par le côté triste, humain, non poétique.

Et ni Tolstoï, ni Dostoïewski, et les autres ne l’ont inventée, cette littérature ! Ils l’ont prise chez Flaubert, chez moi, chez Zola, en la mâtinant très fort de Poe.

 

ANNÉE 1889

Mercredi 6 Février.
Après la génération des simples, des gens naturels, qui est bien certainement la nôtre et qui a succédé à la génération des romantiques, qui étaient tous des cabotins, des gens de théâtre dans la vie privée, voici que recommence chez les décadents une génération de poseurs, de chercheurs d’effets, d’étonneurs de bourgeois.

On a du monde, et toujours, quand on donne à dîner ; mais quand la réception est sèche comme chez Flaubert, comme chez moi, la nouveauté de la réception passée, on n’a bientôt plus chez soi que l’ami tout à fait intime, et deux ou trois non-valeurs.

 

Mercredi 27 Mars.
Mme Commanville, à laquelle je demande comment elle avait pu publier les dures lettres adressées par Flaubert à Du Camp, qui, certes, ne les avait pas communiquées, me fait la confidence que Flaubert gardait la copie de ses lettres, rédigées comme un article de journal (5). Cela dit bien des choses sur lui, cette confidence, et confirme joliment ce que je pensais : que ce n’était pas le Monsieur tout spontané que quelques-uns veulent voir en lui et qu’il y avait souvent dans sa conduite du calcul du Normand.

 

Lundi 22 Avril.
J’en suis là maintenant : c’est qu’un livre comme le second volume de la Correspondance de Flaubert, ça m’amuse plus à lire qu’un roman, qu’un volume d’imagination.

 

Mardi 23 Avril.
Ah ! ça fait plaisir de trouver dans ce volume de Flaubert ces colères, ces indignations, qui se disent, qui se crient, qui se gueulent, selon son expression, dans la conversation, mais qui n’arrivent presque jamais au public par l’impression.

 

Jeudi 25 Avril.
Je trouve Daudet sortant de la lecture du second volume de la Correspondance de Flaubert, tout désillusionné sur l’homme qu’il s’était imaginé et le voyant dévoré d’une basse jalousie à l’encontre de son ami Du Camp — qui le lui a bien rendu plus tard. Et nous pensions, sans les nommer, à ces amitiés où l’un abomine l’autre, et lui avait sur les lèvres Arène, et moi, Burty.

 

Jeudi 16 Mai.
Ce soir, Léon Daudet conte un rêve assez original qu’il a fait ces jours-ci. Charcot lui apportait les Pensées de Pascal et, en même temps, lui faisait voir dans le cerveau du grand homme qu’il avait avec lui les cellules qu’avaient haletées ces pensées, absolument vides et ressemblant à des alvéoles d’une ruche desséchée. Il m’étonne, ce sacré gamin, par ce mélange chez lui de fumisteries bêtes, de batailles avec les cochers de fiacre et en même temps par sa fréquentation intellectuelle des hauts penseurs et ses originales rédactions de notes sur la vie médicale.

Et sur ce rêve, la conversation monte et je vis qu’il serait du plus haut intérêt que l’ascendance de tout homme de lettres fût étudiée par un curieux et un intelligent jusque dans les générations les plus lointaines et que l’on verrait son talent venant du croisement de races étrangères ou de carrières suivies par sa famille, et qu’on découvrirait dans un homme comme Flaubert des violences littéraires provenant d’un Natchez et que peut-être, chez moi, la famille toute militaire dont je sors m’a fait le batailleur de lettres que je suis.

 

Jeudi 27 Juin.
Le roman, tel que les meilleurs le font et d’après les recettes les plus neuves, me semble vraiment, à l’heure qu’il est, une œuvre enfantine. Et je crois qu’on voudra bien me rendre la justice de croire que je ne juge pas ainsi les romans de mes confrères, parce que je n’en fais plus. Oui, je le répète, pendant toute cette année, un seul livre m’a fait plaisir, m’a un peu exalté selon l’expression affectionnée de l’épistolaire, c’est la Correspondance de Flaubert.

 

ANNÉE 1890

 

Mardi 23 Septembre (6).
J’ai dans ma chambre un portrait de Flaubert, cravaté de blanc par Giraud. Ce portrait m’agace et m’irrite, et j’ai envie de le décrocher pour que mon regard cesse d’y aller. Il est d’une ressemblance frappante ; mais l’encanaillement de cette peinture facile fait de cette ressemblance une féroce calomnie. Avec le bombé bête de son front, le larmoiement de sa paupière inférieure, son nez rouge, ses moustaches tombantes, il me rappelle un domestique de bordel de l’École Militaire, en tenue de garçon d’honneur d’une noce aux Vendanges de Bourgogne.

 

Dimanche 9 Novembre.
Toujours travailler dans le silence. Pas un article sur mon journal, pas une citation de mon étude sur « Outamaro ». Non, je le répète, je n’aurai pas été gâté par mes contemporains.

Cette création de certains, au fond, de la plupart des jeunes littérateurs, par la littérature prenant des personnages et des décors dans le passé, cette vénération qui leur fait admirer Salammbô plus que Madame Bovary, a pour moi quelque chose de l’admiration respectueuse des gens des secondes galeries pour les pièces de théâtre ayant pris les personnages et les décors de notre ancienne monarchie.

[…]

Au salon, comme on cause de l’inauguration du buste de Flaubert (7), Bauer raconte ceci. Un soir, il est emmené par Brainne fils chez lui et invité à prendre connaissance de la correspondance de Flaubert avec sa mère. Bauer n’était pas seul, il était accompagné d’une gentille actrice, avec laquelle, je crois, il vivait et qui se faisait la lectrice de la correspondance. Elle en lisait une, deux, trois, puis à la quatrième, s’arrêtait tout à coup, prétextait une indisposition et demandait à Bauer de la reconduire à la porte. Bauer lui demandant ce que voulait dire ce soudain malaise, elle lui répondait : « Voulais-tu que je lise les lettres de l’amant d’une femme devant son fils ? » Le jeune Brainne n’aurait lu que les premières lettres. Ces lettres tueraient la légende qui fait refuser à Mme Brainne, Flaubert comme mari ; mais il n’aurait pas eu seulement Mme Brainne ; il aurait eu, le polisson, Mme Pasca dont il disait un jour à Charpentier : « Mon cher, vous ne pouvez pas vous faire une idée des deux petites fesses de marbre qu’a la Pasca » Et pendant le temps de ces histoires et de celles qui se succèdent toujours le refrain de Zola : « Aux îles Baléares… Aux îles Baléares ! »

 

Mardi 18 Novembre.
Pendant que tout à fait claustré et la porte fermée aux visites je travaille à mon discours sur Flaubert, je songe avec terreur au fond de moi, que j’ai donné 2,500 francs de commission pour quatre ou cinq montres de la collection des montres XVIIIe siècle de la princesse Soltykoff. Mais, Dieu merci ! je n’en aurai sans doute, pas une de ces montres commissionnées.

 

Dimanche 23 Novembre.
Pas dormi de la nuit, de peur de n’être pas réveillé à l’heure matinale du départ. À trois heures, regardé ma montre à la lueur d’une allumette. À cinq heures, en bas du lit.

Enfin, par un temps à ne pas mettre un chien dehors, me voici dans le chemin de fer de Rouen, avec Zola, Maupassant, etc.

Je suis frappé, ce matin, de la mauvaise mine de Maupassant, du décharnement de sa figure, de son teint briqueté, du caractère marqué, ainsi qu’on dit au théâtre, qu’a pris sa personne, et même la fixité maladive de son regard. Il ne me semble pas destiné à faire de vieux os. En passant sur la Seine, au moment d’arriver à Rouen, étendant la main vers le fleuve couvert de brouillard, il s’écrie : « C’est mon canotage là dedans le matin, auquel je dois ce que j’ai aujourd’hui ! »

Débarqués à Rouen, visite à Lapierre pour l’apurement des comptes. Sa nièce vient nous dire d’attendre quelques instants, parce qu’on est en train de lui faire une piqûre de morphine ; et à quelques minutes de là, le médecin nous prie de ne faire qu’entrer et sortir, parce que le malade est très fatigué, et nous trouvons dans son lit ce pauvre Lapierre, qui est tout l’image de Don Quichotte agonisant.

De là, déjeuner — et fort bon déjeuner — chez le maire, un gros homme commun, très charmant, doublé d’une femme laide, très simple et très aimable personne, qui me recommande le Champagne, du Champagne fabriqué par sa famille : le Champagne Goulet.

Et dehors, toujours de la bruine, de la pluie et du vent, le temps ordinaire des inaugurations à Rouen ; et là dedans, une population tout à fait indifférente à la cérémonie qui se prépare et prenant tous les chemins qui n’y mènent pas. En tout, une vingtaine de Parisiens de marque, dans les lettres et le reportage, et une fête avec tente pour les autorités et musique de foire, comme pour les Comices agricoles de Madame Bovary.

D’abord, une promenade dans le Musée, à travers les manuscrits de Flaubert, sur lesquels est penchée une députation de collégiens de l’endroit, promenade qui pourrait bien être, d’après une conversation de Maupassant, une exposition de Commissaires-Priseurs pour la vente de ces manuscrits à de riches Anglais. Puis enfin l’inauguration du monument pour de vrai.

Moi qui ne peux lire chez moi une page de ma prose à deux ou trois amis sans un tremblement dans la voix, je l’avoue, je suis plein d’émotion et crains que mon discours ne s’étrangle dans mon larynx, à la dixième phrase…

« Messieurs,

« Après notre grand Balzac, le père et le maître à nous tous, Flaubert a été l’inventeur d’une réalité, peut-être aussi intense que celle de son précurseur, et incontestablement, d’une réalité plus artiste, d’une réalité qu’on dirait obtenue comme par un objectif perfectionné, d’une réalité qu’on pourrait définir, d’après nature, rigoureux, rendu par la prose d’un poète.

« Et pour les êtres dont Flaubert a peuplé le monde de ses livres, ce monde fictif à l’apparence réelle, l’auteur s’est trouvé posséder cette faculté créatrice donnée seulement à quelques-uns, la faculté de les créer un peu à l’instar de Dieu. Oui, de laisser après lui des hommes et des femmes qui ne seront plus, pour les vivants des siècles à venir, des personnages de livres, mais bien véritablement des morts dont on serait tenté de rechercher une trace matérielle de leur passage sur la terre. Et il me semble qu’un jour, en ce cimetière aux portes de la ville, où notre ami repose, quelque lecteur, encore sous « hallucination attendrie et pieuse de sa lecture, cherchera distraitement aux alentours de la tombe de l’illustre écrivain la pierre de Mme Bovary.

« Dans le roman, Flaubert n’a pas été seulement un peintre de la contemporanéité, il a été un résurrectionniste, à la façon de Carlyle et de Michelet, des vieux mondes, des civilisations disparues, des humanités mortes. Il nous a fait revivre Carthage et la fille d’Hamilcar, la Thébaïde et son ermite, l’Europe moyenâgeuse et son Julien l’Hospitalier. Il nous a montré, grâce à son talent descriptif, des localités, ides perspectives, des milieux que, sans son évocation magique nous ne connaîtrions pas.

« Mais permettez-moi d’aimer surtout, avec tout le monde, le talent de Flaubert dans Madame Bovary, dans cette monographie de génie de l’adultère bourgeois, dans ce livre absolu, que l’auteur, jusqu’à la fin de la littérature, n’aura laissé à refaire à personne.

« Je veux encore m’arrêter un moment, sur ce merveilleux récit, sur cette étudié apitoyée d’une humble âme de peuple qui a pour titre : Un Cœur simple.

« En votre Normandie, Messieurs, au fond de ces antiques armoires, qui sont la resserre du linge, et de ce qu’a de précieux le pauvre monde de chez vous, quelquefois vos pêcheurs, vos paysans, sur les panneaux intérieurs de ces armoires, d’une maladroite écriture tracée par des doigts gourds, mentionnent un naufrage, une grêlée, une mort d’enfant enfin une vingtaine de grands et petits événements : l’histoire de toute une misérable existence. Cet envers écrit de leurs armoires c’est l’ingénu livre de raison de ces pauvres hères. Or, Messieurs, en lisant Un Cœur Simple j’ai comme la sensation de lire une histoire qui a pris à ces tablettes de vieux chêne la naïveté et la touchante simplicité de ce qu’ont écrit dessus votre paysan et votre pêcheur.

« Maintenant qu’il est mort, mon pauvre grand Flaubert, on est en train de lui accorder du génie, autant que sa mémoire peut en vouloir. Mais sait-on, à l’heure présente, que, de son vivant, la critique mettait une certaine résistance à lui accorder même du talent ? Que dis-je « résistance à l’éloge » ?… Cette vie remplie de chefs-d’œuvre lui mérita quoi ? la négation, l’insulte, le crucifiement moral. Ah, il y aurait un beau livre vengeur à faire de toutes les erreurs et de toutes les injustices de la critique, depuis Balzac jusqu’à Flaubert. Je me rappelle un article d’un journaliste politique, affirmant que la prose de Flaubert déshonorait le règne de Napoléon III ; je me rappelle encore, un article d’un journal littéraire, où on lui reprochait un style épileptique, — vous savez maintenant ce que cette épithète contenait d’empoisonnement pour l’homme auquel elle était adressée (8).

« Eh bien, sous ces attaques, et plus tard dans le silence un peu voulu qui a suivi, renfonçant en lui l’amertume de sa carrière et n’en faisant rejaillir rien sur les autres, Flaubert est resté bon, sans fiel contre les heureux de la littérature, ayant gardé son gros rire affectueux d’enfant et cherchant toujours chez les confrères ce qui était à louer et apportant, à nos heures de découragement littéraire, la parole qui remonte, qui soulève, qui relève cette parole d’une intelligence amie, dont nous avons si souvent besoin dans les hauts et les bas de notre métier. N’est-ce pas, Daudet ? N’est-ce pas, Zola ? N’est-ce pas, Maupassant ? qu’il était bien ainsi, notre ami ? et que vous ne lui avez guère connu de mauvais sentiments que contre la trop grosse bêtise ?

« Oui, il était foncièrement bon, Flaubert, et il pratiqua, je dirais, toutes les vertus bourgeoises, si je ne craignais de chagriner son ombre avec ce mot, sacrifiant un jour sa fortune et son bien-être à des intérêts et à des affections de famille, avec une simplicité et une distinction dont il y a peu d’exemple.

« Enfin, Messieurs, en ce temps où l’argent menace d’industrialiser l’art et la littérature, toujours, toujours et même en la perte de sa fortune, Flaubert résista aux tentations, aux sollicitations de cet argent ; et il est peut-être un des derniers de cette vieille génération de désintéressés travailleurs, ne consentant à fabriquer que des livres d’un puissant labeur et d’une grande dépense cérébrale, des livres satisfaisant absolument leur goût d’art, des livres d’une mauvaise vente payés par un peu de gloire posthume.

« Messieurs,

« Cette gloire, afin de la consacrer, de la propager, de la répandre, de lui donner en quelque sorte une matérialité qui la fasse perceptible pour le dernier de ses concitoyens, des amis de l’homme, des admirateurs de son talent, ont chargé M. Chapu, le sculpteur de tant de statues et de bustes célèbres, du bas-relief en marbre que vous avez sous les yeux, ce monument où le statuaire, dans la sculpture de l’énergique tête du romancier et dans l’élégante allégorie de la Vérité prête à écrire le nom de Gustave Flaubert sur le livre d’immortalité, a apporté toute son habileté, tout son talent. Ce monument d’art, le comité de souscription l’offre, par mon intermédiaire, à la ville de Rouen, et le remet entre les mains de son maire » (91).

Eh bien, non, je prononce la chose avec une voix qui se fait entendre jusqu’au bout, dans une bourrasque tempétueuse qui me colle au corps ma fourrure et me casse sous le nez les feuillets de mon discours. Car l’orateur, ici, est un harangueur de plein air. Mais mon émotion, au lieu de se faire aujourd’hui dans la gorge, m’est descendue dans les jambes, où j’éprouve un tremolo qui me fait craindre de tomber et me force à tout moment de changer de pied comme appui.

Puis, après moi, un discours plein de tact du gros maire roux. Et après le maire, un discours de l’académicien de l’Académie de Rouen, à peu près vingt-cinq fois plus long que le mien et contenant tous les clichés, tous les lieux communs, toutes les expressions éculées, toutes les homaiseries imaginables : un discours qui le fera battre par Flaubert le jour de la Résurrection.

Maintenant, pour être franc, le monument de Chapu est un joli bas-relief en sucre, où la vérité a l’air de faire ses besoins dans un puits.

À la fin du déjeuner chez le Maire, Zola, en me caressant les bras, m’avait tâté pour une réconciliation avec Céard et je lui avais répondu, songeant combien cette brouille gênait les Daudet père et fils et combien même c’était embêtant pour nous deux, de nous faire, dans des milieux amis, des têtes de chiens de faïence, je lui avais répondu que j’étais tout prêt à me réconcilier. Et la cérémonie terminée, quand il est venu me complimenter, nous nous sommes embrassés devant le médaillon de Flaubert, rapprochés l’un de l’autre comme par l’entremise de son ombre.

La cérémonie finie, il est trois heures et demie et la pluie a redoublé et le vent est devenu une trombe. D’un lunch, dont Maupassant nous a fait luire l’offre pendant tout le trajet du chemin de fer de ce matin, il n’est plus question, avec la disparition de l’auteur normand chez un parent. Il faut s’enfourner dans un café avec Mirbeau et prendre un grog, qui dure les deux heures et demie que nous avons à attendre le dîner. Et Bauër, qui est venu la veille pour la représentation de Salammbô, nous conte que le directeur a eu l’aimable attention de faire remettre à tous les critiques dramatiques, dans une enveloppe, une clef des coulisses, après avoir recommandé à ses choristes d’être bien aimables pour ces messieurs de la presse parisienne, si bien qu’à l’heure du dîner, Bauër nous quitte pour aller dîner en catimini avec une de ces petites dames qu’il a invitées la veille (10).

Enfin, Dieu merci ! six heures sont sonnées et nous voilà attablés chez Mennechet, autour d’un dîner ni bon ni mauvais, dont le plat Officiel est toujours le fameux canard rouennais, plat pour lequel je n’ai qu’une assez médiocre estime.

Mais c’est un dîner amusant par le vagabondage de la conversation, qui va de l’envahissement futur du monde par la race chinoise à la guérison de la phtisie par le docteur Koch, qui va du voyageur Bonvalot à Pinchenon (11), le bibliothécaire de Rouen tremblant que les pudiques Rouennais n’apprennent que c’était lui qui jouait le Vidangeur au bordel dans Feuille de Rose, la pornographie, pièce de Maupassant, jouée à l’atelier Becker, qui va de l’étouffement des canards à l’écriture des asthmatiques, reconnaissable aux petits points dont elle est semée et faits par les tombées de la plume sur le papier pendant les étouffements de l’écrivain (12). Causerie à bâtons rompus, dont les causeurs verveux, dont le jeune rédacteur du « Nouvelliste », l’auteur d’un Ménage d’Artiste, joué au Théâtre-Libre, à la tête éveillée de petit chat, et le notaire penseur, l’auteur du Testament d’un Moderne, dont le teint anémique prend une singulière blancheur exsangue sous le gaz qui nous éclaire (13).

Et il est 8h.40, l’heure du train express pour Paris.

 

Lundi 24 Novembre.
Ah, la critique ! Il y a quelques jours, dans un article contre Flaubert, injurieux comme un engueulement d’une descente de la Courtille, Bloy déclare que les livres de mon frère et de moi ne sont lus que par des merlans (14). C’est là le ton de la critique néocatholique…

Aujourd’hui, l’épaisse et déloyale bête, qui a nom Besson, m’accuse d’avoir dit dans mon discours : « Je me rappelle d’un article », quand le texte donné par moi à l’ »Écho de Paris » porte imprimé dans le journal : « Je me rappelle un article » (15). Il sait parfaitement mentir, mais a pleine confiance en sa nullité, en son rien, pour que je ne réclame pas contre sa canaillerie.

Dîner chez Daudet.

 

Jeudi 4 Décembre.
Léon me coupe l’appétit à la soupe, en me disant que Renan a écrit sur moi une lettre d’une violence inouïe et en revenant maladroitement, pendant tout le dîner, sur cette lettre ; et après le dîner, le père me laisse entendre que Porel ne jouera pas Germinie Lacerteux. Soirée nerveuse.

On revient ce soir sur l’emprunt qu’a fait Flaubert à la nouvelle des Deux Greffiers, publiée dans l’Écho des Feuilletons de 1848, emprunt découvert par Liesse (16). Et, là-dessus, Céard, qui dîne par suite de notre réconciliation, avance que le Candidat est tiré absolument d’une Journée d’élections par Lezay-Marnésia, qu’il s’y trouve tout, même le journaliste romantique.

 

Lundi 15 Décembre.
Ces jours-ci, un article d’Albalat dans la Nouvelle Revue, sur le style de Chateaubriand, un article étudié et fort bien fait ; il montre vraiment en la langue de Flaubert une descendance trop décrite de la langue de Chateaubriand, une descendance ressemblant trop à un plagiat (18)

 

ANNÉE 1891

 

Dimanche 25 Janvier.
D’après ce qu’on me disait de Larroumet, des côtés tartuffards de l’homme, je ne serais pas étonné qu’il y eût chez lui, contre moi, un petit ressentiment de ce qu’il m’a écrit pour assister à l’inauguration du médaillon de Flaubert à Rouen et que je lui ai répondu très poliment, mais de manière à laisser transparaître que je n’en sentais pas le besoin, le Gouvernement n’ayant rien fait pour la mémoire de Flaubert (19).

 

Mardi 24 Février.
Lorrain qui tombe chez moi avant déjeuner me conte — et cela dit être vrai — qu’on avait monté la Princesse contre moi, au sujet de la bêtise dont Flaubert gratifie l’Empereur dans mon Journal, et qu’on devait m’exécuter au Jour de l’An, lorsque j’apporterai mon cadeau à la Princesse. Mais on ne sait pas ce qui s’est passé chez elle : tout le monde qui attendait l’exécution a été surpris de la voir très, très aimable avec moi.

 

Jeudi 26 Février.
Ce matin, je m’avise de faire une fouille dans mes lettres de l’année de 1874, et, bonté divine ! j’y trouve un billet de Popelin qui confirme le dîner du mois de mai 1874 (20). Et, là-dessus, j’écris à la Princesse suivante :

« Vis-à-vis des autres, ça m’est égal. Mais vis-à-vis de vous, je voudrais bien que vous vous rappeliez ce dîner du mardi 26 mai 1874, parce que je ne suis pas un homme à inventer dans mon Journal, un dîner, pour me donner les gants de faire fêter mon anniversaire par une Altesse.

Je trouve sur mon Journal la note imprimée dans le livre où, après dîner, les invités construisent sur un tas de papiers un hôtel Néal.

Mais je fais appel à la mémoire de Pélagie, qui me dit que c’est un dîner qui a précédé les déjeuners des années suivantes, le seul dîner où on ait allumé les lustres des salons et où les invités étaient Mme de Galbois, Flaubert, qui a passé toute la soirée à vouloir vous voir fumer une cigarette ; le vieux Giraud et sans doute Popelin.

 

Dimanche 1er Mars.
Daudet me raconte ceci après mon départ de chez la Princesse, mercredi, la Princesse a eu une espèce de conférence avec Hérédia, ayant derrière son dos Popelin et le petit Hervieu. Parlant du dîner que, décidément, elle ne se rappelle pas — elle n’a reçu que le lendemain la lettre où je lui donnais copie du billet de Popelin — la Princesse a bêtement et notamment opposé à son assertion l’assertion de Madame Pélagie, prononcée gros comme le bras. Puis elle a affirmé qu’elle m’avait maltraité de paroles… qu’elle avait dit qu’il y avait des gens qui avaient demandé à ne pas venir dîner le même jour que moi… qu’elle m’avait dit, à propos de la phrase sur la bêtise de l’Empereur — de Flaubert et non pas de moi — que, cependant, c’était lui qui m’avait décoré — enfin, un tas de choses qu’elle ne m’a pas dites, se bornant, comme je l’ai raconté, à se plaindre de mon attaque contre Renan et, aussitôt à se faire pardonner son reproche par une tendre amabilité. Mais la pauvre Princesse, quand la passion l’anime, elle ment comme une Italienne qu’elle est.

 

Samedi 23 Mai.
Zola, interrogé ces jours-ci sur les livres qui avaient eu le plus d’influence sur lui, a donné cette liste : poésies de Musset, Madame Bovary,  livres de Taine.

Nom de Dieu ! Je crois que Germinie Lacerteux a fait plus d’impression sur la cervelle de l’auteur de l’Assommoir que les livres précités par lui !

 

Jeudi 30 Juillet.

Au dîner, l’on cause de Flaubert, et comme je mets Madame Bovary au-dessus de tous ses livres, Rosny me lance : « Votre frère et vous, avez-vous dû l’embêter avec Madame Bovary ! » À quoi je lui réponds : « Cher Monsieur, vous oubliez que j’ai du tact et que je connais très bien la corde sur laquelle il faut jouer avec les gens ».

 

ANNÉE 1892

Dimanche 4 Février.
En ce moment, tous les littérateurs, et les plus dissemblables comme talent, affirment descendre de Flaubert… Ah ! s’il était vivant, comme ils tairaient cette prétendue descendance !

 

Samedi 5 Mars.
Un journaliste du « Figaro » ne trouve pas les conversations que donne mon Journal intéressantes, Saperlotte ! Moi qui suis bien certainement aussi intelligent que le dit journaliste, je puis affirmer que ce que j’ai entendu dire par Michelet, Gavarni, Montalembert, Théophile Gautier, Flaubert est supérieur à ce qu’il entend tous les jours !

 

Mercredi 30 Mars.
Mme Commanville, de retour de Rome, vient me remercier de ma lettre de recommandation près de Béhaine et me donne de tristes nouvelles de Maupassant. Il ne parle plus maintenant jamais de son manuscrit de l’Angélus. Dernièrement, il a voulu envoyer une dépêche à un quelconque et n’a jamais pu la rédiger. Enfin, il passe toutes ses journées à causer avec le mur qu’il a en face de lui.

 

Mardi 5 Avril.
Ce matin, tombe chez moi Lagier, que je n’ai pas vu depuis une quinzaine d’années.

Nous causons de nos morts, depuis le temps où nous nous rencontrions au boulevard du Temple, chez Flaubert, et elle me demande des nouvelles de Maupassant.

 

Mercredi 6 Avril.
Décidément, c’est un jean-foutre que ce Loti ! (21). Comment cet homme dont le talent anti-académique est tout nôtre par les procédés d’observation et de style, pour complaire à l’Académie, s’est fait, de gaieté de cœur, le domestique éreinteur de tous les talents pères et frères du sien !

Ah ! je pensais, si j’avais été à sa place, le brave discours qu’il y avait à faire en glorifiant Balzac, Flaubert et les amis…

 

Lundi 25 Juillet.
Toute la soirée à remuer des idées avec Daudet, à improviser, au courant de la parole, des articles de haute philosophie actuelle, qu’aucun de nos jeunes ne songe à faire pour un journal.

Nous parlons aussi du mensonge, du mensonge cynique du journalisme contemporain, où les journaux font aujourd’hui de Cladel un écrivain de la taille de Flaubert, quand aucun de ces journaux vantards de son talent ne voulait hier de sa copie.

 

Mardi 26 Juillet.
Dîner avec les ménages Charpentier et Zola.

L’on parle du discours d’avant-hier de Zola sur Cladel, et comme Daudet lui laisse entendre que les « tables d’airain » n’étaient, pas à leur place à propos de cette mémoire et lui demande s’il n’y avait pas moyen d’introduire un peu de vérité dans son oraison funèbre, Zola s’écrie cyniquement : « De ce que j’ai dit, je ne pense pas un mot. Si vous saviez comme j’ai écrit cela ! J’ai écrit cela dans ma chambre à coucher en poussant tous les quarts d’heure un cri de désespoir. C’est ampoulé, c’est hors de proportion, oui, ça ne dit pas la vérité. Pour Gonzalès, j’ai donné mon impression vraie, mais pour Cladel — et Zola s’adresse à Daudet — pour Cladel, mon bon ami, je vous le répète, je ne pense pas un mot de ce que j’ai dit. C’est un mensonge. Et il termine par son refrain coutumier : « Après quoi, qu’est-ce que ça fait ? De Cladel, il ne sera plus question dans huit jours ! » (22).

Alfred Stevens est venu me dire avec sa jolie fille, aux yeux doucement pervers, mais si tristes dans le moment qu’ils ne sont que charmants.

Et depuis quatre heures jusqu’à dix heures, ça été chez l’artiste un jaillissement d’amusantes anecdotes sur les littérateurs et les peintres et gens de toutes sortes, coupées par son grognement porcin.

« C’est moi, dit-il, qui ai apporté Madame Bovary chez les Dumas. Dumas fils m’a dit : « C’est un livre épouvantable ! » Quant à Dumas père, il a jeté le livre par terre, en disant : « Si c’est bon, cela, tout  ce que nous écrivons depuis 1830, ça ne vaut rien ! »

 

ANNÉE 1893

 

Samedi 8 Juillet.
Enterrement de Maupassant dans cette église de Chaillot, où j’ai assisté au mariage de Louise Lerch, que j’ai eu un moment l’idée d’épouser.

Mme Commanville, que je coudoie, m’annonce qu’elle part le lendemain pour Nice avec le pieux désir de voir, de consoler la mère de Maupassant, qui est dans un état inquiétant de chagrin.

 

Dimanche 1er Octobre.
Paul Alexis, revenant du Midi, me raconte qu’il a été faire une visite à Mme de Maupassant, dont il est revenu avec la conviction que Maupassant était le fils de Flaubert.

Dans une longue conversation qu’il a eue avec elle et qui a duré de une heure à six heures, d’abord, Mme de Maupassant a mis une certaine animation à bien lui démontrer que Maupassant, physiquement et moralement, n’avait rien du tout de son père. Puis, dans le cours de la conversation, elle lui disait au sujet de son enterrement : « J’aurais bien voulu pouvoir aller à Paris… Mais j’ai clairement écrit pour qu’il ne fût pas mis dans un cercueil de plomb… Guy voulait après sa mort la réunion de son corps au Grand Tout, à la Mère-la-Terre, et un cercueil en plomb retarde cette réunion. Il a été toujours préoccupé de cette pensée, et quand, à Rouen, il a présidé à l’enterrement de son cher père… » Ici, Mme Maupassant s’interrompt, mais très vite, sans se reprendre : « Du pauvre Flaubert » Et, plus tard, sans se douter des preuves qu’elle donnait, contre elle, elle revenait au commencement de sa conversation : « Non, sa maladie ne tenait d’aucun de nous… Son père, c’est un rhumatisme articulaire… Moi, c’est une maladie de cœur ;… Son frère, qu’on dit mort fou, c’est une insolation, à cause de l’habitude qu’il avait de surveiller ses plantations avec de petits chapeaux trop légers ». Et Paul Alexis se demandait, s’il n’était pas présumable qu’un individu attaqué d’épilepsie se reproduisît à la génération suivante dans un fou (23).

Alors, Mme de Maupassant entretenait Paul Alexis des derniers mois de la vie de son fils. Vu avant sa mort, il lui écrivait une lettre à peu près conçue dans ces termes : « Les médecins disent que j’ai une anémie cérébrale, je suis seulement fatigué. Et la preuve, c’est que je viens de commencer l’Angélus et jamais je n’ai travaillé avec une facilité pareille, et je marche de plain-pied dans mon livre comme dans mon jardin… Je ne sais pas si mon livre sera un chef-d’œuvre, mais ce sera mon chef-d’œuvre ».

 

ANNÉE 1894

 

Mercredi 17 Janvier.
Ce soir, je dînais chez la Princesse, à côté de Mme Kahn, la juive à l’aspect poitrinaire, à la fiévreuse conversation, peut-être grisée de morphine et d’éther. Elle me confessait, à l’âge de quatorze ans, dans l’abandon et la non surveillance des livres traînant partout en la maison de ses père et mère — et qui avaient fait que sa sœur avait lu, à six ans, Madame Bovary — avoir parcouru toute la littérature avancée des langues française, russe, anglaise, allemande, italienne. Et comme je l’interrogeais sur ce que cette effroyable aventure de mauvaises lectures avait dû produire dans son cerveau, elle me répondait que cette ouverture par les livres sur la vie aventureuse lui avait donné l’éloignement des aventures, mais, en même temps, lui avait fabriqué une pensée toute différente de la société au milieu de laquelle elle vivait.

 

Dimanche 11 Mars.
Quinze jours sans crise, et la sensation de la rentrée en pleine jouissance de la vie.

Frantz Jourdain cause de l’avatar de Gallimard, de cet homme qui ne vivait que pour les livres, puis pour les tableaux et qui, maintenant, passe toutes les soirées aux Variétés, la boutonnière fleurie, au milieu des hétaïres de son immeuble, enfin devenu tout à fait un fêtard et déclarant hautement que les artistes, dont il faisait autrefois uniquement sa société, sont des êtres mélancolieux, tristes, embêtants et n’apportant dans leurs relations que du noir, et qu’il veut maintenant autour de lui de la gaîté, de la joie !

On remémore les… (24) de Maupassant avec le public. Le célèbre… payé par Flaubert où, à la vue de la bonne tête du vieux romancier, une fille s’est écriée : « Tiens, Béranger ! » — apostrophe qui a tiré deux larmes de la glande lacrymale de Flaubert.

 

Samedi 24 Mars.
Aujourd’hui, je pose pour un artiste anglais, que l’éditeur Heinemann a amené de Londres à Paris, dans le but de lui faire faire mon portrait et les portraits qu’il veut intercaler dans notre biographie. C’est un jeune homme de vingt-deux ans qui a fait une très intelligente étude des procédés lithographiques de Gavarni et de Daumier et a fait de moi, dans un travail tout à fait, supérieur, un portrait horriblement canaille, qui fait de moi, il me semble, un Flaubert aviné (25).

 

Dimanche 1er Avril.
Aujourd’hui, trois enterrements : Pouchet, le fils Brainne, Mme Zeller. La marchande de couronnes, chez laquelle Pélagie a été commander une guirlande de roses et de pensées pour Mme Zeller, lui disait : « C’est étonnant comme on meurt dans ce moment-ci ! »

 Fin des extraits

 

(1) Voir pour les débuts, le Bulletin des Amis de Flaubert : 1857-18601861-18621863-18701871-18761877-18791880-18871888-1894.

(2) Voir l’Étude sur le Roman qui sert de préface à Pierre et Jean et qui parut dans le Supplément littéraire du Figaro, le 7 janvier 1888, puis dans le volume le 9. Il n’est pas besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et  chinois qu’on nous impose aujourd’hui sous le nom d’Écriture artiste pour fixer toutes les nuances de la pensée : (Éd. Ollendorf, non illustrée, p. XXXIII). L’attaque prenait d’autant plus d’importance que cette Étude a la valeur d’un manifeste qui oppose au « roman d’analyse pur », le « roman objectif » qui cherche l’action ou le geste révélateur et le montre seul, cachant l’analyse comme un squelette.

(3) Sans entrer dans le détail de ces rapprochements, rappelons avec Déon Dégoumois (Flaubert à l’École de Gœthe, Genève 1928, page 7 et suivantes) d’une part, la double influence de l’Hélène de Gœthe déterminant, comme le suggère Goncourt, l’épisode de la reine de Saba et celui d’Hélène qui veut sous la conduite de Simon Mage, conter sa vie en solitaire ; d’autre part, les parentés entre le sabbat thessalien du Second Faust et le défilé des êtres fantastiques qui suit dans la seconde partie du Saint-Antoine, le dialogue du sphinx et de la Chimère.

(4) Il faut lire : Voir plus haut…

(5) Dans l’édition de 1889 (Correspondance 2e série, pages 117 et 122). Ces deux lettres adressées à Du Camp sont seulement datées 1852. La première est, en fait, du 26 juin, et Flaubert y répond avec dédain aux instances de son ami qui le pressait de publier pour « arriver ». « Être connu n’est pas ma principale affaire : cela ne satisfait entièrement que les très médiocres ». La seconde, de Juillet répond aux plaintes de Du Camp, blessé : « Moi, je ne cherche pas le port, mais la haute mer ; si j’y fais naufrage, je te dispense du deuil » (Édition Conard, 1926, pages 442 et 451).

(6) Edmond de Goncourt était, à cette époque, l’hôte de la princesse Mathilde à Saint-Gratien.

(7) Il ne s’agit pas d’un buste de Flaubert, mais d’un bas-relief, œuvre de Chapu, dont l’inauguration, qui eut lieu le 23 novembre 1890, sera relatée plus loin.

(8) Cf. t. III, p. 205, n°2  et t. V, p. 216.

(9) Add. 1895 : tout le discours d’Edmond de Goncourt, inséré tant bien que mal àcette place.

(10) L’opéra de Reyer, sur un livret de Camille Du Loch, d’après le roman de Flaubert, avait été créé à la Monnaie de Bruxelles, le 8 février 1890, et repris le 23 novembre au théâtre des Arts de Rouen.

(11) Erreur d’orthographe de Ed. de Goncourt. Il faut lire : Pinchon, qui fut l’ami de Maupassant.

(12) Sur À la Feuille de Rose, cf. t, XI, p. 145.

(13) L’auteur des Ménages d’Artistes (c’est le titre exact de la pièce créée chez Antoine le 21 mars 1890) n’est autre que Eugène Brieux. Envoyé comme journaliste « à Rouen pour les élections de 1885, Brieux y est resté comme rédacteur en chef du Nouvelliste de Rouen » (Antoine, Mes Souvenirs sur le Théâtre-Libre, p. 169). Le Testament d’un Moderne, publié par Charpentier en 1889, est de Jean Revel.

Le notaire penseur dont parle Ed. de Goncourt était Paul Toutain (Jean Revel), qui fut Président du Comité de Rachat du Pavillon Flaubert (1905) et du Comité les Amis de Flaubert (1913).

(14) L’article visé, c’est la « Besace Lumineuse » parue dans La Plume du 15 novembre 1890. Bloy reproche à Flaubert de s’être repu de mots, mais il lui accorde la grâce d’un instant d’humilité qui lui a fait écrire Saint-Julien l’Hospitalier. Quant aux Goncourt, traités en minores de l’Histoire et en stylistes maniaques qui ont « taraudé » la langue « avec une obstination d’helminthes ». « leur œuvre déjà n’intéresse plus que les merlans du journalisme ou les derniers paveurs byzantins des écuries du Copronyme ».

(15) L’article de Louis Besson, Le Monument de Flaubert, a paru dans L’Événement du 25 novembre : il parle des « passages laborieux » que contient « le discours pénible » de Goncourt et accuse, très gratuitement, celui-ci d’user souvent de l’incorrection Imaginaire qu’il signale.

(16) Au lieu de l’Écho des feuilletons, il faut lire le Journal des Journaux, où avait paru, en mai 1841, la nouvelle de Barthélemy Maurice.

(17) Flaubert a-t-il connu la pièce de Legaz-Marnésia, publiée en 1837 et qui ne fut jamais jouée ? Il a pu découvrir parmi les lectures faites pour le parti politique L’Éducation Sentimentale ; cela n’est pas certain. Vive la discussion dans Autour de Flaubert (1912, tome I, ch. 6) de Descharmes et Dumesnil. Les deux pièces se ressemblent surtout en ce que les deux candidats, le Prenant de Marnésia et le Rousselin de Flaubert, font bon marché du bonheur de leur fille et de l’honneur de leur femme. Ici et là, quelques détails curieusement identiques, comme une coordonnée, gros électeur, choyé par le candidat. Mais la pièce de l’ancien préfet Marnésia tourne l’apologie de l’adversaire de Prenant, M. de Meley, monarchiste bon teint, alors que Flaubert méprise équitablement tous les partis.

(18) Goncourt, selon son habitude, écrit : La Revue Nouvelle, au lieu de la Nouvelle revue, où avait paru, le 15décembre, Chateaubriand et l’École réaliste. Albalat étudie en détail l’influence du style de Chateaubriand sur celui de Flaubert, mais sans voir là de plagiat et en s’attachant plus largement à montrer en Chateaubriand « le père de l’école réaliste contemporaine ».

(19) Sur l’inauguration du monument Flaubert, voir plus haut. Larroumet comptait intervenir comme directeur des Beaux-Arts, poste qu’il occupait, depuis le 15 juin 1888, après avoir été chef de cabinet de Lockroy, ministre de l’Instruction Publique, et qu’il quittera le 16 août 1891 pour être nommé professeur de littérature française à la Sorbonne.

(20) Il s’agit d’un dîner qui eut lieu effectivement chezEdmond de Goncourt, le 26 mai 1874, jour anniversaire de sa naissance et à laquelle assistait notamment la Princesse Mathilde (dont l’anniversaire était le 27 mai). Le Figaro de l’époque publia alors un article sous la signature de Bonnières, un article assez malveillant sur Ed. de Goncourt et sur la Princesse Mathilde. Celle-ci nia publiquement avoir assisté à ce dîner.

(21) Pierre Loti venait d’être reçu à l’Académie le jeudi 7 avril 1892. Il y a certainement une erreur de date dans la reproduction du Journal des Goncourt. Lire ici (au lieu du mardi 6 avril) jeudi 7 avril.

(22) Zola se réfère d’une part au discours prononcé à l’inauguration du buste d’Emmanuel Gonzalès, le 25 octobre 1891. Zola se rappelle avec gratitude son plaisir d’enfant à lire Les Frères de la Côte et il célèbre la bonté de Gonzalès, qu’il a connu par Manet. D’autre part, il a prononcé, le 23 juillet 1892, aux obsèques de Léon Cladel, un discours, où il rapproche, comme forgeron de belles phrases, Cladel de Flaubert qui, lui aussi, « les voulait d’airain, toutes droites comme des tables de bronze, debout à jamais ».

(23) Le récit de Paul Alexis apporte de l’eau au moulin de ceux qui veulent faire de Maupassant le fils de Flaubert. On sait que Mme Flaubert mère et Mme le Poittevin étaient deux amies de pension, que la petite Laure partageait avec son frère Alfred l’amitié de Flaubert ; mais quand Le Poittevin et sa sœur se marient, Flaubert semble bien s’éloigner et quand il reprendra, en 1863, avec Le Poittevin, devenue Mme Laure de Maupassant, des liens épistolaires, ce sera sur un ton qui ne permet guère de supposer une liaison antérieure. La date de naissance de Maupassant (5 août 1850) et celle du départ de Flaubert pour l’Orient (29 octobre 1849) ne constituent pas une objection absolument irréfutable, mais le ton de cette correspondance entre Mme de Maupassant et Flaubert en est une sérieuse. (Voir René Duménil — Guy de Maupassant, — 1933, page 66).

(24) Ici, le même mot, répété à double reprise, ne peut être livré à la publicité. S’en référer au Journal des Goncourt, tome XX, page 20.

(25) Goncourt les nommera, en un autre écho : Rothensteins.