La presse dans « L’Éducation sentimentale »

Les Amis de Flaubert – Année 1973 – Bulletin n° 43, page 32
 

La presse dans L’Éducation sentimentale

Flaubert et la presse — 14

 
Accessoire magistralement utilisé par Flaubert dans Madame Bovary, comme symbole des méthodes employées par Homais pour réussir, la presse devient dans l’Éducation sentimentale, de 1869, un rouage essentiel, nécessaire au récit. Elle est présente à tout moment du récit, les journaux étant un élément de la vie sociale, mais surtout elle est personnifiée par différents personnages ; et, si peu d’entre eux réussissent — un seul, à dire vrai : Hussonnet — elle apparaît pourtant en arrière-plan de l’échec des autres, comme une figure fascinante et pernicieuse à la fois.

La presse est d’abord un élément de la vie quotidienne : c’est dans le roman son rôle le plus superficiel, qu’elle jouait déjà dans la première Éducation sentimentale. Lire les journaux est une occupation élégante, qui de plus fait passer le temps. Quand Frédéric s’ennuie et rêve de Madame Arnoux, au début de son séjour à Paris, il passe ses journées à flâner, à lire la Revue des Deux Mondes au café (29)… Regimbart, le citoyen, « étudie le National tous les soirs » (30). Prendre un journal qui traîne dans un salon est une manière de tromper l’attente et de se donner une contenance : ainsi fait Frédéric dans le salon des Dambreuse, et en présence de Mme Arnoux, pour dissimuler son embarras (31). Le journal est alors presque un accessoire de théâtre. De plus, on apprend dans la presse des nouvelles, des anecdotes faciles à citer dans la conversation.

Les amis républicains de Frédéric alimentent leur haine du gouvernement avec « les lieux-communs traînant dans les journaux » (32), Cisy raconte les anecdotes de la Mode (33),

Deslauriers étudie la question de l’extraction de la houille dans le Journal des mines (34).Il est à peine besoin de souligner combien cette présence continuelle de la presse est une illustration de la seconde version de l’article Journaux du Dictionnaire des idées reçues. Une fois, le journal joue le rôle plus noble d’agent du destin : Frédéric, retiré à Fontainebleau avec Rosanette, apprend par un journal que Dussardier a été blessé au cours des émeutes (35) ; aussitôt, il rentre à Paris, où il se retrouve face à Mme Arnoux.

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Mais la presse se manifeste d’une manière autrement importante à travers les personnages que fascine sa puissance.

Si Frédéric est le caractère central du roman, si ses espoirs d’amour rythment le déroulement du récit, un peu en arrière de lui se tient Deslauriers, le comparse, le repoussoir. Ses rêves de puissance et d’argent apparaissent en contrepoint des rêves d’amour de Frédéric. En un sens, Deslauriers est un double ambitieux et aigri de Frédéric. Car tous deux poursuivent une chimère qui leur échappe toujours : c’est la conclusion désabusée du roman, quand les deux amis se retrouvent après un long temps de séparation :

« Et ils résumèrent leur vie.

Ils l’avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l’amour, celui qui avait rêvé le pouvoir. »(36)

Deslauriers voudrait être puissant et riche, lui qui est fils d’un huissier ; et son ambition prend une forme précise : il désire un journal qui ne soit qu’à lui et dans lequel il puisse écrire en toute liberté. Mais pour fonder un journal il faut de l’argent : cercle vicieux d’où il ne s’échappera pas. Il dépend de Frédéric, qui, lui, est riche ; ce rêve de journal, qui prend chez Deslauriers la forme d’une obsession suit donc les avatars de la fortune de Frédéric et est en définitive lié à ses amours. Le rêve prend naissance au début du roman, au cours d’une promenade nocturne, où les deux amis se font part de leurs espoirs mais à peine formulé, il est déjà compromis :

« Deslauriers s’arrêta et dit :

— Ces bonnes gens qui dorment, tranquilles, c’est drôle ! Patience ! un nouveau 89 se prépare ! On est las de constitutions, de chartes, de subtilités, de mensonges ! Ah ! si j’avais un journal ou une tribune, comme je secouerais tout pela ! Mais, pour entreprendre n’importe quoi, il faut de l’argent ! Quelle malédiction que d’être le fils d’un cabaretier et de perdre sa jeunesse à la quête de son pain ! ». (37)

Frédéric suit ce rêve sur un autre plan : « J’aurais fait quelque chose avec une femme qui m’eût aimé… Pourquoi ris-tu ? L’amour est la pâture et comme l’atmosphère du génie ». Les rêves des deux jeunes gens connaissent les mêmes vicissitudes, car si la création du journal dépend de l’argent de Frédéric, celui-ci en a tout autant besoin pour demeurer à Paris et continuer ses visites auprès de Mme Arnoux. L’héritage inespéré de son oncle fait naître en lui le rêve fou de rester toujours auprès d’elle ; parallèlement, il permet à Deslauriers de « toucher enfin à son vieux rêve » (38). Mais lorsque Frédéric prête de l’argent à Arnoux en difficulté, ce sont les quinze mille francs destinés au journal qui échappent définitivement à l’avocat. L’argent a suscité dans les deux hommes des espoirs parallèles ; les difficultés au contraire les brouillent :

« Deslauriers dévalait la rue des Martyrs, en jurant tout haut d’indignation ; car son projet, tel qu’un obélisque abattu, lui paraissait maintenant d’une hauteur extraordinaire. Il s’estimait volé, comme s’il avait subi un grand dommage. Son amitié pour Frédéric était morte… » (39)

Curieuse histoire au demeurant que celle de ces quinze mille francs, grâce auxquels le journal prend un moment forme dans l’esprit de Deslauriers, et qui, prêtés à Arnoux, sont, longtemps après, rendus par Mme Arnoux au cours de son ultime visite à Frédéric : ils sont devenus inutiles, tous les rêves sont morts. Leur histoire illustre assez le lien entre les rêves de Deslauriers et ceux de Frédéric. Après avoir rythmé, en mineur et sur un autre plan les espoirs et les déceptions de Frédéric, le rêve de journal apparaît une dernière fois, regret fugitif, au moment où échoue la candidature de Frédéric comme député — cet échec qui marque la fin des illusions du jeune homme et le début de la mesquine vie double qu’il mène entre Rosanette et Mme Dambreuse :

« L’avocat le blâmait de n’avoir aucune attache dans les journaux : « Ah ! si tu avais suivi autrefois mes conseils ! Si nous avions une feuille publique à nous ! »

Deslauriers ne sera pas journaliste ; c’est le « bohème » Hussonnet qui réussit : l’histoire de son journal n’est pas un thème dramatique du roman au même degré que le rêve de Deslauriers, Hussonnet est d’ailleurs une figure secondaire ; pourtant elle a sa place dans l’économie du roman, ce qui est projet chez l’avocat devient réalité grâce à Hussonnet et dans la seconde moitié du roman, le Flambard prend le relais du rêve avorté de l’avocat.

Au début du roman, Hussonnet n’existe que par rapport à Arnoux qui l’emploie : « Il travaillait dans des journaux de mode et fabriquait des réclames pour l’Art industriel (41).

Il est accessoire que ce journal, l’Art industriel appartienne d’abord à Arnoux, il n’est à ce titre qu’une des formes que revêt la fortune changeante de celui-ci, et son intérêt comme journal de peinture est minime ; mais il est le point de départ de la réussite d’Hussonnet, qui le rachète et devient grâce a lui une figure autonome. L’Art industriel, devenu l’Art, commence à prendre tournure :

« Cela s’appelait « l’Art, institut littéraire, société par actions de cent francs chacune ; capital social : quarante mille franc », avec la faculté pour chaque actionnaire de pousser là sa copie ; car la société a pour but de publier les œuvres des débutants, d’épargner au talent, au génie peut-être, les crises qui abreuvent, etc… » (42)

C’est là un journal sans définition précise, prêt à se colorer diversement selon les articles proposés, et qui de plus sembler mêler allègrement les questions financières et « artistiques »… Mais nous reviendrons sur cette question. Hussonnet apparaît alors comme un personnage falot instrument tout désigné entre les mains de caractères plus marqués : en tant qu’ami d’Arnoux, il peut renseigner Frédéric sur le sort de Mme Arnoux ; possesseur d’une feuille, il fascine Deslauriers grâce à cette possibilité qu’il lui offre, si bien qu’un moment, le projet de l’avocat se confond avec le travail du bohème :

« … chaque déception nouvelle le rejetait plus fortement vers son vieux rêve : un journal (…).C’était dans cet espoir qu’il avait circonvenu le bohème, Hussonnet possédant une feuille (…). Mais l’imprimerie faisait des menaces, on devait trois termes au propriétaire, toutes sortes d’embarras surgissaient, et Hussonet aurait laissé périr l’Art, sans les exhortations de l’avocat, qui lui chauffait le moral quotidiennement. » (43)

Mais Hussonnet se fraie seul son chemin. Alors que l’avocat envisage, une fois le journal renforcé par l’argent de Frédéric, de se débarrasser d’Hussonnet, « ce crétin » c’est le bohème lui-même qui se passe de son aide et transforme une nouvelle fois le journal, pour le mettre au goût du jour.

A partir de ce moment ce sont les avocats de son journal, qui remplacent les espoirs et les déceptions de Deslauriers dans le cours du roman. Le Flambard est né, dont les articles peuvent avoir incidence sur le destin des principaux personnages. Ainsi il relate, « en style sémillant gaulois » (44) le duel de Frédéric contre Cisy : cette vengeance d’Hussonnet met Frédéric mal à l’aise et l’amène à se conduire de façon ridicule dans le salon des Dambreuse. Car si les rêves de Deslauriers le rapprochaient de Frédéric, le journal de Hussonnet prend figure d’ennemi. Le thème des rêves de l’avocat en contrepoint des rêves d’amour de Frédéric gardait quelque fraîcheur, alors que le Flambard est le symbole d’une réalité corrompue. En fait, le journal d’Hussonnet est une forme dégradée de rêve de Deslauriers, qui lui, au moins était sincère de même que les amours de Frédéric avec Rosanette ont une forme dégradée de sa passion pour Mme Arnoux. D’ailleurs, plus Hussonnet réussit, plus il semble répugnant. Au cours de la troisième partie du roman, le Flambard, qui a pour vocation le récit d’anecdotes vaines, les plaisanteries creuses, la critique légère mais méchante des hommes en vue, poursuit ainsi une carrière victorieuse : Hussonnet s’adjoint un cabinet d’affaires (45), il se trouve partout à la fois, à la recherche des nouvelles piquantes ; en 1848, il entre aux Tuileries avec les insurgés, ce qui ne l’empêche pas, un peu plus tard, de rédiger une brochure réactionnaire qui lui vaut l’estime de M. Dambreuse (46). Puis le Flambard disparaît du roman : après s’être identifié, dans les difficultés et dans la prospérité, avec ce journal dont il était le « principal rédacteur, Hussonnet le rejette. Il a conquis sa place dans tous les journaux, il y fait le compte rendu de l’inhumation de Dambreuse (47). Homais — moins l’épaisse sottise — de l’Éducation sentimentale, c’est lui le triomphateur : à la fin du roman, Frédéric et Deslauriers se donnent des nouvelles de leurs anciens amis : « Hussonnet occupait une haute place, où il se trouvait avoir sous la main tous les théâtres et toute la presse » (48).

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Mais la presse n’est pas seulement un élément dans la composition du roman. Sa présence est rendue nécessaire par les intérêts et les passions des personnages : ils permettent à Flaubert de développer indirectement sa « théorie » de la presse.

En fait, Deslauriers et Hussonnet représentent par leurs défauts deux aspects du  visage haï de la presse. Certes, ils sont différents : Hussonnet est moins complexe que Deslauriers. Mais à travers eux deux, Flaubert prononce une condamnation radicale de la presse.

Hussonnet est condamné sans ambiguïté par son créateur ; d’ailleurs c’est un personnage assez secondaire pour ne pas être traité en demi-teintes. Il semble n’avoir aucune personnalité ; c’est le personnage transparent par excellence, qui se colore au gré de son interlocuteur ou de l’occasion présente. Ainsi, on l’a vu, il est tour à tour républicain et conservateur : en fait, il n’a aucune opinion. Aucun amour-propre non plus : il se laisse traiter en quantité négligeable par Arnoux, par Frédéric, par Rosanette. Sa présence paraît insignifiante et ne gêne pas. Il est pourtant ambitieux, mais d’une ambition vague, dont l’objet change souvent : au début du roman, « Hussonnet ambitionnait la gloire et les profits du théâtre » (49). De plus, il ne montre pas son ambition, comme le fait Deslauriers avec âpreté. Il cache ses visées sous une allure bohème et fantaisie qui lui est une seconde nature. C’est lui le boute-en-train de service, qui a toujours une plaisanterie, une anecdote, une chanson nouvelle à rapporter. Il est aussi capable de faire divers métiers à la fois, de déployer une activité débordante (50). Cette souplesse et cette apparence anodines lui permettent de s’insinuer partout : on lui pardonne ses charges et ses pointes en raison de sa cocasserie. Ainsi, on le voit chez les Dambreuse, où il se taille un succès (51). Son goût des imitations — le seul de ses traits qui rappelle Flaubert lui-même — montre à quel point il n’existe pas en tant que personne : il est à son gré tel ou tel personnage. Ce talent de mimétisme, qu’il a, semble-t-il, de naissance, a été renforcé encore par son métier ; Flaubert le caractérise en peu de mots :

« A force d’écrire quotidiennement sur toute sorte de sujets, de lire beaucoup de journaux, d’entendre beaucoup de discussions et d’émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion des choses, s’aveuglant lui-même avec ses faibles pétards. »(52)

C’est une condamnation objective de l’homme, médiocre et faible, mais c’est de surcroît une condamnation des réussites de la presse. En effet Hussonnet a pris le métier qui convenait à son caractère malléable : et il y réussit, non pas malgré sa médiocrité, mais à cause d’elle.

Flaubert tonne dans ses lettres contre ce « métier » où seuls les arrivistes et les médiocres obtiennent le succès : ici il illustre exactement sa théorie. Car dès son entrée en scène, malgré son apparence modeste, Hussonnet est sur la voie de la réussite. Un témoignage de sa puissance, c’est la prière que Mlle Vatnaz Lui adresse en faveur du cabotin Delmar (53). Il a des relations dans tous les mondes ; à l’Alhambra, il connaît beaucoup de femmes, on le soupçonne de connaître nombre d’histoires cachées, il se complaît dans les potins et les anecdotes futiles (54). C’est avec ces divers éléments : souplesse, opportunisme, absence d’opinion déguisée en sarcasmes, esprit « parisien », connaissance de tous les ragots, qu’on fait un journaliste qui réussit. Car Hussonnet est capable de voir ce qui plaît au public, de flatter, exploiter et abêtir l’opinion, de changer autant de fois qu’il le faut la forme de son journal. Dans sa description du Flambard (sous la forme où il réussira), feuille consacrée à l’esprit de bas étage, au dénigrement des personnalités, aux ragots, aux futilités de toute espèce, Flaubert dresse un réquisitoire contre le « journal-marchandise », incolore, cancanier, et contre ceux qui en font l’instrument de leur réussite. Le passage vaut d’être cité en entier :

« L’article de fond, invariablement, était consacré à démolir un homme illustre. Venaient ensuite les ¡nouvelles du monde, les cancans. Puis, on blaguait l’Odéon, Carpentras, la pisciculture, et les condamnés à mort quand il y en avait. La disparition d’un paquebot fournit matière à plaisanteries pendant un an. Dans la troisième colonne, un courrier des arts donnait sous forme d’anecdote ou de conseil des réclames de tailleurs, avec des comptes rendus de soirées, des annonces de ventes, des analyses d’ouvrages, traitant de la même encre un volume de vers et une paire de bottes ? La seule partie sérieuse était la critique des petits théâtres, où l’on s’acharnait sur deux ou trois directeurs ; et les intérêts de l’Art étaient invoqués à propos des décors des funambules ou d’une amoureuse des délassements. »(55)

Par certains côtés, le Flambard rappelle irrésistiblement le Figaro tel que Flaubert le décrit dans ses lettres. Mais ici, cette description, faite sur un ton froid de constatation, porte infiniment plus que les foudres de l’écrivain dans sa correspondance. Après pareille accusation, il ne reste rien à dire. Flaubert est plus à l’aise pour condamner que dans ses lettres car il peut prendre du recul vis-à-vis d’une de ses créations. Le Flambard résume à lui seul tous ses motifs de haine contre la presse. Revenons sur un point particulier : « traitant de la même encre un volume de vers et une paire de bottes ».

C’est là l’accusation centrale, la même qu’il porte dans ses lettres Flaubert pardonnerait sans doute plus aisément à la simple bêtise ; mais les journaux ne se contentent pas de dire des sottises, ils se mêlent de « choses sérieuses » ils caricaturent l’Art et le mêlent à des considérations qui lui sont étrangères ; c’est le même reproche qu’il faisait, on l’a vu, au Flambard première manière qui devait publier les œuvres… de ses actionnaires (56). Et c’est en commettant ces crimes contre l’Art qu’Hussonnet réussit ! Il déploie sans doute aussi des ruses souterraines : Flaubert ne précise pas comment il trouve de l’argent pour lancer son journal, puisque Frédéric a refusé l’association ; mais son ingéniosité n’est sûrement pas à cours d’expédients et de compromissions ; il sait flatter le protecteur éventuel qui sera intéressé par la spéculation ; comme il sait exploiter le mauvais goût du public. « Un journal est une boutique » (57), disait Flaubert à Louise Colet. C’est exactement cela qu’il illustre avec le Flambard ; et que son opportunisme et sa malléabilité amènent Hussonnet à réussir dans le journalisme, c’est une condamnation franche et sans appel portée par l’écrivain contre la presse. On est loin de la première Éducation sentimentale : Henry n’était pas un personnage blâmé par son créateur, il avait même un certain prestige. Mais les idées de Flaubert sur la presse se sont précisées, et dans un personnage de second plan, il lui est aisé de les exprimer d’une manière radicale.

Tout autre est Deslauriers. C’est en le comparant à Hussonnet qu’on comprend mieux son échec. Mais il est aussi plus complexe et plus ambigu que le bohème, il est si l’on veut plus proche de Flaubert. Tout un côté de son caractère est négatif : il ne parviendra jamais à être journaliste, soit, il possède pourtant certains des défauts propres aux journalistes. Deslauriers est d’abord ambitieux, comme Hussonnet, mais d’une ambition d’autant plus âpre et aigrie qu’il lutte depuis toujours contre l’adversité, en l’espèce, son origine sociale :

« Deslauriers ambitionnait la richesse, comme moyen de puissance sur les hommes. Il aurait voulu remuer beaucoup de monde, faire beaucoup de bruit, avoir trois secrétaires sous ses ordres, et un grand dîner politique une fois par semaine. » (58)

Sa volonté devrait le servir, car il ne recule pas devant le choix des moyens, et utilise les gens pour atteindre son objectif : Frédéric lui fournit de l’argent, des relations utiles ; c’est par lui qu’il connaît Arnoux, puis les Dambreuse. Il voudrait aussi utiliser Hussonnet, mais il a alors affaire à plus fort que lui.

Ces traits de caractère l’appellent à être journaliste : c’est de la part de Flaubert une condamnation de sa personnalité, et à travers elle, de la presse, de même qu’en Hussonnet il condamne la vénalité et l’opportunisme des journalistes. L’idée précise qu’il se fait d’un journal est une confirmation de ce jugement porté par l’écrivain : elle rappelle ce que dit Flaubert des turpitudes et des bassesses qui ont cours dans le milieu de la presse et qu’il illustre d’ailleurs par le Flambard. Pour Deslauriers, un journal, c’est un moyen de revanche et même de vengeance. L’aigreur et la jalousie qui marquent ses propos seraient la force motrice de son journal :

« …chaque déception nouvelle le rejetait plus fortement vers son vieux rêve : un journal où il pourrait s’étaler, se venger, cracher sa bile et ses idées. (59)

Deslauriers touchait à son vieux rêve ; une rédaction en chef, c’est-à-dire au bonheur inexprimable de diriger les autres, de tailler en plein dans leurs articles, d’en commander, d’en refuser. » (60)

C’est une double vengeance qu’espère Deslauriers : revanche contre la société et les gens qui l’ont brimé, car il les attaquera, revanche contre les brimades essuyées grâce à celles qu’il fera subir à ses subordonnés. Mais cette soif de revanche et de puissance qui le meut est réaliste. Il établit des plans : il s’agit de transformer le journal d’Hussonnet en une feuille politique, d’esquiver les obstacles légaux, de lancer enfin le journal par une campagne d’opinion, et de créer autour de lui et de Frédéric un centre d’intérêt : donner des dîners, et agir ainsi de manière diffuse, par influence personnelle. « Maniant l’opinion par les deux bouts, littérature et politique, avant six mois, tu verras, nous tiendrons le haut du pavé dans Paris », dit-il à Frédéric (61). A travers le projet de l’avocat, Flaubert stigmatise encore les défauts des journalistes : arrivisme, intérêt, partialité, despotisme aussi. Si l’écrivain partage assez ce mépris d’une opinion qu’on peut « manier » à sa guise, il dénonce en revanche la volonté de Deslauriers d’exploiter — et donc de renforcer — cette sottise de la foule.

Deslauriers n’est pas comme Frédéric un rêveur : et pourtant, malgré sa volonté, son ambition, son réalisme, il ne réussit pas. La source de son échec se trouve dans son caractère. Le manque d’argent n’est pas la cause première. Hussonnet, lui, finit par en trouver. S’il avait été habile, il aurait su s’entendre avec la bohème et ne pas compter seulement sur l’argent de Frédéric, qui est en fait son seul ami. Intelligent, il connaît les moyens à employer pour réussir, mais il ne sait pas comme Hussonnet les utiliser d’instinct.

Il manque de souplesse : il ne cache pas sa jalousie et son ambition ; Flaubert indique à plusieurs reprises son envie à l’égard des riches est son principal mobile. Il est égocentriste : ce qu’il veut avant tout, c’est pouvoir « s’étaler », et prendre sa revanche. Ainsi, l’habileté et l’opportunisme lui font défaut. Il heurte les gens, au lieu de s’insinuer auprès d’eux. On peut se rappeler sa grossièreté avec Mme Arnoux (62), ou le scandale soulevé par sa thèse sur le droit de tester, « où il soutenait qu’on devait le restreindre autant que possible » :

« Alors Deslauriers s’était livré à des théories déplorables (…). Le président l’avait interrompu :

« Bien ! bien ! monsieur ! nous n’avons que faire de vos opinions politiques, vous vous représenterez plus tard ! » (63)

C’est là en effet le principal obstacle pour Deslauriers : il n’est pas comme Hussonnet un personnage-reflet prompt à se colorer selon ce qui plaît ^à son interlocuteur Il a une personnalité et des idées trop confirmées qui l’empêchent de se concilier les hommes qui le serviraient. C’est d’ailleurs là qu’il voit la cause de sa vie manquée, à la fin du roman :

« C’est peut-être le défaut de ligne droite ! » dit Frédéric.

« Pour toi, cela se peut. Moi, au contraire, j’ai péché par excès de rectitude, sans tenir compte de mille choses secondaires, plus fortes que tout. J’avais trop de logique et toi trop de sentiment ». (64)

En admettant qu’il ait pu fonder un journal, Deslauriers n’aurait pas réussi par lui, car il n’a pas l’aptitude à refléter les opinions vagues de la foule, qui est nécessaire pour obtenir le succès dans le journalisme ; il n’aurait exprimé que sa propre personnalité. C’est pourquoi Hussonnet réussit là où il échoue.

Pourtant, cette personnalité marquée de l’avocat est l’un de ses traits positifs. C’est au moins en quoi il n’est pas entièrement condamné par Flaubert, comme l’est le bohème. Deslauriers n’est pas seulement ce personnage du journaliste haï de l’écrivain. Il est beaucoup plus ambigu. Il ne désire pas un journal comme pur moyen de domination. Loin de se désintéresser du contenu des articles, il leur assigne un but précis ; ce qu’il veut fonder, c’est en fait un journal d’opposition à la bourgeoisie et à son pouvoir :

« Il fallait attaquer les idées reçues, l’Académie, l’Ecole normale, le Conservatoire, la Comédie-Française, tout ce qui ressemblait à une institution. C’est par-là qu’ils donneraient un ensemble de doctrine à leur revue. » (65)

Ces attaques rappellent curieusement les opinions de Flaubert, ses foudres contre les idées reçues, les institutions, par lesquelles s’exprime le bourgeois. En d’autres endroits encore, Deslauriers emploie le vocabulaire même de l’écrivain, (66) et on est prêt de croire qu’il est son porte-parole. Cette ambiguïté, on la retrouve dans un Pellerin, « plus sensible à la gloire qu’à l’argent », et ses déclarations sur l’Art : (67) un personnage souvent ridicule ou déplaisant exprime les idées de son créateur. Il est vrai qu’il en devient plus réel : dans la mesure où Flaubert cherche à « enfoncer » un Deslauriers ou un Pellerin-Hussonnet, traité en valeurs franches, est beaucoup plus caricatural que Deslauriers, il risque en le caricaturant d’en faire un pantin. Pour donner à l’avocat une existence réelle, il se peut que Flaubert lui prête une partie de ses propres idées. Il le rend à coup sûr plus nuancé, et plus sympathique au lecteur.

Mais la raison d’art n’est peut-être pas la seule. Flaubert ironise ainsi sur ses propres sentiments, et tente de ne pas prendre ses « haines » au sérieux. Plus, il semble y avoir chez lui une intention inconsciente de caricaturer ses idées. C’est ce que suggère Sartre déjà à propos de Homais : « Flaubert a voulu, sans aucun doute, peindre un libre-penseur ridicule, mais il a voulu, en même temps, lui donner raison » (68) ; il ridiculise ainsi en Homais ses propres pensées, qui, en réalité ne sont pas toujours cohérentes. Nous avons vu que Flaubert exprime parfois de bonne foi des opinions qu’il a classées par ailleurs sous l’étiquette d’ »idées reçues ». Il semble qu’en Deslauriers, il se « dénonce » un peu de la même façon. En effet, qu’est Deslauriers ? en quoi consiste cette ambiguïté qui le rend vivant ? Il a les aspirations d’un bourgeois : « arriver », être puissant, riche, respecté ; mais il n’en a pas toutes les idées, puisque au contraire, comme Flaubert, il hait l’ »idéologie » bourgeoise, qu’il ne reconnaît comme telle que dans certaines de ses manifestations : idées reçues, institutions, tout ce qui est établi, mais non en lui. Et c’est encore une cause de ses premiers échecs : car cet homme hait la bourgeoisie parce qu’il ne participe pas à ses privilèges, et, incohérence suprême, il l’attaque pour parvenir à en faire partie.

Il est évident qu’il ne peut réussir, ne fût-ce que parce qu’il veut utiliser contre la bourgeoisie, qu’il appelle « les riches », un instrument essentiellement bourgeois (particulièrement à son époque) : la presse. Cette machine de guerre ne peut que se retourner contre lui. Deslauriers, de plus, n’a pas un but très clair. Il n’est pas révolutionnaire : avec ce moyen, la presse, et ses méthodes, il ne peut parvenir à détruire la bourgeoisie et à établir un ordre nouveau (69). Flaubert montre à plusieurs reprises que ses idées progressistes ne sont guère solides : elles sont fondées sur la haine envieuse des riches, son désir de justice aussi : désir de justice, encore une fois pour lui, et non pour un peuple dont il ne se soucie guère. Et il est certain que s’il eût réussi de la façon qu’il convoitait, il aurait vite abandonné ses idées. La fin du roman le montre bien :

« Tu me parais bien calmé sur la politique ? »

« Effet de l’âge », dit l’avocat (70).

Il s’est intégré à la société qu’il enviait, moins brillamment, moins bruyamment aussi qu’il ne l’espérait, mais il n’en a pas moins perdu le goût de la révolte. Mais pas plus qu’il ne saurait détruire une société qu’il déteste et jalouse à la fois, il ne peut s’y immiscer par un coup d’audace : son entreprise est de tous les côtés vouée à l’échec. Le drame de Deslauriers reproduit sur un autre plan — le plan romanesque, où les situations concrètes difficiles remplacent le conflit d’idées contradictoires — le drame de Flaubert lui-même : bourgeois par son origine sociale, sa façon de vivre, certaines de ses opinions, mais intellectuel aussi, qui se refuse comme bourgeois sans reconnaître clairement ce que signifie ce mot. Comme le dit Sartre : « Il n’acquiesce pas à la bourgeoisie, mais non plus ne souhaite sa destruction réelle ou son renversement ».

Ce n’était pas Hussonnet qui pouvait révéler Flaubert : personnage secondaire. Hussonnet, traité en valeurs franches, est beaucoup plus caricatural que Deslauriers, sans ombres, il est symbolique et comique un peu comme l’était déjà le père d’Henry dans la première Éducation sentimentale, avec beaucoup plus d’art, il est vrai. Mais ce qui, sans doute, ne parvient pas à la conscience claire de l’écrivain, est exprimé par un Deslauriers dont la complexité est rendue nécessaire par le rôle important qu’il joue dans le roman : complexité qui le rend plus vivant et plus attachant qu’Hussonnet, mais aussi plus représentatif des tendances profondes de Flaubert.

En lui, l’écrivain est « compromis » : à la limite, on pourrait dire que les espoirs et les déceptions de Deslauriers reproduisent les alternatives de soumission et de révolte de Flaubert.

Ainsi, le thème de la presse est étroitement lié à la trame du roman. Nous avons vu d’abord d’un point de vue descriptif comment le thème de la presse accompagne en sourdine les vicissitudes des amours de Frédéric, de l’espoir d’un amour merveilleux à la dégradation de ce rêve. Mais ce thème a une nécessité dramatique : sa présence est liée aux passions des personnages, en particulier à la soif de puissance de Deslauriers ; il a enfin une nécessité sociale : ce n’est pas un hasard si c’est la presse qui représente la tentation de puissance dans le roman. Quelle autre force en effet pourrait mieux qu’elle fasciner un jeune homme pauvre et ambitieux ? Le journal est un moyen semble-t-il facile d’accéder à l’argent et au pouvoir, dans une société qui repose sur l’argent et le pouvoir des gens riches. La presse paraît l’intermédiaire magique ; l’ambition d’entrer dans un journal est aussi une forme sublimée du désir de richesse, elle semble une valeur plus haute. Mais, tour à tour, la presse devient une puissance bénéfique ou maléfique, selon qu’elle ouvre les portes de la puissance ou qu’elle refuse le malheureux qui ne s’est pas plié à la règle du jeu.

Le thème n’est pas nouveau. Dans Illusions perdues, Balzac explique plus clairement que Flaubert, le mécanisme social. Son héros, qui est doué — si l’on tente une comparaison grossière — de l’ambition de Deslauriers et de la délicatesse de Frédéric, échoue lui aussi. Georg Lukacs fait remarquer que Illusions perdues est le type du « roman de la désillusion », et que si le thème était alors dans l’air, c’est, « non pas à la suite de quelque mode littéraire, mais à la suite de l’évolution sociale de la France » (71). Mais cet échec, cette « désillusion » n’ont pas la même signification que chez Flaubert. Malgré la corruption du milieu de la presse, que Balzac ne manque pas de dénoncer — avec moins de passion mais peut-être plus de force que Flaubert — Lucien de Rubempré réussit un moment à « tenir le haut du pavé » dans Paris. Sa recherche en somme désintéressée de la gloire ne se brise pas immédiatement contre une société qui ignorerait la valeur de la pureté et du désintéressement. Il a encore socialement la chance de concilier, fût-ce pour peu de temps son ambition et sa nostalgie d’une vie pure, avant de se laisser gagner par la corruption : phénomène qui s’explique historiquement, car Lucien vit à une époque de transition ; c’est le moment où les productions de l’esprit, jusqu’alors respectées par la bourgeoisie montante comme un idéal, deviennent à leur tour, à cause de la poussée économique, des marchandises comme les autres. C’est ce que Lukacs appelle la « capitalisation de l’esprit » : il semble que le développement de la presse en soit un symptôme.

Le moment instable du triomphe de Lucien permet de comprendre mieux le mécanisme social de sa chute. « Balzac décrit l’accumulation primitive (72) du capitalisme en matière d’esprit humain, et ses successeurs, même les plus grands comme Flaubert par exemple, sont déjà confrontés au fait accompli de la subordination de toutes les valeurs humaines à la marque de fabrique capitaliste » (73).

Et en effet, l’Éducation sentimentale ne peut être qualifiée de la même façon de « roman de la désillusion ». Effectivement, aucun personnage ne voit se réaliser un instant ses espoirs. La désillusion est constante : c’est plutôt un constat de l’absence d’espoir. La faillite semble consommée avant même l’entreprise, car tout est déjà dit socialement. Voilà qui explique en dernier ressort l’échec de Deslauriers et la réussite d’Hussonnet. Flaubert les explique par le caractère respectif de ses deux personnages : nécessité romanesque pour faire de ses personnages des êtres réels et non des pantins tout juste bons à illustrer une idée. Mais c’est la société qui exige que celui qui réussit ait ce genre de caractère ; pour réussir dans cette société, il n’y a rien d’autre à faire qu’à se plier, à vendre son âme, ses idées, sa personnalité, sa plume enfin, comme le fait Hussonnet. C’est à ce prix qu’on « réussit ». Ce n’est pas dans l’Éducation sentimentale la condamnation de la seule presse, c’est une condamnation du rôle que joue la presse dans cette société, et à travers elle, la dénonciation mais Flaubert n’en a pas conscience — de la forme de la société même. Les autres, comme Deslauriers, ne peuvent réussir s’ils veulent garder leur intégrité : d’ailleurs, lui-même est déjà tout imprégné de l’idéologie bourgeoise, et au bout du compte, il se résigne quand même à n’être rien dans cette société et à ne pas la rejeter pour autant. Les valeurs des personnages de Flaubert sont dégradées dès que formulées : c’est le cas de Deslauriers, pour lequel la puissance est la suprême valeur. Frédéric fait des aspirations plus nobles sans doute aux yeux de Flaubert, mais il ne peut pas non plus atteindre son rêve et son idéal se dégrade peu à peu. Si la plupart des personnages de Flaubert échouent, ce n’est pas seulement à cause de leur caractère : c’est la constatation amère que rien ne peut être fait contre les lois de cette société.

Après l’Éducation sentimentale, il y a très peu à dire sur Bouvard et Pécuchet. La presse n’y joue plus aucun rôle dramatique, elle apparaît, rarement, comme un simple accessoire : le développement nécessaire que ce thème, lié aux passions des personnages et à la situation sociale, connaissait dans l’Éducation sentimentale, est réduit dans le roman inachevé de Flaubert à quelques gestes dont on ne sait même plus s’ils sont symboliques ou caricaturaux. Par exemple, au début de l’œuvre ; « Pécuchet, (d..) d’un geste dédaigneux écarta les journaux (74).

Cet appauvrissement du thème correspond, semble-t-il, aussi à un affaiblissement extrême de la forme romanesque : absence d’ »action », absence de « héros » au sens balzacien, plus encore que dans l’Éducation sentimentale. La charpente du roman est très mince, elle paraît avoir été entre autres destinée à sortir un « Sottisier » remanié. L’intention romanesque cède le pas à l’intention satirique : la forme inachevée de l’œuvre explique sans doute qu’il y soit si peu parlé de la presse, elle aurait trouvé sa place à la fin, ou plutôt sa critique, sous forme de citations vengeresses. Bouvard et Pécuchet ne peuvent être expliqués que par rapport à leur créateur : c’est sans doute ce qui fait à la fois l’intérêt et les limites du livre. En effet, l’environnement social a perdu beaucoup de son importance ; mais les contradictions de Flaubert se sont aiguisées. Ses personnages sont devenus extrêmement ambigus, mais la façon dont ils sont présentés est telle qu’il est très difficile de reconnaître leur nature exacte, l’intention satirique est évidente, mais pour cette raison même, Flaubert se révèle moins. C’est au point qu’on a pu proposer des interprétations opposées de Bouvard et de Pécuchet : tantôt ils représenteraient l’imbécile type, le « bourgeois » dans toute son horreur ; tantôt au contraire, leur intelligence, affinée peu à peu par l’étude, les ferait souffrir, comme Flaubert, de la bêtise qui les entoure. De toute façon, ce roman paraît l’aboutissement des tendances individualistes dans la littérature bourgeoise, et sous sa forme inachevée, il présente peu d’intérêt en ce qui concerne la peinture de la presse : c’est au « Sottisier » qu’il faut aller.

C’est en fait dans l’Éducation sentimentale que se révèlent le mieux les contradictions de Flaubert, car elles se font jour à propos de la presse : sujet privilégié, parce qu’il est pour Flaubert le véhicule favori de la bêtise ; c’est-à-dire de l’idéologie de la classe dont l’écrivain fait partie, avec des réserves. Mais c’est aussi dans le roman où elles se dévoilent le plus, que ces contradictions sont le mieux surmontées par l’art. Car Flaubert reproduit à l’échelle romanesque dans les conflits et les difficultés sociales que connaissent ses personnages : ce sont elles qui leur donnent vie, qui deviennent leur moteur et leur justification. C’est ce qui fait à mon avis, de l’Éducation sentimentale le grand roman de Flaubert, roman où les déterminations sociales s’expriment à travers les passions personnelles, où l’écrivain reproduit la généralité sociale de son époque, et souvent, malgré lui la condamne.
Nicole Frénois

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L’ensemble de l’étude est réparti ainsi  : Flaubert et la presseLa haine de Flaubert pour les journaux Les journalistes – La presse par opposition à l’art – Flaubert contre la presseLa critique journalistiqueL’influence directe de la presse sur FlaubertInformation et documentation L’intérêt de Flaubert pour l’actualitéPublication et vie sociale 1Publication et vie sociale 2L’influence a contrario de la presse sur Flaubert : la création littéraireLes personnages romanesques et la presseLa presse dans L’Éducation sentimentaleConclusion

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(28) C. III, p. 206, à Louise Colet, 26-27 mai 1853, [c’est moi qui souligne].
(29) E.S. 1e partie, chap. IV, t. I, p. 33.
(30) Ibid. chap. IV, t. I, p. 50. .
(31) E.S. 2e partie, chap. I, t. I, p. 134 ; 2e partie, chap. IV, t. II, p. 45 ; 3e partie, chap. III, t. II, p. 198, etc.
(32) E.S. 1e partie, chap. V, t. I, p. 73.
(33) Ibid. 2e partie, chap. II, t. I, p. 177.
(34) Ibid. 3e partie, chap. IV, t. II, p. 217.
(35) 3e partie, chap. I, t. II, p. 165.
(36) ES. 3e partie, chap. VII, t. II, p. 285. Notons qu’une variante antérieure donne : « celui qui avait ambitionné le pouvoir » ; la version définitive établit un parallèle rigoureux entre l’amour de Frédéric et l’ambition de Deslauriers.
(37) Ibid. 1e partie, chap. II, t. I, p. 22.
(38)E.S. 2e partie, chap. II, t. I, p. 197 ; chap. III, t. I, p. 227.
(39) Ibid. 2e partie, chap. Ill, t. I, p. 236.
(40) E.S. 3e partie, chap. IV, t. II, p. 236.
(41) Ibid. 1e partie, chap. IV, t. I, p. 41.
(42) Ibid. 2e partie, chap. I, t. I, p. 142.
(43) E.S. 2e partie, chap. II, t. I, p. 195.
(44) Ibid. 2e partie, chap. IV, t. II, p. 42.
(45) 2e partie, chap. VI, t. II, p. 77.
(46) 3e partie, t. II, chap. I, p. III et chap. II, p. 184.
(47) Ibid. chap. IV, t. II, p. 231.
(48) Ibid. chap. VII, t. II, p. 283.
(49) E.S. 1e partie, chap. IV, t. I, p. 42.
(50) Par exemple « Hussonnet, employé dans une correspondance de province, devait lire avant son déjeuner cinquante-trois journaux », 2e partie, chap. I, t. I, p. 161.
(51) 3e partie, chap. II, t. II, p. 184.
(52) 2e partie, chap. IV, t. II, p. 12.
(53) « Elle lui demande s’il ne pourrait pas, dans une des feuilles où il avait accès, faire mousser quelque peu son ami, et même lui confier plus tard un rôle », 2e partie, chap. I, t. I, P. 154
(54) Cf. ce que dit Arnoux de lui : « Il fut d’abord question d’une nommée Apollonie, un ancien modèle (…). Hussonnet expliqua cette métamorphose par la série de ses entreteneurs. — « Comme ce gaillard-là connaît les filles de Paris » dit Arnoux. 1e partie, chap. IV. t. I, p. 44. Mais que d’histoires peut raconter aussi Hussonnet sur les nobles entreteneurs…
(55) 2e partie, chap. IV. t. II, p. 41 + 42.
(56) Passage cité 2e partie, chap. I, t. I, p. 142.
(57) Lettre citée, p. 41 de ce mémoire, C. III, p. 147, 31 mars 1853.
(58) partie, chap. V, t. I, p. 70.
(59) 2e partie, chap. III, t. I, p. 227.
(60) Ibid. p. 228, Cf. « II n’y a rien de pernicieux comme de pouvoir tout dire et d’avoir un déversoir commode » à propos de la presse, C. III, p. 146, à Louise Colet, 31 mars 1853.
(61) 2e partie, chap. III, t. I, p. 228.
(62) 2e partie, chap. V, t. II, p. 57 + 58.
(63) 2e partie, chap. I, t. I, p. 140.
(64) 3e partie, chap. VII, t. II, p. 285.
(65) 2e partie, chap. III, p. 228, t. I.
(66) Par exemple à propos de la liberté des journaux, ibid. chap. II, p. 178.
(67) 1e partie, chap. IV, p. 60 + 61, t. I, « Laissez-moi tranquille avec votre hideuse réalité ! Qu’est-ce que cela veut dire, la réalité ? Les uns voient noir, d’autres bleu, la multitude voit bête (…). L’art deviendra, si l’on continue, je ne sais quelle rocambolle au-dessous de la religion comme poésie, et de la politique comme intérêt ».
(68) Article cité : La conscience de classe chez Flaubert.
(69) La représentation des « révolutionnaires » dans l’Education sentimentale est une autre question, fort révélatrice aussi. Pour Sénécal, le socialisme est avant tout l’autorité et la discipline ; cette conception « fasciste », pour employer un terme moderne, le mène à accepter toute forme d’autorité ; il devint agent de police. Dussardier, si sincère et honnête, peut-être le seul personnage entièrement positif du roman, meurt sous les balles de Sénécal en criant : « Vive la République ! »… Ces images un peu schématiques en disent long sur le pessimisme de Flaubert, il ne voit pas d’autre alternative, ce qui, historiquement, n’est pas étonnant.
(70) 3e partie, chap. VII, t. II, p. 285.
(71) Georg Lukacs, « Illusions perdues » in Balzac et le réalisme français, Maspero Paris , 1967 (article écrit vers 1936), p. 49.
(72) C’est moi qui souligne.
(73) Lukacs, ibid. p. 67.
(74) B. et P. édition critique par A. Cento, p. 274.