Nogent dans l’Éducation sentimentale

Les Amis de Flaubert – Année 1966 – Bulletin n° 28 – Page 21

 

Nogent dans l’œuvre de Flaubert

La part de Nogent dans l’Éducation sentimentale

La part de Nogent dans l’œuvre de Flaubert se circonscrit à son troisième roman, L’Éducation sentimentale, où cette petite ville sert de cadre romanesque et ce, sans aucune discussion, quand on songe aux suppositions imaginées pour le Yonville de Madame Bovary.

Certes, quelques-uns ne se sont pas fait faute d’avancer dans ce domaine des hypothèses séduisantes, mais fragiles et invérifiables : La Varende, par exemple, dans son Flaubert par lui-même, pense que l’écrivain a pris chez son oncle Parain, orfèvre à Nogent, le goût des pierres précieuses, des bijoux ciselés, en un mot du travail bien fait, et il affirme que l’ombre de Nogent plane incontestablement sur Salammbô : laissons à son auteur cette attrayante opinion.

Il est plus justifié de se borner à un seul roman de Flaubert, L’Éducation sentimentale, sans aucun regret d’ailleurs, puisque de nombreux Flaubertistes le considèrent comme son chef-d’œuvre. Il y a dans ce roman des « Scènes de la vie parisienne » et des « Scènes de la vie provinciale », comme chez Balzac. C’est Nogent, petite ville sur le bord de la Seine, toujours sous-préfecture, malgré ses 4.000 habitants et connue pour ses minoteries, qui constitue le deuxième volet du diptyque. C’est dire son importance d’un point de vue strictement qualitatif. D’autre part, du point de vue de la statistique, la place occupée par Nogent dans le livre n’est pas négligeable. Si l’on excepte les deux derniers chapitres qui apparaissent comme une conclusion bien postérieure à l’époque où se situe le roman, l’histoire s’étale sur onze années, du 15 septembre 1840 au 2 décembre 1851. Sur ces onze années de la vie de Frédéric, deux ans et neuf mois se passent à Nogent : du 15 septembre au 15 novembre 1840 (chapitre II de la première partie), l’été 1841 (fin du chapitre III), de septembre 1843 au 14 décembre 1845 (chapitre VI) enfin le mois d’août 1847 (chapitre V de la seconde partie). Il faut y ajouter une visite rapide d’une journée le 2 décembre 1851 (chapitre V de la troisième partie).

Ainsi, sept chapitres, sur les dix-sept que compte le livre, sont consacrés, en totalité ou en partie, à Nogent.

Enfin, quelques personnages essentiels du roman sont des Nogentais réels ou fictifs, en particulier Louise Roque, cette jeune provinciale attachée passionnément à Frédéric, son père, M. Roque et Mme Moreau, la mère du héros.

Toutes ces précisions justifient, s’il en était besoin, l’intérêt et l’importance de ce sujet.

Il s’agit donc dans cette étude de retrouver et de replacer dans le Nogent actuel tous les lieux décrits par Flaubert dans L’Éducation sentimentale : travail patient et minutieux de recherche où la certitude, sauf pour quelques lieux très précis, n’est jamais absolue mais où la convergence de probabilités a souvent emporté notre adhésion, travail d’ailleurs passionnant de confrontation entre la réalité et son image romanesque, travail ingrat aussi car beaucoup de pistes qui paraissaient prometteuses ont rapidement coupé court.

En définitive, notre but a été d’écrire une sorte de guide littéraire et géographique illustré, aussi sûr que possible. Avant d’examiner les lieux un à un, il faut les localiser sur le plan général du Nogent actuel, afin d’en avoir d’abord une vue d’ensemble et de permettre à tout flaubertiste qui désirerait les retrouver de s’orienter facilement. Ce plan d’ailleurs figure dans le livre de M. Dumesnil intitulé : Flaubert et L’Éducation sentimentale (…). Notre localisation est partiellement différente et plus complète. Ces lieux sont dispersés dans toute la ville, ce qui suppose de la part de Flaubert une connaissance parfaite de sa topographie. La plupart sont intacts : les monuments ou maisons ont peu changé depuis 1860, fait assez rare qui mérite d’être signalé au passage.

Le voyageur qui arrive aujourd’hui par le train ou par la route de Paris verra d’abord les ponts (F) desquels il aperçoit nettement la maison de la Turque (A) ; empruntant la rue des Ponts, il passera devant l’hôtel du Cygne de la Croix (D), puis remontant la rue de l’Hôtel-Dieu, il arrivera au carrefour de l’Hôtel-Dieu (G) d’où il pourra aller, par la rue de l’Étape au vin, sur la place d’Armes, où il apercevra l’emplacement de la maison de Madame Moreau (B). Une assez longue promenade le long de la Seine le mènera ensuite à l’extrémité de l’île, sur l’emplacement du jardin de M. Roque (C). Enfin, il pourra terminer avec l’église Saint Laurent (E). Tels sont les lieux essentiels évoqués dans L’Éducation sentimentale.

Sur le même plan, nous avons indiqué l’emplacement de la maison Bonenfant qui donne, nous le constatons, sur le carrefour de l’Hôtel-Dieu. Le privilège de Nogent est d’avoir conservé à peu de détails près son aspect d’il y a cent ans. La ville n’a pas subi les mutilations devenues parfois nécessaires de la civilisation industrielle. Aucun immeuble, aucun cube de ciment armé, ne vient encore la défigurer. La vieille ville a été respectée. Non seulement les lieux décrits par Flaubert existent toujours, mais il y règne encore ce charme un peu triste, cette mélancolie assoupie, que l’écrivain a voulu traduire : quiconque connaît un peu Nogent ne peut y être insensible.

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Plan de Nogent indiquant les lieux décrits
dans l’Éducation sentimentale.

(A) La maison de la Turque. (B) La maison de Mme Moreau.
(C) Le jardin de M. Roque. (D) L’Hôtel du Cygne de la Croix.
(E) L’église Saint-Laurent. (F) Les ponts.
(G) Le carrefour de l’Hôtel-Dieu. (H) La gare.
En rayé, la propriété des Parain-Bonenfant.

Dans le Nogent du siècle dernier, Flaubert a privilégié certains lieux, ceux indiqués par des lettres sur le plan. Il a parsemé aussi son récit de notations brèves sur la ville. II s’agit donc d’éclairer toute cette masse de notations, en confrontant à chaque fois deux images, celle élaborée par Flaubert, et dans la mesure du possible, celle « copiée » par le cliché photographique, en utilisant le texte de l’Édition Garnier (édition 1954) avec la page correspondante.

Claude Chevreuil

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